L'infirmière Magazine n° 383 du 01/06/2017

 

DERMOPIGMENTATION RÉPARATRICE

CARRIÈRE

PARCOURS

Marie-Capucine Diss  

Redessiner une aréole et un mamelon à l’issue d’une reconstruction ou d’une chirurgie mammaire, camoufler une cicatrice… En plein essor, la dermopigmentation se pratique à l’hôpital ou dans le secteur privé. Avec des infirmières au bout de l’aiguille.

De la réparation à l’esthétique. De la reconstruction des aréoles mammaires après une mastectomie à la restructuration d’un contour de lèvre, en passant par la création d’une nouvelle ligne de sourcils suite à une pelade ou à un traitement de chimiothérapie, le champ de la dermopigmentation réparatrice est vaste. Pratiquée à l’hôpital, elle concerne strictement le tatouage de l’aréole et du mamelon. À l’origine réalisée par les chirurgiens, cette pratique s’est ouverte progressivement aux infirmières. C’est souvent un tandem chirurgien-infirmière qui est à l’origine de ce type d’initiative. Comme à l’Institut de cancérologie de l’Ouest (ICO) René Gauducheau, à Saint-Herblain (44) où une infirmière spécialisée en plaies et cicatrisation, avec le soutien d’une chirurgienne, a su convaincre sa hiérarchie de l’intérêt de mettre en place une consultation infirmière de dermopigmentation. Devant son succès, tous les chirurgiens se sont peu à peu ralliés à cette initiative. « Des études internes ont montré que les patientes étaient davantage satisfaites quand la dermopigmentation était réalisée par une infirmière, explique Nathalie Farcinade, cadre de santé en chirurgie oncologique à l’ICO René Gauducheau. Le travail était mieux réalisé, l’infirmière disposant de plus de temps pour effectuer son tatouage. Et le fait que l’acte soit réalisé dans une salle de consultation, avec un miroir, et non au bloc représente un réel motif de satisfaction pour les patientes. » Ces dernières ont également fait savoir qu’elles appréciaient d’avoir affaire à une infirmière, plus accessible et disponible qu’un médecin au premier abord. En parallèle, les chirurgiens ont pris conscience que cette prise en charge infirmière leur permettait de dégager du temps de bloc opératoire pour réaliser d’autres interventions. Elle reste néanmoins une initiative isolée dont la mise en œuvre est très liée à l’ambiance générale du service, à la confiance accordée aux infirmières, aussi parce qu’elles ont fait leurs preuves, comme cela a été le cas à l’ICO René Gauducheau.

PRATIQUE RÉGLEMENTÉE

L’autre option est de pratiquer la dermopigmentation réparatrice en ville. Dans ce cas, elle ne relève plus des soins à strictement parler, le code NAF (nomenclature d’activités français) qui lui correspond englobant les « autres services à la personne ». Elle est encadrée par un décret fixant les conditions d’hygiène et de salubrité relatives aux pratiques du tatouage avec effraction cutanée (voir encadré ci-contre) ; des conditions auxquelles répondent les infirmières de par leur formation. Si les infirmières envisagent de se lancer dans l’aventure - et ce, même si l’Ordre national des infirmiers (ONI) ne les encourage pas à pratiquer la dermopigmentation -, leur activité doit néanmoins être enregistrée auprès de l’Agence régionale de santé (ARS). Il est alors préférable pour les professionnelles souhaitant se consacrer à cette pratique de se dénommer « technicienne en dermopigmentation réparatrice » ou en maquillage permanent.

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ

Si elle requiert un véritable sens artistique, de la minutie et de la patience, la dermopigmentation réparatrice ou esthétique nécessite une formation adaptée (lire encadré ci-dessous). Il s’agit de pratiquer certains effets, comme dans le cadre du tatouage de l’aréole où le mamelon peut être dessiné en trompe-l’œil, d’appuyer plus ou moins le trait, d’opérer des mélanges de couleur. Cette technique doit être pratiquée en deux temps. Le pigment déposé dans le derme n’est pas mélangé à de la résine, contrairement à ce qui se pratique chez les tatoueurs. Après la première intervention, il perd de 20 à 30?% de son intensité dans les jours ou les semaines qui suivent. En fonction du type de peau, de son exposition au soleil, ou de sa capacité à cicatriser, la couleur du pigment peut virer vers le vert ou le rouge. C’est lors d’une seconde séance que la couleur finale du pigment sera déterminée et renforcée et que les détails du dessin seront peaufinés. D’où l’importance d’anticiper et d’agir avec prudence.

