Pourquoi pas moi ? - L'Infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017

 

DIRECTEUR DES SOINS

CARRIÈRE

PARCOURS

SANDRA MIGNOT  

Pourtant puissante, la fonction du directeur des soins demeure mal connue au sein même de l’environnement sanitaire. Pour y accéder, les cadres soignants doivent s’autoriser à reconnaître leurs compétences et ne pas hésiter à se former.

La volonté de prendre davantage de responsabilités, de voir grand et d’avoir un impact élargi sur la qualité du soin et l’organisation du travail, ainsi pourrait-on résumer ce qui pousse les cadres de santé à s’orienter vers la fonction de directeur des soins (DS). Évolution naturelle dans une carrière, opportunité individuelle ou challenge propre à stimuler sa motivation dans de nouveaux défis, l’accès à la fonction est en tout cas le fruit d’un long cheminement qui amènera les professionnels à concevoir une politique de soins, piloter sa mise en œuvre et en évaluer les résultats. Le parcours est particulièrement exigeant pour celles et ceux qui exercent dans la fonction publique hospitalière. « Il faut d’abord réaliser qu’on en a les capacités, observe Laurence Mélique, qui vient de prendre le poste de coordinatrice de l’Ifsi-Ifas(1) Émile Roux, à Limeil-Brévannes (94). Les cadres de santé ne sont pas suffisamment conscients des compétences qu’ils ont accumulées au cours de leur carrière. Pour ma part, c’est ma directrice des soins qui m’a mise sur la voie et m’a montré que c’était une poursuite logique de mon parcours professionnel. Elle m’a donné des missions transversales et des responsabilités qui m’ont permis de sortir de l’opérationnel et d’accéder à un niveau stratégique. »

UN CONCOURS DANS LE PUBLIC

Tous les directeurs des soins de la FPH n’ont pas forcément eu la chance de croiser un mentor aussi engagé. Or, un tel soutien est important pour s’engager dans un cheminement long et un parcours de formation intense. Car intégrer un poste de directeur des soins suppose en effet de passer par une année de formation à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), à Rennes(2). Formation à laquelle on accède par un concours qui affiche entre 40 et 50 % de réussite. Valérie Bougeard, actuellement élève directrice des soins et préalablement formatrice en Ifsi à Versailles (78), s’y est présentée deux fois avant d’être reçue. « La direction de mon hôpital, qui m’avait déjà permis de suivre un master quelques années auparavant, n’a pas voulu soutenir ma démarche, explique-t-elle. J’ai donc du m’organiser sur mes congés pour suivre à chaque fois une préparation, la financer moi-même, aller au concours… » Parvenir à pousser la porte d’entrée n’est donc pas chose facile. Le concours est accessible après dix ans d’exercice de la profession initiale (infirmier, rééducateur ou médico-technique), dont cinq au moins comme cadre de santé ayant validé sa formation en IFCS(3). Si le passage par une fonction de cadre supérieur n’est pas obligatoire, c’est cependant une expérience qui pèse dans la réussite du concours d’entrée à l’EHESP. « C’est bien d’avoir déjà l’expérience de la conduite de projets stratégiques ou structurants, souligne Pascal Ardon, directeur des soins dans le groupe public de santé Perray-Vaucluse (Paris). Personnellement, je recommanderais à ceux qui ont ce projet de se glisser dans tout type d’instance accessible aux cadres : comités de lutte contre la douleur, comités de relations avec les usagers… Cela permet de rencontrer des professionnels d’autres métiers et de prendre un peu de recul. »

Étre titulaire d’un master représente également un plus ; c’est désormais le cas d’un grand nombre de cadres de santé puisque les IFCS sont souvent en partenariat avec des universités et permettent d’acquérir un double diplôme. « Pour moi, cela a été un tremplin dans le changement d’identité professionnelle et la formation en master m’a vraiment permis d’envisager concrètement l’évolution vers la fonction de DS », reconnaît Laurence Mélique. L’expérience universitaire permet également de développer des compétence de rédaction, d’analyse et de synthèse très utiles pour le concours.

