L'infirmière Magazine n° 382 du 01/05/2017

 

MARISOL TOURAINE 2012-2017

ACTUALITÉS

À LA UNE

Sandra Mignot  

Alors que Marisol Touraine s’apprête à quitter son ministère, les organisations représentatives de la profession tracent un bilan peu réjouissant de son action.

Pour nous, c’est clairement un bilan décevant, résume Catherine Kirnidis, présidente du Sniil(1). Le cursus universitaire est toujours incomplet, l’Ordre n’a pas été soutenu, le problème des déserts médicaux n’est pas résolu, la dernière loi de santé a remis le médecin au centre de la prise en charge… Quant au soutien face aux suicides de nos consœurs, il a été inexistant. » À écouter les organisations infirmières, il n’est pas si simple en effet de trouver du positif dans le bilan de ce quinquennat marqué par la permanence à la tête du ministère d’une seule et même ministre. Un point dont on aurait pu supposer qu’il permette des améliorations sur la durée. « Malheureusement, l’œuvre de Marisol Touraine s’est surtout concentrée sur la loi de modernisation du système de santé, remarque Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI(2). Si elle avait été remplacée après cela, nous aurions pu espérer qu’un successeur veuille à son tour imprimer sa marque, cela n’a pas été le cas. »

Conditions de travail

Certes, la ministre de la Santé n’est pas la ministre des professionnels de santé et l’équipe de Marisol Touraine peut se targuer d’un résultat indéniable : la quasi résorption du déficit de l’Assurance maladie (voir graphique p. 10). Mais à quel prix ? « Quand on sait que 70 % du budget d’un établissement de santé est représenté par des dépenses en personnel, la recherche d’économies, cela dégrade forcément les conditions de travail », observe Nathalie Depoire, présidente de la CNI(3). D’autant qu’avec le vieillissement de la population et la chronicisation des maladies, les besoins, eux, augmentent. L’effectif des patients en ALD a doublé en vingt ans pour atteindre 10 millions selon la Cour des comptes. « On sent de plus en plus une pression du côté des agences régionales de santé(ARS) pour aller vers l’ambulatoire, confirme Karim Mameri, secrétaire général de l’Ordre infirmier. Ce qui signifie supprimer des lits et donc des soignants. » Or, seuls les patients les plus autonomes sont pris en charge en ambulatoire. « Ce qui accroît encore la charge de travail dans les services en hospitalisation complète », poursuit Nathalie Depoire.

Pourtant les effectifs infirmiers ne cessent de progresser selon le répertoire Adeli. « Mais ces chiffres sont sujets à caution, alerte Karim Mameri. Chaque nouvelle diplômée doit s’inscrire au répertoire, mais après elle n’aura plus aucun contact avec ce fichier. » Ce qui signifie que des professionnels ayant quitté la profession, voire des personnes décédées, peuvent encore y figurer ! Du côté du SNPI, on estime que 125 000 diplômés en âge d’exercer ne pratiqueraient plus le soin infirmier en France. « Il y aurait même un différentiel de 22 000 entre les professionnels diplômés chaque année et ceux qui entrent réellement dans la carrière », insiste Thierry Amouroux, qui évoque également une perte de 30 % durant les cinq premières années post diplôme.

Des informations difficiles à confirmer en l’état des recensements. « Et puis la question n’est pas tant celle de l’effectif total, mais celle du taux de présence au lit du patient, en incluant l’absentéisme de 8 à 10 % et en fonction des services, ajoute Nathalie Depoire. Car certaines unités de 20 lits peuvent présenter une charge de travail plus importante que d’autres qui en comptabilisent 30… »

Les représentants de la profession sont stupéfaits par l’absence de lien faite entre la qualité du soin, les conditions de travail et la recherche d’économies. Du côté des grandes centrales syndicales, on dénonce un véritable déni du ministère sur la question des conditions de travail. « Nous avons des collègues qui dorment dans leur voiture, et d’autres qui se suicident et laissent des lettres précises, souligne Olivier Mans, de la fédération nationale Sud santé sociaux. Cela n’arrivait pas il y a encore dix ou quinze ans. » Son syndicat s’est appliqué à compter le nombre d’établissements « en lutte » au 1er février 2017. Résultat : ils étaient 151 concernés par une grève, un débrayage, une manifestation, la signature d’un pétition, une démission collective, etc.

