QUAND L’OBÉSITÉ PÈSE DE TOUT SON POIDS | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017

 

SANTÉ MENTALE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Evelyne Marciano*   Charles Lourioux**  

Les patients souffrant de pathologies psychiatriques connaissent une prévalence importante de l’obésité. Le CH psychiatrique Le Vinatier (Lyon) a mis en place un programme d’éducation thérapeutique prenant en charge l’obésité ou le surpoids compliqué d’une comorbidité, complété par des consultations infirmières de suivi.

L’obésité est un problème de santé publique décrit par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une « accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle qui représente un risque pour la santé ». À l’échelle mondiale, les cas d’obésité ont augmenté de plus de 50 % depuis 1980. Fin 2016, les premiers résultats de la cohorte Constances(1) révélaient que « près d’un Français sur deux de plus de 30 ans est concerné par un excès de poids ». Les patients souffrant de pathologies psychiatriques connaissent une surmortalité par rapport à la population générale ; une surmortalité qui n’est pas seulement liée au suicide, mais aussi à la fréquence élevée des pathologies somatiques.

L’obésité et les complications qu’elle entraîne (voir encadré) peuvent résulter de facteurs communs aux troubles psychiatriques, aux traitements psychotropes et aux modes de vie. Par ailleurs, ces personnes se trouvent souvent dans des situations précaires et sont isolées socialement, ce qui rend plus difficile l’accès à une alimentation équilibrée ou la pratique d’une activité physique régulière. L’enjeu d’une prise en charge adaptée étant crucial, un programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) a été mis en place en 2012 au CH Le Vinatier. Objectif ? Prendre en charge l’obésité et le surpoids compliqué.

Le temps des premiers bilans

Le programme est dédié aux patients âgés de 18 à 65 ans, qui présentent des troubles mentaux sévères avec une obésité ou un surpoids accompagnés des comorbidités associées : diabète de type 1 ou de type 2, syndrome métabolique, antécédents de pathologies cardiovasculaires datant de plus de 6 mois et échec de prise en charge ambulatoire de 6 mois pour la perte de poids.

Nous rencontrons M. M., accompagné de sa mère, lors du bilan éducatif partagé d’entrée pour faire le point sur ses problèmes de santé, fixer les objectifs et valider sa participation au programme d’ETP. Ce bilan est mené conjointement par le médecin référent et un autre membre de l’équipe - de préférence une infirmière susceptible de réaliser le suivi post-programme. Sa participation au programme est validée(2), car il présente une obésité compliquée par plusieurs comorbidités (problème cardiaque, stéatose hépatique, etc.) en plus des troubles psychiatriques pour lesquels il est suivi en ambulatoire. En revanche, il doit impérativement réaliser des examens auprès de son cardiologue et démarrer la prise en charge avec les diététiciennes. Nous lui expliquons qu’il bénéficiera également de plusieurs bilans durant la semaine précédant sa prise en charge : somatique, diététique, dentaire, psychomoteur, etc.

Tous les éléments notés pendant ce premier bilan d’entrée sont exposés lors de la réunion de concertation pluriprofessionnelle (RCP) initiale, qui regroupe les médecins, les infirmières, les diététiciens, les dentistes, les enseignants en activité physique adaptée (APA)… En fonction des échanges entre les professionnels et les souhaits du patient, nous pouvons organiser sa participation au programme, définir les ateliers optionnels qu’il suivra, etc.

Question d’équilibre

M. M. veut être hospitalisé durant tout le programme, car les déplacements lui sont difficiles. Sa requête est acceptée, d’autant qu’une hospitalisation dans son unité de secteur (l’unité d’hospitalisation psychiatrique dont il dépend suivant son lieu de résidence) a déjà été envisagée… Pour le moment, il n’a aucune notion d’équilibre alimentaire, mais il fait néanmoins des efforts pour limiter sa consommation d’alcool et de boissons gazeuses sucrées depuis ses premiers bilans. Résultat : il a déjà perdu 2 kilos. Nous envisageons également un travail psychomoteur autour du toucher et de l’image corporelle, en plus de l’acquisition de connaissances sur l’équilibre nutritionnel. Des ateliers odontologie et tabac lui sont également proposés.

