L'infirmière Magazine n° 382 du 01/05/2017

 

FORMATION

APPRENTISSAGES

Hélène Trappo  

L’AP-HP a opté pour le raisonnement clinique partagé, en cours de déploiement depuis 2015. Explications avec Isabelle Beau(1), cadre supérieure de santé à la direction des soins et activités paramédicales, et Laurence Rousseau Pitard(2), cadre de santé.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelle a été la genèse du projet et quels sont les objectifs

ISABELLE BEAU : Nous nous sommes aperçus que fonder la démarche clinique uniquement sur les concepts de la Nanda(3) était assez restrictif. Nous avons donc décidé de nous intéresser à ce qui se faisait ailleurs. Notre choix s’est porté sur le modèle trifocal élaboré par Arlette Marchal et Thérèse Psiuk (voir p. 50), avec pour objectif final la construction de chemins cliniques au sein d’un parcours patient. En plus de constituer un référentiel qualité, il répond à notre volonté d’avoir une approche pluridisciplinaire. Ils s’agit en effet de partir d’un groupe homogène de patient (GHP) à partir duquel on va travailler sur les différentes prises en charge, les problèmes de santé présents ou potentiels. Un travail qui implique une coconstruction entre les médecins et les autres professionnels. Cette orientation a été validée par l’ensemble des directeurs de soins de l’AP-HP. Nous avons ensuite élaboré un cahier des charges. Pour nous le projet devait être porté en priorité par les cadres. Nous avons donc nommé, par site, par pôle, des cadres pilotes responsables du raisonnement clinique partagé au sein de leur groupement hospitalier (GH). Ces derniers ont été formés à l’accompagnement d’équipe dans la production de la fiche projet, du plan de soins type et du chemin clinique. Des cadres en équipe transversale ont également bénéficié d’une formation. L’objectif étant d’avoir construit au minimum un plan de soins type et un chemin clinique qui s’inscrive dans un des parcours de soins au sein du GH. À terme, il s’agit d’harmoniser les prises en charge, en cohérence avec l’objectif de la Haute Autorité de santé, même si des subtilités demeurent d’un service à l’autre.

L’I. M. : Pouvez-vous développer un exemple

LAURENCE ROUSSEAU PITARD : Nous avons travaillé sur un GHP choisi sur le critère de prévalence : le patient atteint d’une cirrhose alcoolique non sevrée hospitalisé dans le service d’hépatho-entérologie nutrition. Pour asseoir le projet, un audit du dossier de soin a été d’abord réalisé. Il a révélé un haut raisonnement clinique de l’équipe à l’oral, qui n’apparaissait pas à l’écrit. Nous avons montré aux équipes que le modèle trifocal et le plan de soins type permettraient de retrouver ce haut raisonnement clinique. Une équipe projet a été constituée avec deux cadres pilotes, deux médecins référents, quatre IDE, quatre AS, un kiné et une diététicienne. La participation des paramédicaux s’est faite sur la base du volontariat. Une photographie de toutes les cibles se rapportant au patient concerné a été réalisée. Elles ont été ensuite réparties par binôme IDE/AS. Le choix a été fait de travailler individuellement, puis de faire une restitution des travaux en groupe. La formation a aidé à hiérarchiser les cibles. Dans l’équipe projet, il est important d’avoir des personnes qui soient des experts du domaine et d’autres ayant un haut niveau de raisonnement clinique.

L’I. M. : Quel a été l’apport notamment pour les équipes de la mise en œuvre du nouveau dispositif ?

ISABELLE BEAU : On gagne en traçabilité et en qualité des soins. Dans certains cas, la construction des plans de soins type et chemins cliniques a révélé des pratiques divergentes pas toujours assez argumentées et a conduit à réajuster des protocoles. Cela permet aussi de réduire les prises en charge qui seraient liées aux personnes. Du côté des équipes, ce projet est un vrai levier pour améliorer la collaboration médico-soignante, retrouver un espace de partage de la prise en charge du patient. Au delà, il a suscité un vrai sentiment de reconnaissance du travail, ce que nous avons perçu à travers l’investissement personnel des professionnels. Quand aux cadres, ils retrouvent par ce biais leur place dans le management de la clinique. Reste à réaliser le paramétrage des logiciels… un vaste chantier !

1- Isabelle Beau est également chargée de mission à l’AP-HP pour le déploiement du dossier de soins informatisé Orbis et du raisonnement clinique partagé.

2- Laurence Rousseau Pitard est cadre de santé en hémato-gastro entérologie et nutrition à l’hôpital Béclère (AP-HP).

3- North American Nursing Diagnosis Association.

POINTS CLÉS

→ Un comité de pilotage de gouvernance clinique a été mis en place, décliné au niveau des GH qui disposent également d’une cellule d’appui à la méthode.

→ L’organisme de formation valide le respect de la méthodologie, en l’occurrence le Cesiform (à l’origine du modèle trifocal).

→ Le contenu fait toujours l’objet d’une validation médicale, celle-ci contribuant à l’argumentation scientifique

→ La formation initiale a été soutenue pour adapter son enseignement à la démarche trifocale

→ Les cadres ont bénéficié de 7 jours de formation, plus 6 jours pour l’accompagnement sur deux ans.

→ Le choix du GHP est effectué selon deux critères : la prévalence ou la criticité (prises en charges nouvellespar exemple).