« Tu es né » - L'Infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017

 

INITIATIVE

DOSSIER

Barbara Criscaut  

L’unité kangourou de l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart (92) a conçu un album destiné à réunir les premiers instants de la vie d’un enfant. Bain, biberon… L’équipe soignante y dépose ses souvenirs.

On pleurait beaucoup à la maternité ou on était un enfant cool ? À quelle heure suis-je né ?… Autant d’informations importantes, car il s’agit des premiers jours de vie ! » Infirmière à l’unité kangourou de l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart (92), Émeline Chaniet fait partie de l’équipe qui a conçu un album de naissance pour les bébés nés sous X. « Un enfant qui ignore tout du début de son existence peut souffrir d’un manque psycho-affectif. Nous cherchons à pallier cela, notamment par la mise en mots », explique-t-elle.

Un projet simple en théorie… mais qui a demandé une bonne dose d’obstination de la part d’ Émeline Chaniet et de sa collègue, Pauline Minjollet, psychologue. Car le premier problème s’est vite posé : comment financer cet objet, beau et solide, qui serait un album illustré, en couleurs et cartonné, donc coûteux ? Or, jusque-là, ces albums de naissance étaient fabriqués avec les moyens du bord - feuilles volantes agrafées ou cahiers recyclés - ce qui est compréhensible, puisque les naissances anonymes restent exceptionnelles (cinq par an en moyenne à Antoine-Béclère). Les moyens étant limités, c’est la Fondation Mustela qui a permis de finaliser la conception de l’album et d’en assurer la fabrication et la diffusion : il est donc mis gracieusement à la disposition de toute maternité française qui en ferait la demande. La deuxième difficulté était d’ordre psychologique : « Les naissances anonymes nous bouleversent tous », insiste Pauline Minjollet qui, lors d’une précédente tentative pour mener à bien un projet similaire dans une autre maternité, s’était heurtée « aux défenses mises en place par l’équipe soignante ». Émeline Chaniet le reconnaît bien volontiers : « La première fois que j’ai accueilli un bébé né sous X, j’étais effondrée. Il faut réussir à prendre du recul. » Cette fois, l’équipe a suivi.

Une écriture en binôme

Troisième défi à relever, la définition du contenu : que raconter et que taire ? que montrer ? comment ? Sur les dix pages, les intitulés de l’album reprennent les temps forts de la vie du bébé : premier bain, prise du biberon, anecdote particulière… Cette trame aide à rédiger un récit réaliste du séjour à la maternité, bienveillant mais neutre. Car il faut réussir à trouver « le ton juste, explique la psychologue : ni distancié et froid, ni trop émotionnel ou personnel ». Raison pour laquelle les visages des soignants n’apparaissent pas sur les photos. De même, à Clamart, le terme de « maman » a été écarté au profit de « mère de naissance ». L’équipe se méfie des projections affectives, avec des expressions telles que « c’est tellement triste ce qui t’arrive » ou « tu vas nous manquer… ». Par précaution, le texte est d’ailleurs rédigé par deux personnes au moins. « En général, nous demandons le soutien de la psychologue, explique Émeline Chaniet, car elle a plus de distance. »

Pour le récit, « on privilégie les faits positifs », insiste cette professionnelle. « On pourra écrire “Ta mère de naissance est venue te voir à plusieurs reprises. C’est elle qui a choisi ton prénom”. En revanche, on n’écrira jamais “Ta mère n’est jamais venue te voir, elle n’a pas voulu te donner de prénom”. » Pas question non plus de dresser le portrait d’un nourrisson idéal et donc irréel. S’il est « très demandeur des bras », s’il a eu une jaunisse et de la photothérapie, l’équipe le mentionne. Et c’est pour cette raison que l’infirmière veille à inclure une photo de l’enfant en pleins pleurs. Pour parachever la personnalisation de l’album, le texte est écrit à la main et à la deuxième personne : « Tu es né… ». Et Émeline Chaniet de conclure : « Si, de cette manière, on peut apporter quelques réponses à ces enfants, on aura déjà fait du beau travail ! »

ET DEMAIN

Un dispositif menacé ? Avec l’Italie et le Luxembourg, la France est l’un des rares pays à autoriser l’accouchement sous X et donc à « garantir une prise en charge globale - médicale, psychologique, affective - de l’enfant et de sa mère », souligne Pauline Minjollet, psychologue à l’hôpital Antoine-Béclère. Ailleurs en Europe, un autre dispositif existe, celui de la baby-box : l’équivalent, dans une version améliorée, de la tour à bébé moyenâgeuse, c’est-à-dire la mise à disposition de sites destinés à accueillir l’enfant abandonné. Mais si ce système protège relativement l’enfant, il condamne la mère à vivre sa grossesse et son accouchement dans l’isolement et peut-être la clandestinité. Raison de plus pour défendre le dispositif français, estime Pauline, inquiète « des menaces pesant sur l’accouchement sous X ».