Le programme d’ETP s’étale sur 6 semaines ; il est composé de différents ateliers de groupe et tables rondes autour de la nutrition, de la cuisine, de l’activité physique, des thérapeutiques, et de l’image corporelle.

→ La nutrition : les ateliers nutrition et l’atelier courses/cuisine ont lieu en alternance, en présence d’une IDE et d’une diététicienne. Au programme, des apports théoriques d’une part, mais aussi des réalisations pratiques (courses, cuisine).

→ L’activité physique : trois séances de 2 heures par semaine avec un enseignant APA. Les séances de réentraînement à l’effort servent à redonner goût à l’activité physique. Le but est qu’ils retiennent les exercices et étirements qu’ils pourront reproduire chez eux.

→ L’image corporelle : cet atelier hebdomadaire, animé par une psychomotricienne, participe à une réappropriation du corps, notamment à travers des ateliers sur le mouvement, le rapport à l’autre, à sa propre image et au toucher. Un autre atelier se penche, lui, sur le tabac.

→ La santé buccodentaire : optionnels, ces ateliers permettent de faire le point sur l’hygiène dentaire, le matériel utilisé, la technique de brossage et l’impact de la dentition sur l’alimentation et son apparence. Et si nécessaire, nous remettons des soins en route.

→ Les traitements : animés par une IDE et une pharmacienne, les deux ateliers se font à une semaine d’intervalle : un brainstorming à propos des idées reçues sur l’intérêt des traitements, et un métaplan avec un travail sur les effets indésirables.

→ Des tables rondes : elles servent à créer une dynamique de groupe. Nous présentons le programme et faisons le lien entre les attentes des participants, leurs difficultés et les ateliers proposés. D’autres tables rondes servent à préparer l’après-programme.

Le retour patient

Nous observons M. M. pendant les différents ateliers. Il respecte les consignes, mais a toujours du mal à intégrer les légumes dans ses préparations. Lors de l’atelier traitement, il participe peu, se réfugie derrière son téléphone, mais répond aux sollicitations des animateurs. En revanche, il ne se présente pas au second atelier. Il participe peu aux séances de réentraînement à l’effort, fournit des efforts intenses mais de courte durée. Découragé par son manque d’endurance, il négocie sa participation, utilise un humour provocateur, mais réussit à s’intégrer dans le groupe. Lors de la sortie randonnée, il arrive préparé (tenue adaptée et trousse à pharmacie), mais avoue ne pas se sentir capable de gravir les 600 marches jusqu’au sommet de la colline.

Le patient a mis fin à son hospitalisation lors de la troisième semaine du programme. Sa participation a été aménagée car il avait du mal à suivre un planning trop intensif. De plus, en raison de problèmes organisationnels et familiaux, nous avons décidé que la prise en charge se ferait en ambulatoire, et que M. M. ne suivrait que certains ateliers pour limiter les allers-retours. Après ces six semaines d’ateliers, nous retrouvons tous les professionnels pour la réunion de concertation finale. Les animatrices confient que M. M. a abandonné l’atelier psychomoteur après avoir mis à mal le groupe. Il a peu participé à l’atelier dentaire, et n’a reçu qu’un soin car il ne s’est pas présenté à ses rendez-vous. Il en ressort que s’il peut se mobiliser sur certains objectifs, il en abandonne rapidement d’autres. Et s’il a mis à mal le cadre de soin, il a pu toutefois trouver sa place dans le groupe, et parfois avoir des ressources pour se surpasser.

Le suivi infirmier

Les consultations infirmières de suivi sont initialement prévues à 1, 3, 6 et 12 mois de la fin du programme. Elles se déroulent dans le service des spécialités (pôle urgences psychiatriques/Mopha) et durent entre 30 minutes à une heure. Elles permettent de faire le point avec le patient sur ses habitudes de vie, ses difficultés suite au programme d’ETP, de recueillir des données cliniques (poids, périmètre abdominal, bilan biologique…).

