L’institut de réadaptation d’Illkirch-Graffenstaden accueille des patients obèses. En travaillant à deux, les soignants contournent les contraintes physiques liées au soin, mais présentent aussi un front uni aux malades face à leurs pathologies complexes
C’est un service de 24 lits, qu’on ne s’attend pas forcément à trouver entre les pathologies du système nerveux et la réadaptation cardio-vasculaire. Le pôle nutrition de l’Institut universitaire de réadaptation Clémenceau (IURC), à Illkirch-Graffenstaden (67), à côté de Strasbourg, accueille des personnes souffrant de troubles métaboliques ou nutritionnels. Lors de son ouverture, il y a quatre ans, les personnels soignants ont majoritairement postulé pour y travailler. « Nous traitons l’obésité et ses comorbidités, comme le diabète, et la dénutrition. Nous partageons un certain état d’esprit face à ces pathologies, encore mal connues », explique Nadine Barthélémy, IDE. « Dans l’équipe, nous étions toutes des “nouvelles”. Il a fallu apprendre à se connaître », se remémore Christine Bieber, sa collègue AS.
Les réalités du service se sont vite imposées à elles. Les personnes prises en charge ont des poids variant de 35 kg à 270 kg et présentent souvent des troubles psychiatriques associés, plus ou moins sévères. « Le binôme nous est rapidement apparu indispensable pour les soins de nursing, relate Christine Bieber. Quand j’ai besoin de mes deux bras pour mobiliser un patient pendant la toilette, il faut qu’une autre personne soit là pour réaliser le soin proprement dit. »
Mais ce travail à deux présente d’autres avantages. « Nos patients tentent souvent de nous manipuler pour que l’on fasse certains gestes à leur place, en prétendant qu’un collègue les a aidés quand nous insistons pour qu’ils reprennent leur autonomie, racontent les deux professionnelles. Quand nous sommes ensemble dans la chambre, nous entendons le patient au même moment et nous lui présentons un discours commun. » En faisant preuve d’humour face au patient et en s’appuyant l’une sur l’autre, elles peuvent donc aller plus loin dans leur démarche. « Mais jamais en se moquant ! »
Les patients sont parfois hospitalisés par leur médecin, ou viennent dans l’idée de faire une cure, ce qui peut expliquer leur manque de motivation, voire leur réticence. « Récemment, une dame est arrivée en brancard. Elle ne s’était pas levée depuis deux ans et ne se lavait plus seule. Nous l’avons incitée à retrouver son autonomie pour des gestes de tous les jours. Cela n’a pas été facile, il a vraiment fallu que tout le monde accorde ses violons. À la fin de son séjour, elle est repartie en marchant, et nous a remerciées », se félicite Christine Bieber.
Face aux patients, les soignants peuvent aussi ressentir de l’apitoiement, de la lassitude, voire de l’agacement. Là encore, le binôme est un outil précieux, qui permet un certain auto-contrôle. « Évidemment, avec certaines AS, notamment les plus jeunes, le binôme est plus une façon d’encadrer leur pratique que de collaborer, souligne Nadine Barthélémy. Mais de façon générale, c’est un bon moyen de se soutenir, de discuter des cas que l’on rencontre, surtout dans les quinze premiers jours des séjours hospitaliers, qui sont les plus difficiles. » D’autant que les personnes ne sortent pas guéries du service, et qu’elles peuvent parfois revenir. « La chronicité est un aspect compliqué pour les soignants, parce qu’on se sent impuissants », reconnaît Christine Bieber. Le travail en équipe permet de dépasser ce sentiment.
L’écueil du binôme, à plus forte raison quand il règne une bonne entente ? « Parler sans le patient dans la chambre. Nous avons appris à rester professionnelles. Lors d’un soin, l’une prend naturellement le lead et l’autre suit. Ce n’est qu’en sortant de la chambre que l’on en rediscute », explique Nadine Barthélémy. L’infirmière milite pour la généralisation de ce mode de fonctionnement : « On fait du meilleur travail : c’est mieux pour le patient et c’est mieux pour nous. Je ne comprends pas que l’on s’en prive quand on peut le faire. D’autant que ça me permet d’avoir confiance dans les AS quand je dois laisser faire une partie des soins seules. » Pourtant, au fil des années, les effectifs du service se sont effrités. « On perd en qualité des soins, c’est indéniable », regrette-t-elle.