L’entrée en formation est donc l’aboutissement d’un long cheminement. Un investissement personnel dans tous les cas, qui se poursuit pendant une année, loin de chez soi et de sa famille, entre enseignements théoriques et stages. Ce qui n’est pas négligeable pour des professionnels âgés en majorité entre 41 et 50 ans à l’entrée à l’école, et pour la plupart parents. « Tout cela doit avoir été envisagé au préalable et discuté en famille, observe Valérie Bougeard. D’autant qu’à la sortie, si votre établissement ne vous a pas réservé un poste, il y a de fortes chances pour que vous deviez déménager. » Mais ceux qui sont passé par ce cursus lui reconnaissent un gros point fort : « Nous sommes au contact des autres professionnels avec lesquels nous aurons à travailler une fois en poste : directeurs d’établissements, attachés d’administration hospitalière, inspecteurs de l’action sanitaire et sociale, etc. », poursuit Valérie Bougeard.

Les postes de directeurs des soins ne sont en effet pas si nombreux et leur nombre serait même en baisse. Au 1er janvier 2016, ils étaient 792 à œuvrer dans la fonction publique hospitalière. « Au fil des restructurations et regroupements, une centaine de postes ont été perdus sur les cinq ou six dernières années, estime Pascal Ardon, qui est également conseiller technique syndical au sein du CH-FO. Avec la création des GHT, les équipes de direction fondent… » S’ajoutent à cela entre 500 et 600 DS dans le secteur privé à but lucratif et probablement autant dans les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic).

UN MASTER DANS LE PRIVÉ

L’accès à un tel poste dans le secteur privé n’exige pas le passage par l’EHESP. Si les personnels des Espic peuvent y accéder, rares sont ceux qui en font le choix. Cela peut être lié à une méconnaissance des conditions d’accès ou au coût global de la formation, mais pas seulement. Dominique Reynaert-Watte, directrice des soins à l’hôpital Foch de Suresnes (92), n’a, par exemple, pas souhaité s’engager dans ce processus. « J’ai choisi un master en management hospitalier plutôt que Rennes, qui me semblait consacrer un statut et non une fonction, explique-t-elle. Moi, ce qui m’intéressait, c’était de rester dans le collectif de travail avec les médecins, les IDE, l’encadrement en général. »

Dans le secteur privé à but lucratif, les directeurs des soins passent également par la case master, afin de compléter leurs compétences en droit de la santé et du travail, en management, en organisation des soins, en gestion du risque et des affaires financières… Accessible en formation continue, ceux-ci peuvent être pris en charge par l’établissement employeur. Ce qui n’en diminue pas moins l’investissement personnel nécessaire. « J’avais une semaine de cours par mois, j’ai assimilé 50 ouvrages et présenté trois mémoires en deux ans », résume David Colmont, directeur des soins à l’hôpital privé Claude Galien de Quincy-sous-Sénart (91). Le tout en conservant ses responsabilités professionnelles.

ACCOMPAGNER LES MUTATIONS

Une fois en poste, les principales différences entre le secteur privé et le public/parapublic résident dans les relations interprofessionnelles, la dimension des équipes à manager et bien-sûr la rémunération (lire encadré ci-dessous). Tous ont pourtant à traiter de sujets communs : réorganisations et fusions, gestion du parcours patient et de la qualité des soins, gestion des ressources humaines (ou a minima, des compétences) et des relations avec les usagers… « Depuis plusieurs années, nous sommes également au premier plan pour gérer l’ouverture de l’hôpital vers la ville, organiser le virage ambulatoire, réduire la durée d’hospitalisation, développer l’aval, observe Laurence Mélique. Et ça, je peux le développer dès la formation initiale. »

Les matières à travailler ne manquent pas, même si le contenu des postes peut varier fortement entre les établissements et selon la volonté de la direction générale. « Mais nous sommes le seul soignant de l’équipe de direction, une personne ressource pour la direction générale sur le soin, la relation avec le patient et sa famille, et nous pouvons faire en sorte que cette expertise soit entendue et traduite dans la politique globale de l’établissement », insiste Pascal Ardon.

