AUTONOMIE
DOSSIER
docteur en philosophiecadre supérieur de santé
Les pratiques avancées sont une opportunité pour la profession d’affirmer son autonomie. Mais comment compte-t-elle se l’approprier ? Et sera-t-elle réellement synonyme d’émancipation ?
Nous avons assisté ces trente dernières années à une évolution non négligeable de la posture infirmière. Commençons par la tenue même de l’infirmière où, durant cette période, le « calot » et le « tablier » ont disparu. D’accord, je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…Néanmoins, ces accessoires construisaient la symbolique et cantonnaient l’infirmière à une position de « garçon boucher/bon petit soldat » face à la hiérarchie (l’infirmière générale). Le pouvoir médical, lui, s’autorisait gentiment à se déboutonner, laissant deviner le poitrail velu du mâle dominant avec une blouse flottante en guise de cape de super-héros. À cette époque, l’infirmière exécutait les soins. Nous assistions toutefois à l’émergence d’un concept un peu fou pour l’époque : la démarche de soins. Par ce biais, l’infirmière formalisait elle-même l’organisation, la mise en œuvre et l’évaluation d’un soin. Dans les années 1980, un premier pas vers l’autonomie est franchi.
Mais revenons à la source de ce concept d’autonomie. Selon l’étymologie grecque, le terme autonomie vient du préfixe autos, qui signifie soi-même, et de nomos, la loi. Il s’agit donc, dans son sens premier, du fait de se soumettre à sa propre loi. À partir de là, il y a deux façons de conceptualiser l’autonomie. La première est la vision anglo-saxonne libérale, qui rejoint le sens étymologique et pour qui l’autonomie signifierait n’obéir idéalement à personne d’autre qu’à soi-même. Cette vision à tendance libertaire reste bien ancrée chez les Anglo-Saxons. En Europe, par contre, c’est la conception de l’autonomie développée par l’esprit des Lumières et bien analysée par Emmanuel Kant qui prévaut. Elle est à la base de nos démocraties. L’autonomie est définie par une liberté pour soi-même qui ne doit pas nuire à autrui. C’est bien sûr de cette autonomie qu’il convient de discourir dans le cadre professionnel infirmier.
En termes de posture, notre émancipation s’est cons?truite à travers la volonté consciente de faire grandir notre profession et une ambition universitaire. Un objectif de longue date qui a abouti à la possibilité de rejoindre un cursus universitaire digne des plus grandes représentations socio-culturelles. On arrive aujourd’hui à une autonomie construite en termes de savoirs et de reconnaissance, mais qui reste très incomplète. Et il convient de garder un regard critique sur cette évolution si nous souhaitons réussir cette autonomie.
À la fin des années 1990, on voit apparaître les premières tentatives françaises de mise en œuvre du diplôme d’infirmière clinicienne venu du Canada. Mais il faudra attendre l’entrée de la profession à l’université pour donner du poids à cette spécialité. Et, bien que formées, les compétences des IDE n’ont jamais réussi à être légitimées pour être exploitées par le système de santé. Ces pratiques avancées trouvent aussi des possibilités de promotion, parce qu’elles sont une réponse à la désertification médicale des zones rurales, au besoin institutionnel de raccourcir la durée moyenne de séjour du patient et la planification de sa sortie anticipée. On peut croire donc à une évolution sensible de nos compétences qui tend effectivement à nous donner davantage de marge de manœuvre, et donc d’autonomie dans le management du parcours de soins des patients. Et, il est légitime à cet égard de voir augmenter notre responsabilité juridique.
Toutefois, dans ce contexte, c’est l’environnement qui pousse à une autonomisation « utilitariste » de la profession. Autrement dit, les raisons favorables à l’arrivée des infirmières de pratiques avancées ne sont pas construites à partir de l’évolution de la profession elle-même, mais plus à partir des besoins du système. Ce n’est pas forcément un mal en soi si nous nous en saisissons pleinement, mais c’est aujourd’hui davantage le reflet d’une soumission librement consentie au système qu’une vraie volonté de libération professionnelle. Notre profession évolue, progresse, s’autonomise. Mais nous, soignants, devons rester très vigilants aux dangers que représenterait une évolution professionnelle qui serait mue par une autre volonté que celle de la profession elle-même.
→ 1993 : décret du 16 février relatif aux règles professionnelles des infirmières, précisant à nouveau le rôle propre.
→ 2004 : décret d’actes et d’exercice infirmier du 29 juillet relatif aux parties IV et V du code de la santé publique.
→ 2016 : décret du 25 novembre portant parution du code de déontologie.