Si au départ, M. M. repousse à plusieurs reprises la date de ses consultations, il reprend toujours contact. Il a repris du poids quelques semai?nes après la sortie du programme, mais il les a reperdus par la suite. Comme il souhaite proposer à nouveau son dossier pour une chirurgie bariatrique, nous avons mis en place un suivi mensuel et il a été accueilli deux fois en consultation par un binôme médecin-infirmier. Il a pu reprendre ses soins dentaires et les mener à bien, même si l’hygiène au quotidien reste à travailler. Il commence ses consultations en noircissant le trait, parlant de ses « excès » et « mauvaises habitudes ». Mais il apprend à relativiser, en expliquant ses efforts au quotidien.

Des objectifs réalistes

À l’issue de chaque entretien, nous définissons des objectifs éducatifs pour la prochaine consultation. Pour M. M., la difficulté est de trouver des objectifs adaptés : il oscille entre des objectifs multiples et très ambitieux (perdre 5 kilos et prendre 3 repas équilibrés par jour). Perdre du poids est un réel objectif, car il pense que cela résoudra bon nombre de ses problèmes de santé, l’aidera à se sentir mieux et peut-être à trouver une compagne. Il explique par contre que s’il a pris du poids avec l’instauration d’un traitement et qu’il en a perdu lorsqu’il l’a arrêté, il ne compte plus arrêter son traitement. Il se souvient des rechutes et de la souffrance que lui ont causée les hallucinations.

Pour ce patient, comme pour beaucoup d’autres, ces consultations servent à conserver la motivation et accumuler les petites victoires. Elles permettent de garder les bénéfices du programme au long cours. Et en tant qu’infirmiers, nous sommes les personnes ressources et les premiers témoins de ces changements.

1- Portée par l’Inserm et la Cnamts, Constances rassemble les données relatives à la santé de plus de 110 000 Français (bit.ly/2lyWX46).

2- Les critères de non-inclusion sont : refus du patient, pathologie psychiatrique non stabilisée, pathologie cardio-vasculaire datant de moins de 6?mois, et absence de médecin traitant.

CAS DE DÉPART

M. M., 29 ans, nous a été adressé par son psychiatre référent du centre médico-psychologique (CMP). Pris en charge pour schizophrénie, il présente une obésité de stade 3 (IMC 46), compliquée par des arthralgies, une stéatose hépatique et un antécédent de pityriasis versicolore. En plus d’être fumeur, il a des alcoolisations aiguës durant le week-end et des antécédents de consommation d’autres toxiques. Sa précédente demande de chirurgie bariatrique a été refusée en raison de ses antécédents psychiatriques.

HISTORIQUE DU PROJET

→ 2012 : Création du projet de programme d’ETP prenant en charge l’obésité et le surpoids compliqué en psychiatrie au CH Le Vinatier.

→ 2012 à 2015 : Formation 40 h ETP pour des agents du Pôle urgences psychiatriques/ Mopha.

→ 2015 : Validation du programme d’ETP porté par le Dr Fau par l’ARS pour 4 ans.

→ 2016 : Participation à la deuxième session de l’année, formation du reste de l’équipe d’ETP, autoévaluation annuelle du programme.

→ 2017 : Nomination d’une coordinatrice et d’un nouveau médecin responsable pour le programme d’ETP.

PATHOLOGIE

Les complications de l’obésité

« L’obésité correspond à un excès de masse grasse qui entraîne des inconvénients pour la santé et réduit l’espérance de vie », note l’Inserm, qui indique que « l’obésité globale, définie par un IMC > 30 kg/m2, avoisinerait les 16 % tandis que l’obésité abdominale, définie par un tour de taille ≥ 94 cm pour les hommes et ≥ 80 cm les femmes, s’avère bien plus fréquente (entre 41,6 et 48,5 %) ». L’obésité est liée à des facteurs génétiques et environnementaux : la surnutrition et la sédentarité.

Les complications sont nombreuses : cardiovasculaires, métaboliques, respiratoires, ostéo-articulaires, cutanés, néoplasiques, psychosociales (image corporelle, image de soi, stigmatisation au niveau de la société).

www.inserm.fr