L'infirmière Magazine n° 382 du 01/05/2017

 

DOULEUR

DOSSIER

Pascale Wanquet-Thibault  

cadre supérieure de santé, enseignante en pratiques psychocorporelles

Malgré des progrès manifestes depuis vingt ans, les infirmières savent que nombre de patients sont aujourd’hui encore mal soulagés, en particulier les plus vulnérables.

Fin des années 90, sous l’impulsion de Bernard Kouchner, alors secrétaire d’État à la Santé, l’évaluation et la prise en charge de la douleur – jusqu’alors souvent considérée comme normale, voire nécessaire – sont devenues un impératif pour les professionnels de santé. Dès la mise en œuvre des plans d’action, les infirmières ont été considérées comme des acteurs clés de la mise en place de mesures adaptées. Et leur rôle sera renforcé avec la création des postes d’infirmières ressource douleur, qui participent au développement d’une véritable culture dans la lutte contre la douleur.

C’est ainsi qu’au fil des ans, les avancées ont été favorisées grâce aux travaux menés par les infirmières ressource douleur pour acculturer leurs pairs, favoriser le développement du positionnement infirmier et du raisonnement clinique, identifier les activités et les compétences spécifiques des infirmières au sein d’équipes pluriprofessionnelles au bénéfice d’une prise en charge satisfaisante des patients. En parallèle, au cours de ces deux décennies, la prévention et les traitements des douleurs ont permis de faire considérablement avancer le développement de techniques non médicamenteuses, tant physiques (cryothérapie, thermothérapie, neurostimulation transcutanée), que cognitivo-comportementales (information adaptée à chaque patient, au bon moment, avec le bon support, etc.) et psychocorporelles (distraction, hypnoanalgésie, massages, etc.).

Paradoxe

Malgré ces progrès manifestes, les infirmières savent que nombre de patients sont encore mal soulagés. Car la douleur recouvre une infinité de situations, souvent complexes, appelant un raisonnement clinique approprié pour évaluer correctement chaque patient et adapter les thérapeutiques à la situation. Des obstacles doivent ainsi être franchis pour améliorer la condition des patients, en particulier les plus vulnérables (âges extrêmes de la vie, difficultés de communication). Pour y parvenir, les infirmières doivent bénéficier d’un programme de formation adapté au développement actuel des connaissances et en lien avec l’exercice professionnel. Ainsi la prévention des douleurs liées aux soins qu’elles prodiguent, comme de ceux auxquels elles contribuent ou confient aux aides-soignants est améliorable. Même si, dans ce domaine, des initiatives ont permis de faire évoluer les réflexions, les pratiques, et de remettre au centre leur professionnalisme. Pour autant, la réflexion doit être poursuivie. En effet, n’ayant jamais bénéficié d’une identification précise, les conséquences des douleurs provoquées par bon nombre de soins sont souvent méconnues, voire minimisées. Et les moyens de prévention ne sont pas toujours disponibles. Et ce, tant pour des raisons administratives – c’est le cas de l’utilisation du Meopa (voir encadré) – que de formation (hypnoanalgésie). Dans ce domaine, un questionnement est souhaitable sur le paradoxe du métier de soignant entre prendre soin et être pourvoyeur de douleur et être compétent pour en assurer la prévention.

On le constate, il reste encore beaucoup à faire. Car si les moyens de soulager la ou plus exactement les douleurs existent, ces derniers demeurent encore sous utilisés ou mal utilisés. Et aujourd’hui, des patients continuent de souffrir, des soignants de ne pas pouvoir ou savoir utiliser le bon traitement au bon moment. L’évolution de l’exercice infirmier dans le champ de la douleur implique une meilleure évaluation des pratiques, un renforcement du positionnement professionnel à l’égard du corps médical, comme des autorités de tutelle, pour que les patients bénéficient systématiquement de mesures de prévention adaptées et des traitements disponibles sur l’ensemble de leur parcours.

Il est nécessaire de favoriser au sein de la profession le développement d’une expertise infirmière pour la prise en charge des patients douloureux. Ainsi, le déploiement de consultations infirmières contribuant à l’évaluation et au suivi des patients douloureux serait un moyen de répondre à ce problème de santé publique sous-estimé. Il est certain que le retour d’un soutien des pouvoirs publics permettrait le maintien des acquis et l’émergence de multiples champs d’exploration à défricher dans ce domaine.

DATES CLÉS

→ 1998-2001 : 1er plan triennal de lutte contre la douleur.

→ 2000 : publication de l’évaluation du plan d’amélioration de la prise en charge de la douleur 2006-2010.

→ 1999 : circulaire DGS/DH/DAS n° 99/84 du 11 février 1999 relative à la mise en place de protocoles de prise en charge de la douleur aiguë par les équipes pluridisciplinaires médicales et soignantes dans les établissements de santé et institutions médico-sociales.

→ 2007 : publication du référentiel d’activités des infirmiers ressource douleur par la commission infirmière de la SFETD.

→ 2009 : sortie du Meopa de la réserve hospitalière ; pour autant, les patients soignés par les infirmières libérales ne peuvent toujours pas en bénéficier.