FORMATION
ÉTHIQUE
Aurélie Josse* Nyloufar Sanhamut**
*infirmière en unité de médecine des adolescents (UMA)
**infirmière de pool en unité de réanimation et d’urgences adultes, centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie
Que se soit en unité de médecine des adolescents (UMA) ou en réanimation, la pose de contentions physiques est un soin parfois nécessaire lorsque la sécurité du patient est en jeu. Questionnements éthiques à partir de l’analyse de deux situations cliniques.
Nous nous sommes rencontrées au cours de notre formation clinicienne, toutes deux motivées à présenter une réflexion éthique professionnelle sur la pose de contentions physiques sur prescription médicale. Une pratique que nous rencontrons fréquemment dans les services où nous exerçons, en unité de médecine des adolescents (UMA) et en unité de réanimation et d’urgences adultes, au CHU Amiens-Picardie (80).
→ Appelée par ma collègue auxiliaire, j’arrive dans la chambre de T., agité et en pleine crise clastique. À nos côtés, le médecin cherche la raison de son état. Il lui demande s’il souhaite faire venir sa mère, mais reste sans réponse. T. s’automutile en se tapant la tête contre le mur à plusieurs reprises. Il projette la table de lit et la chaise vers nous.
→ Afin de le protéger, j’explique à T. que nous allons l’installer sur le lit : un externe et moi-même le tenons sous les bras en coude à coude pour le mobiliser. Je lui parle pour le rassurer, mais T. poursuit en se mordant les poignets et en ne desserrant plus la mâchoire de son bras. Son visage est congestionné, rouge et ses yeux sont exorbités avec un regard fixe. Le médecin envisage un traitement sédatif par voie orale pour l’aider à lever ses angoisses. Alors que j’invite T. à le prendre pour se sentir mieux, il jette violemment le gobelet au sol et crie qu’il n’en veut pas. J’explique à T. que nous sommes là pour l’aider, que nous ne pouvons pas le laisser se blesser ainsi. Le médecin demande alors de lui faire une injection en intramusculaire (IM) pour l’aider à se calmer. Deux agents de sécurité appelés en renfort arrivent et se placent de chaque côté de l’adolescent. Tout le temps de l’action, j’explique à T. qu’il va être maintenu allongé sur le lit pour que je puisse réaliser l’injection. T. hurle : « Lâchez-moi, non, je ne veux pas !! » Il se débat, il a le corps tantôt en opisthotonos(1), tantôt sur le lit et crie : « Je veux rentrer chez moi ! » Afin d’attendre l’action de la contention chimique, les contentions physiques poignets et chevilles sont posées, sur prescription médicale. L’auxiliaire et moi-même restons avec T. pour lui expliquer que les contentions seront retirées dès que le traitement agira et qu’il sera plus calme. Nous maintenons une surveillance.
→ Les contentions physiques seront enlevées 20 minutes plus tard. Nous prévenons la famille de la situation et procédons à la traçabilité de l’appel et de l’évaluation sur le logiciel informatique.
→ M. P. est hospitalisé en réanimation. À l’arrêt des sédations, son état permet la pose de contentions physiques au niveau des poignets, sur prescription.
→ Durant la phase de réveil, lorsque M. P. commence à ouvrir les yeux, je me présente et prends le temps avec une voix calme et posée, de lui donner les informations afin qu’il se repère dans le temps et dans l’espace. Je l’informe sur son état de santé. Je lui explique la raison des contentions en précisant qu’elles sont posées transitoirement : « Au réveil, on a le réflexe d’enlever le tuyau qui nous aide à respirer. On retirera vos liens dès que possible. » Je l’aide à se détendre malgré ces contraintes autour de lui.
→ J’ai recours au toucher-massage pour rassurer M. P. et l’accompagner lors de cette phase. L’état du patient permet au médecin de prescrire l’extubation. La prescription de contention physique est ensuite levée. L’entourage de M. P. est informé de cette prescription provisoire, par téléphone. Une traçabilité sur le logiciel informatique est effectuée.