« Cela fait dix ans que les plans se succèdent, déplore Thierry Amouroux. Entre Hollande et Sarkozy, nous n’avons pas vu la différence. C’est quand même terrible. » Et le plan de prévention annoncé après que cinq infirmiers (puis un sixième en février dernier) se soient donné la mort pendant l’été ne rassure pas davantage. « Cela ne dit rien aux professionnels, note Brigitte Ludwig, présidente de l’Unaibode(4). Si les difficultés de remplacement dans les services demeurent, nous ne voyons pas quel impact ce plan pourrait avoir au quotidien. » « On nous propose des psychologues, des assistantes sociales, mais on ne travaille pas sur ce qui génère le malaise des soignants », regrette Nathalie Depoire.

La réingénierie des formations

Autre grande déception : la réingénierie des formations. « Les puéricultrices ont quand même un programme qui n’a pas été mis à jour depuis 31 ans », s’indigne Karim Mameri. Depuis 2008, les représentants de la spécialité ont activement participé aux travaux de réingénierie du diplôme d’État de puéricultrice organisés par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Les référentiels d’activités et de compétences ont été validés début 2009… sans aucune suite. Du côté des Ibode, le référentiel de compétences à été mis à jour, mais publié après les textes concernant la VAE(5) en 2014. « Des professionnels avaient débuté des cursus et ne peuvent pas les finaliser, observe Birgitte Ludwig. Nous venons de commencer le travail sur la réingénierie et tout rentrera dans l’ordre, mais quand même… » Enfin du côté du cursus IDE, le Cefiec(6) constate que beaucoup de groupes de travail ont été lancés, puis interrompus, puis repris à l’approche de la fin du quinquennat, sans jamais mener nulle part : évaluation des stages ou de la qualité de la formation, amélioration de certaines unités d’enseignement… « Dès qu’un problème se pose, ce gouvernement lance un groupe de travail qui ne débouche jamais sur rien », regrette Olivier Mans.

« Sur le tutorat, nous avons beaucoup travaillé pour déboucher sur une formation de seulement 4 jours, très loin de la professionnalisation que nous recherchions », tempête, de son côté, Martine Sommelette, présidente du Cefiec. Quand à la réingénierie des formations cadres, aide-soignantes ou auxiliaires de puériculture, des groupes de travail viennent d’être relancés au ministère. « Mais les AS et les AP ont entamé leur réflexion dès 2005, soupire Martine Sommelette. Toutes les professions auraient dû suivre la réorganisation du cursus infirmier dans le dispositif LMD(7) accordé en 2009. »

La seule source de satisfaction réside dans l’attribution du grade de master au diplôme d’Iade, « obtenu après moults mobilisation, et parce que quand les Iade ne sont plus au bloc, il n’y a plus d’intervention », observe Thierry Amouroux.

La profession ronge son frein devant un paysage sanitaire qui se fragilise, alors qu’elle pourrait davantage participer à la permanence du soin. « Les besoins sont là et nous avons les compétences, déplore Nathalie Depoire. Il y a des zones qui manquent de pédiatres et de généralistes où les organisations infirmières sont prêtes à travailler sur une évolution des pratiques. Et si on s’activait à mettre en place un cursus LMD complet qui débouche sur de la recherche, à terme, le système de santé y gagnerait financièrement. »

Du côté des actes

Du côté des actes, quelques avancées ont été observées. Le droit de prescription des substituts nicotiniques (autorisé par la loi de modernisation du système de santé de janvier 2016) est peut-être raillé par certains, vu comme une aumône par rapport aux compétences que les infirmières aimeraient pouvoir déployer. « Pourtant, c’est une réelle avancée, car il ne s’agit pas d’autoriser le renouvellement sur la base d’une ordonnance déjà prescrite, relève Karim Mameri. C’est désormais inscrit dans notre rôle propre. » Malheureusement, on pourra regretter qu’aucune cotation correspondant au suivi d’un sevrage tabagique n’y soit associée. Les Ibode ont, quant à elles, obtenu un décret d’actes exclusifs en janvier 2015, considéré comme une reconnaissance pour la spécialité. « Nous avons vraiment travaillé sur ce sujet dans une très grande concertation avec les services du ministère, les chirurgiens, les internes et les fédérations, note Brigitte Ludwig. C’est une grande satisfaction et une vraie avancée. » Pour la vaccination, en revanche, les infirmières restent sur leur faim. « Nous avions obtenu lors du quinquennat précédent la possibilité de vacciner les personnes âgées, mais nous pouvons faire davantage et il suffit d’abroger un arrêté, fulmine Thierry Amouroux. Dans tous les pays du monde, les infirmières vaccinent. » Au lieu de cela, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017 a entériné une expérimentation de la vaccination par les pharmaciens. Les infirmières n’ont heureusement pas dit leur dernier mot. Des travaux sur l’évolution du décret d’actes, relancés en février dernier, suite à la succession de manifestations infirmières qui aura marqué cet hiver 2016/2017, déboucheront peut-être sur l’autorisation de vacciner plus largement. Enfin, les organisations professionnelles se réjouissent de la reconnaissance des pratiques avancées, désormais définies par la loi de modernisation du système de santé de janvier 2016. « C’est un amendement qui a été porté par l’Ordre, souligne Karim Mameri. Un groupe de travail vient d’ouvrir sur ce sujet au ministère pour définir une grille de rémunération, un référentiel de formation et de compétences, etc. »