Parmi les missions qui font la fierté des directeurs de soins, on peut également citer la cohésion d’équipe dans des établissements malmenés par des réorganisations ou restructurations. Le point le plus délicat de la fonction. « Accompagner les débats collatéraux des fusions et des restructurations est difficile, confirme Pascal Ardon. Chez nous, les gens ont perdu 13 jours de congé. Ce n’est pas simple à faire accepter. » À l’hôpital Foch, lorsque Dominique Reynaert-Watte a pris ses fonctions, l’établissement avait tenté de se réorganiser plusieurs années durant sans directeur des soins. « Il m’a fallut reconstruire un groupe de cadres supérieurs, remettre du sens dans notre travail d’équipe, explique-t-elle. J’ai recruté en interne des personnes volontaires et présentes dans l’établissement depuis longtemps, c’était capital pour réinstaurer la confiance et la capacité à avancer ensemble. »

EN ÉVOLUTION CONSTANTE

L’innovation thérapeutique et la réorganisation des filières est un autre type de projet motivant. « En ce moment, je travaille sur un projet qui me passionne, cite par exemple Pascal Ardon. Cela consiste à accompagner vers la sortie des patients en santé mentale dont on soupçonne que l’hospitalisation elle-même est à l’origine de la chronicité. Il s’agit de construire une nouvelle filière avec de la prévention et des sorties encadrées. Si on y arrive, ce sera un changement de paradigme considérable et une grande satisfaction. »

Les directeurs des soins issus de l’Ehesp occupent à 66 % des postes de gestion en établissement de soins, mais 33 % sont à la tête d’un ou de plusieurs instituts de formation, où ils sont chargés de concevoir le projet pédagogique, en piloter la mise en œuvre et organiser l’enseignement. « Mais nous sommes tous directeurs des soins, et non directeur d’instituts, précise Laurence Mélique. C’est important, car dès la formation, nous sommes force de proposition et nous devons positionner les étudiants en fonction des évolutions des politiques de santé et des nouvelles stratégies d’organisation des soins. Par ailleurs, il est capital de pouvoir circuler entre les deux secteurs, la formation et la gestion au cours de la carrière afin d’être au plus près des évolutions. » Certains postes peuvent même associer les deux missions. Et d’autres postes sont également accessibles comme la direction de la qualité, la direction des ressources humaines, la direction des systèmes d’information, voir la direction d’hôpital ou d’établissement sanitaire et social via un concours sur titre.

Et comme l’hôpital, la mission de directeur des soins est elle aussi en évolution constante. « Le défi désormais, c’est d’aller de la seule gestion du sanitaire vers le social et le médico-social », résume Stéphane Michaud, directeur des soins au CH de Niort (79) et président de l’AFDS, association réunissant les directeurs des soins formés à l’EHESP.

QUID DE LA RÉMUNÉRATION ?

Quel que soit le secteur et le type de poste, aucun DS ne compte ses heures. « C’est un métier très envahissant, reconnaît Pascal Ardon. Il vaut donc mieux avoir un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée, sans quoi cela peut devenir usant et stressant. Je ne connais aucun directeur des soins qui soit réellement à 35 h. »

Des aspects de la fonction à mettre en regard avec le manque d’attractivité financière de la fonction. En effet, depuis que la grille de rémunération des cadres supérieurs de santé a été révisée, elle s’est dangereusement rapprochée de celle des directeurs de soins, et il n’est plus forcément si intéressant de passer d’une statut à l’autre. « Des directeurs préféreront conserver un “jeune” directeur des soins en faisant fonction, qui, lui ne verra pas forcément d’intérêt à s’investir dans une année de formation pour être rémunéré de la même façon ou presque », suggère Pascal Ardon. Des grilles qui expliquent peut-être qu’en 2015, seuls 42 % des postes ouverts étaient effectivement pourvus par des professionnels possédant le grade de DS(4)

« Je reste un éternel optimiste, observe pourtant Stéphane Michaud. D’autant plus avec la nouvelle organisation et les GHT, les directeurs des soins ont tout leur rôle à jouer. » Le législateur a positionné les DS dans les organes de gouvernance des établissements de santé en co-responsabilité avec les médecins et les autres managers.