En cas de danger imminent pour le patient, la pose de contentions physiques pour un temps limité peut s’avérer nécessaire afin de le sécuriser. Les soignants se réfèrent à la dernière version (janvier 2017) de la procédure de pose de contentions physiques consultable sur la gestion électronique documentaire (GED) de l’établissement. Elle a été élaborée par le groupe de travail institutionnel « droits des patients », auquel nous avons participé, dans le cadre de la certification HAS V2014.
Nous avons d’abord mis en place des mesures relationnelles et environnementales :
• isoler le patient dans une pièce pour favoriser un environnement calme et apaisant. Ceci évite également l’inquiétude des autres patients de l’unité, pour ne pas dire l’anxiété ou l’angoisse face à une telle auto ou hétéro-agressivité ;
• sécuriser en retirant tous les objets potentiellement dangereux pour lui ou autrui ;
• déployer le personnel pour assurer tant la sécurité du patient que celle des soignants ;
• parler de manière posée, calme et simple afin que le patient comprenne bien les explications données. Le ton de la voix l’amène à s’apaiser.
Il est primordial d’expliquer au patient ce que nous mettons en œuvre afin de l’amener à réajuster son comportement. Bien souvent, devant un tel débordement émotionnel, les mesures alternatives – en l’occurrence relationnelles et environnementales – sont insuffisantes. Il devient nécessaire de prescrire les contentions. Le rôle de l’IDE est alors de rester en contact le plus possible avec le patient verbalement, ce qui permet une réassurance dans une situation où il est très entouré par le personnel mobilisé.
Le patient, à son réveil, peut être confus et agité : il y a risque d’auto-ablation des dispositifs médicaux tels que la sonde d’intubation, les cathéters, les drains, etc., lié au stress induit par l’effet des sédations et de la chirurgie. Nos objectifs sont la réassurance et la mise en confiance du patient pour assurer sa sécurité. Dans ce cas, les contentions physiques sont des moyens de prévenir des complications. Ce que nous avons mis en place :
• livrer les informations au patient pour lui donner des repères spatiaux-temporels ;
• l’aider à se détendre malgré les dispositifs médicaux présents autour de lui et l’environnement bruyant, générateur de stress. Nous lui proposons une respiration guidée, adoptons des attitudes calmes et une voix posée ;
• le rassurer tout en lui faisant prendre conscience qu’il va être attaché jusqu’à ce qu’on retire le tuyau pour respirer et lui rappeler qu’il est entouré d’une équipe pluridisciplinaire ;
• lui indiquer la planification de ses soins.
Dans ces deux situations, ce qui est primordial, c’est de protéger le patient. Le code de déontologie l’énonce bien (art. R. 4312-10) : « L’infirmier agit en toutes circonstances dans l’intérêt du patient. » Le texte évoque aussi le devoir d’humanité qui peut justifier le droit de refuser un soin (art. R. 4312-12). En tant que soignants, ce soin – la pose de contentions physiques – nous place face à un dilemme éthique. Il est vécu différemment dans les deux situations présentées, la contention intervenant dans la première après l’échec de mesures alternatives tandis qu’elle est prévisible dans la seconde.
Dans les deux cas, nous privons le patient d’une liberté partielle d’agir et, en même temps, nous le sécurisons. Ce dilemme n’est pas évident à vivre. La littérature le dit bien : « Sentiment de culpabilité, d’échec, de gêne ou de frustration par rapport à la mise sous contention d’une personne. Évocation de situations mal vécues. »(2) Comment concilier le respect de ce droit fondamental qu’est la liberté de la personne, de sa dignité et de sa volonté, et le souci de sécurité du patient impliquant le recours à des moyens coercitifs tels que la contention physique pour ses soins ?
→ Principes et concepts
→ Face à ce questionnement éthique, nous en référons à deux principes :
• la bienfaisance : si nous choisissons d’être soignant c’est parce que nous voulons agir pour le bien de la personne.
• l’autonomie : nous respectons les décisions et les choix des personnes autonomes.
C’est en nous appuyant sur ces deux principes que nous essayons d’être le plus juste possible afin de garantir le respect de la personne. Nous avons conscience de l’importance de prendre en compte la balance bénéfices-risques au regard de la situation et du contexte.