Quant aux libérales, même si les motifs de contestation sont infiniment plus nombreux, elles reconnaissent l’intérêt du développement des maisons de santé pluriprofessionnelles, pour un exercice en équipe, ainsi que celui du tiers payant généralisé, autre grand projet porté par Marisol Touraine. « Nous attendons néanmoins que les procédures de remboursement soient simplifiées », conclut Catherine Kernidis…

Les étudiants, enfin, se montrent plutôt satisfaits de ce quinquennat. « Nous avons été associés très tôt aux différentes concertations, nous avons pu participer aux groupes de travail sur la gouvernance des instituts de formation », note Clément Gautier, président de la Fnesi(8). L’alignement des bourses sur celles de l’enseignement supérieur a été obtenu pour la prochaine rentrée. « Et nous travaillons en ce moment avec la DGOS à l’augmentation de nos indemnités de stage, qui pourrait être actée avant l’élection présidentielle. »

1- Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux.

2- Syndicat national des professionnels infirmiers.

3- Coordination nationale infirmière.

4- Union nationale des associations d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État.

5- Validation des acquis de l’expérience.

6- Comité d’entente des formations infirmières et cadres

7- Licence-master-doctorat.

8- Fédération nationale des étudiant.e.s en soins infirmiers.

MESURES PHARES

→ Prise en charge à 100 % de l’IVG

→ Remboursement de la pilule contraceptive pour les mineurs de moins de 15 ans

→ Adoption du paquet de cigarette neutre

→ Généralisation de la couverture complémentaire santé d’entreprise

→ Généralisation du tiers payant

→ Ouverture du don du sang aux homosexuels (sous condition)

→ Ouverture de la première salle de shoot en octobre 2016

LES GRANDES DATES DU QUINQUENNAT

→ MAI 2012

Création par l’Assurance maladie, le Ciss, et 60 millions de consommateurs de l’Observatoire citoyen des restes à charges en santé.

→ OCTOBRE 2012

L’Assemblée vote la fin de la convergence tarifaire entre hôpitaux publics et établissements privés.

→ DÉCEMBRE 2012

Loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.

→ DÉCEMBRE 2013

Création de huit maisons de naissance à titre d’expérimentation (loi du 6 décembre 2013, puis décret du 30 juillet 2015).

→ 2014

Création des infirmières cliniciennes en cancérologie officialisées dans le cadre du Plan cancer 3.

→ JUIN 2014

Neuf régions pilotes sont sélectionnées pour expérimenter la télémédecine en ville pour les résidents d’Ehpad et les patients souffrant d’ALD

→ 17 DÉCEMBRE 2014

Décret attribuant le grade de master aux Iade à compter de septembre.

→ 29 JANVIER 2015

Décret relatif aux actes exclusifs Ibode.

→ 10 AVRIL 2015

Amendement supprimant l’Ordre national infirmier. Rétablissement par le Sénat en commission des affaires sociales le 22 juillet 2015.

→  JANVIER 2016

Reconnaissance des infirmières en pratique avancée et prescription des substituts nicotiniques par l’infirmier (loi de modernisation du système de santé).

→ 3 FÉVRIER 2016

Promulgation de la loi Clayes-Leonetti sur la fin de vie instaurant un « droit à la sédation profonde et continue » et l’opposabilité des directives anticipées.

→ 11 FÉVRIER 2016

Grande conférence de santé.

→ 29 AVRIL 2016

Décret lançant la création des groupements hospitaliers de territoire, qui rassemblent 850 établissements public en 135 entités (loi de modernisation de notre système de santé).

→ JUIN 2016

Déploiement du dispositif Paerpa en 2014, avec 9 territoires pilotes. Extension de l’expérimentation à 15 territoires.

→ 27 NOVEMBRE 2016

Publication au JO du code de déontologie, dont le texte était prêt depuis 2008.

→ 29 DÉCEMBRE 2016

Décret sur l’harmonisation des bourses des formations sanitaires et sociales.