1- Institut de formation en soins infirmiers – Institut de formation d’aide-soignant.

2- Pendant cette année de formation, les élèves directeurs des soins conservent leur rémunération (hors primes).

3- Institut de formation des cadres de santé.

4- Rapport d’activité 2015 du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière.

APPROFONDIR

À lire

→ AFDS, EHESP, FHF, « Directeurs des soins, et si on y croyait », étude sur la situation des directeurs des soins en France, 2016.

À consulter

→ Tout savoir sur l’accès au métier dans la fonction publique hospitalière, les dates au concours,le référentiel métier, les postes vacants : www.cng.sante.fr

→ L’association française des directeurs des soins : www.directeurdessoins-afds.com.

RÉMUNÉRATION

Le privé moins bien doté

→ En 2015, le cabinet de recrutement Hays évaluait la rémunération moyenne d’un directeur des soins infirmiers, tous secteurs confondus, entre 40 000 € et 70 000 € brut annuel, en fonction de l’expérience et primes exclues (le privé lucratif figurant plutôt dans la partie inférieure de cette fourchette). La rémunération brute d’un directeur des soins de la FPH s’échelonne de 2 399 €à 3 847 € brut (1), auxquels s’ajoutent un logement de fonction ou une indemnité compensatrice mensuelle de logement, une indemnité d’astreinte, la nouvelle bonification indiciaire, une éventuelle prime de résultat et de performance… Lorsque le DS accède à un emploi fonctionnel, il peut atteindre 4 976 € brut de rémunération au dernier échelon de la carrière. Compte-tenu de l’âge tardif d’entrée dans la fonction, il est rare que les directeurs des soins puissent évoluer jusqu’au sommet de la grille. Les salaires dans le secteur privé (lucratif ou non) sont par ailleurs plus facilement négociables, et peuvent être assortis d’une part variable (intéressement ou participation) allant jusqu’à 15 % du salaire fixe.

1- Source : www.emploi-collectivites.fr.

SECTEUR PRIVÉ LUCRATIF

Réorganisation permanente

Dans le secteur privé à but lucratif, l’exercice diffère. Essentiellement parce qu’en tant que responsables de l’organisation, les directeurs de soins (DS) ont à travailler avec des médecins libéraux. Mais n’étant pas salariés, ces derniers auraient parfois du mal à se soumettre aux règles. « Il faut donc trouver le moyen de les associer à la dynamique sans qu’ils se sentent contraints », résume David Colmont, cadre dans un établissement de 290 lits. Et si la relation ne fonctionne pas, ou qu’un médecin prend en grippe un DS, c’est celui-ci qui est assis sur un siège éjectable… « Car ce sont eux qui font rentrer l’argent », résume Olivier Decoster, directeur de la clinique de Bercy (75), après y avoir exercé la fonction de DS. L’aspect financier est en effet plus présent que dans les hôpitaux publics. « Même si nos actionnaires ne s’attendent pas à des dividendes énormes, on ne peut pas se permettre de déficit, observe David Colmont. Or, avec les baisses de tarifs, nous sommes en réorganisation permanente. » Ainsi, les DS ont en permanence l’œil sur le budget et les flux d’entrées/sorties. « J’utilise des processus quasi industriels, reconnaît Olivier Decoster. Mais c’est bien l’outil que je “processise”, pas l’humain, que ce soit le personnel ou le patient. »

Une autre différence réside dans la dimension des établissements, souvent plus petits que les établissements publics. « La voie hiérarchique est donc raccourcie, explique David Colmont. Nous avons davantage de contacts avec les soignants de terrain, mais nous sommes en même temps assez seuls dans notre fonction. » La dimension du travail en équipe pourra être fortement réduite et le DS peut rarement s’appuyer sur une équipe de cadres supérieurs. « On ne va pas non plus être assistés par une équipe qualité ou gestion des risques. Quant à partager une décision, ça n’existe pas vraiment, poursuit David Colmont. La responsabilité pèse uniquement sur moi. »