→ Concept de la sollicitude. Faire un soin qui contraint la liberté du patient requiert pour le soignant une attention particulière et une remise en question de soi. Des interrogations surgissent : a-t-on bien épuisé toutes les ressources avant de recourir à la contention ? Ne sommes-nous pas allés trop loin au regard des objectifs ? Les soignants qui le souhaitent peuvent s’appuyer sur une éthique de la sollicitude selon les philosophes Paul Ricœur et Alain Renault.
• Le Larousse définit la sollicitude comme des soins attentifs, affectueux à l’égard de quelqu’un.
• Alain Renault caractérise très bien la sollicitude dans le contexte de ce soin contraignant des contentions physiques : « La sollicitude est un sentiment de responsabilité que nous éprouvons à l’égard d’autrui dans une situation de vulnérabilité. »
• Paul Ricœur, lui, la définit « comme une visée bonne avec et pour les autres dans des institutions justes ». Il évoque l’estime de soi (qui signifie se soucier de l’autre, s’enrichir de l’autre) et la sollicitude qui ne peuvent se dissocier. Même lors d’un soin contraignant, nous sommes donc dans « le prendre soin ». Nous sommes dans le souci de l’autre en le sécurisant. Et Paul Ricœur de souligner : « La sollicitude est une spontanéité bienveillante, intimement liée à l’estime de soi au sein de la visée bonne. […] Je suis cet être qui peut évaluer ses actions et en estimant bons, les buts de certaines d’entre elles, capable de s’évaluer lui-même, de s’estimer bon. » Finalement, notre capacité de libre arbitre et de pouvoir juger en ressort. Il est important de ne pas banaliser ce geste. Nous devons être dans le jugement clinique et l’ajuster en permanence. Capacité de libre arbitre, prendre soin, souci de l’autre, pouvoir juger caractérisent notre pratique au quotidien. Par ces principes et ce concept, nous sommes dans l’empathie.
→ Questionnement éthique
• Pourrions-nous anticiper l’information à la mise éventuelle de contentions auprès des usagers et de l’entourage ? Recueillir le consentement de la personne dès lors quelle est en mesure de l’exprimer serait alors possible. N’est-ce pas souhaitable au regard des droits fondamentaux ?
• Comment déculpabiliser le personnel soignant ?
• Quel sens peut-on donner ensemble (équipe soignante, patients et entourage) à une contention physique nécessaire, mais transitoire ?
→ Ce que nous proposerions :
• Une information au patient dispensée lors des consultations pré-anesthésiques. De manière générale, il faut être vigilant quant à la manière d’informer le patient ou l’adolescent, afin que la contention ne soit pas vécue comme une punition, une brimade.
• La contention physique ne doit pas rester un sujet tabou. Il faut oser en parler en équipe pluridisciplinaire, qu’il s’agisse du vécu émotionnel du patient, de l’entourage et du soignant.
• La qualité des soins est au cœur de nos préoccupations en tant que soignant. Il est important de former le personnel et de faire des analyses de pratiques pour permettre d’améliorer la pose de contentions physiques. Par exemple, le recours à la contention ne doit pas être effectué pour le confort du soignant. Il s’agit d’être dans une vision « juste » du soin.
1- Contracture de tous les muscles postérieurs du corps donnant à celui-ci une attitude caractéristique : arqué en arrière, le malade, quand on l’allonge sur le dos, ne repose sur sa couche que par les talons et l’occiput.
2- Mignot S. « La contention, responsabilités individuelles et collectives ». Objectif soins et management, novembre 2016, n° 250.
Selon la Haute autorité de santé, « la contention physique, dite passive, se caractérise par l’utilisation de tous moyens, méthodes, matériels ou vêtements qui empêchent ou limitent les capacités de mobilisation volontaire de tout ou d’une partie du corps dans le seul but d’obtenir de la sécurité pour une personne (âgée…) qui présente un comportement estimé dangereux ou mal adapté. La contention peut être physique passive (mécanique), physique active (intervention du corps), chimique (psychotropes), architecturale (chambre d’isolement, unité fermée, vidéosurveillance…) voire psychologique (par l’usage d’injonctions collectives et répétées de la personne) ».
Source : Évaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé. Limiter les risques de contention de la personne âgée, HAS, octobre 2000 – http://bit.ly/2nEMEd0 – Voir aussi les références bibliographiques p. 59.