VERBATIM

L’attitude de la ministre ne nous a

pas soutenu et nous avons perdu du temps. Elle avait préalablement laissé entendre que l’inscription à l’Ordre pourrait être facultatif pour les hospitalières. Cela a discrédité notre rôle, mais nous avons heureusement pû continuer à avancer. Le bon sens et l’intérêt collectif ont pris le dessus. Y compris avec la publication du code de déontologie qui attendait sur le bureau du ministère depuis 2011.

Karim Mameri

Secrétaire général de l’Ordre national infirmier

LA PAROLE AUX CHIFFRES…

ET AUSSI…

→ Création de maisons pluriprofessionnelles de santé : 2013 : 240 ; 2014 : 436 ; 2015 : 616 ; 2016 : 778 (et 382 projets sélectionnés).

En moyenne, elles sont équipées de 9,1 paramédicaux.

Source : DGOS/Observatoire des recompositions

→ Reste à charge hors mutuelles

2012 : 13 milliards d’€ ; 2014 : 13,5 milliards d’€

Source : Observatoire citoyen des restes à charge en santé

→ Accès aux soins :

le délai moyen d’obtention d’un rendez-vous chez un médecin spécialiste libéral est passé de 48 à 61 jours en cinq ans. Chez un généraliste, le délai est d’une semaine, le double de 2012

Source : Observatoire de l’accès aux soins réalisé par l’Ifop pour le cabinet Jalma, mars 2017

→ Projets PHRIP * sélectionnés :

2010 : 16 (sur 84 soumis) pour 951 000 € ; 2011 : 21 (sur 113) pour 1 221 300 € ; 2012 : 19 (sur 112) pour 1 271 219 € (de 5 335 à 122 804 €) ; 2013 : 20 (sur 133) pour 2 098 890 € (de 31 837 à 338 251 €) ;

2014 : 28 (sur 130) pour 4 418 369 € (de 64 187 à 289 005 € par projet) ;

2015 : 22 (sur 163) pour 3 679 000 € (de 60 996 à 373 502 € par projet) ;

2016 : 18 (sur 156) pour 3 019 912 € (de 69 880 à 288 628 € par projet)

Soit 144 projets financés.

* Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale.

Source : DGOS

2 QUESTIONS À
Jean-Luc Harousseau, ancien président de la Haute Autorité de santé (HAS)

Dans quels axes avez-vous cherché à faite évoluer l’institution ?

J’ai mis en œuvre une ouverture en direction de l’ensemble des partenaires : les directions des ministères, l’Assurance maladie, mais aussi tous les professionnels, et enfin les patients. Nous avons tenté de remédier à la lenteur d’action de l’agence, de déployer des outils de travail plus accessibles et plus rapides à lire. Nous avons aussi voulu développer l’évaluation médico-économique, alors que les coûts du système de santé sont de plus en plus lourds à porter. J’ai également souhaité amplifier un certain nombre d’actions comme la promotion de l’organisation du travail en équipe, avec, par exemple, les protocoles de coopération notamment au sein des maisons de santé pluridisciplinaires. Il s’agissait de réunir les médecins et les IDE afin que la prise en charge ne soit pas qu’une succession d’actes. Ainsi, au lieu d’élaborer un guide des malades chroniques destiné aux médecins, nous avons conçu des outils permettant de cibler les points critiques et les professionnels qui doivent intervenir à ces moments-là. Nous avons également développé des indicateurs de qualité et de sécurité des soins davantage tournés vers la pratique.

La gestion des conflits d’intérêt par l’agence était-elle satisfaisante ?

Sur ce sujet, nous sommes restés dans la lignée de nos prédécesseurs. J’ai pris mes fonctions en plein conflit du Mediator et de la rédaction de la loi Bertrand. Pendant les deux premières années de mon mandat, nous avons élaboré un nouveau guide de gestion des conflits d’intérêt, plus strict. Cela a entraîné beaucoup de difficultés. Il nous a fallu rechercher des experts sans conflits d’intérêt. Pour les recommandations de bonnes pratiques, c’est particulièrement difficile, car les experts sont aussi souvent les leaders d’opinion. Et quand nous y sommes parvenus, les sociétés savantes nous ont dit qu’ils ne connaissaient pas nos experts, qu’ils ne pouvaient pas être bons… Mais l’ADN de l’HAS, c’est d’être indépendant, notamment de l’industrie, mais aussi des patients, des lobbies, du ministère, etc. Je crois que nous y sommes parvenus.

PROPOS RECUEILLIS PAR SANDRA MIGNOT