Un des éléments plaidant en faveur de la pratique de la dermopigmentation par des professionnelles de santé est la rigueur qu’elle exige. Avant le tatouage, un entretien doit être réalisé afin de s’assurer de l’absence de toute contre-indication. C’est à son terme que sera signée une déclaration de consentement éclairé de la part de la personne y ayant recours. La dermopigmentation est déconseillée en cas de maladie dermatologique évolutive, de tendance à développer des chéloïdes, de port d’une prothèse cardiaque. Elle est également à éviter si la patiente est immunodéprimée. En cas de maladie auto-immune, la prudence doit également être de mise. Pour le dessin d’une bouche, il est nécessaire de s’assurer de l’absence d’herpès labial.

BEAUTÉ-THÉRAPIE

Les professionnelles qui investissent le champ de la dermopigmentation mettent toutes en avant sa dimension réparatrice. Après treize années de pratique infirmière, Christèle Niess a ouvert son centre à Grenoble (38) il y a huit ans. Elle apprécie ses nouvelles conditions de travail : « Ici, les personnes qui arrivent sont contentes. On les accompagne vraiment sur le chemin de la reconstruction. Pour moi, c’est quelque chose de très positif. » Le fait de se concentrer sur son physique, d’envisager sa beauté est une manière de dépasser la maladie. C’est par exemple le cas des patientes qui viennent se faire redessiner des sourcils après une chimiothérapie ou avant leur cure, par anticipation de leur chute. Plus largement, pour des interventions plus esthétiques, s’intéresser à son image, faire une démarche pour l’améliorer permet de se sentir mieux. Christèle Niess évoque ainsi le bon mot d’une cliente lui ayant dit qu’elle pratiquait la « beauté-thérapie ». On peut également évoquer la définition de l’état de santé établie par l’Organisation mondiale de la santé prenant en compte l’« état de complet bien-être de la personne ». Le fait de faire valider régulièrement par la personne les choix qui sont faits permet également de la rendre plus active.

Dans cet entre-deux particulier, entre beauté et soins, beaucoup de choses peuvent être dites. Selon Nathalie Farcinade, « la consultation infirmière de dermopigmentation est un temps privilégié : les patientes peuvent parler de ce qui les préoccupe. On est dans la projection ». Maëlle Bédo, qui assure deux journées de dermopigmentation par mois à l’ICO René Gauducheau, souligne l’importance de l’entretien préalable permettant d’évoquer certaines peurs : « Les patientes peuvent être inquiètes, lorsque que leur reconstruction a été réalisée à partir d’une prothèse mammaire. Nous les rassurons leur expliquant qu’il n’y aucun risque : l’aiguille que nous employons est beaucoup trop courte pour menacer de percer leur prothèse… » Le fait que plusieurs rencontres soient nécessaires met en confiance et la parole peut se libérer, de façon parfois inattendue. Pour Christèle Niess, l’approche globale de la personne liée à la pratique infirmière est un atout important dans sa pratique quotidienne. « Une femme venue me voir pour que je lui redessine sa ligne de cils a fini par me confier qu’elle pleurait beaucoup de perdre son fils de 17 ans. Cela a ouvert la discussion sur quelque chose de beaucoup plus difficile. Je pense qu’en étant infirmière, on a une écoute différente. »

LÉGISLATION

→ Le décret 2008-149 du 19 février 2008 fixe les conditions d’hygiène et de salubrité relatives aux pratiques du tatouage avec effraction cutanée. Il impose la présence d’une salle exclusivement réservée à la réalisation de cette technique. Les déchets produits sont assimilés aux déchets d'activités de soins à risques infectieux et doivent être éliminés en conséquence. Les personnes sur lesquelles s’exerce cette technique doivent être informées des risques auxquels elles s’exposent et des précautions à respecter en aval.

→ L’arrêté du 11 mars 2009 précise les conditions d’hygiène et de salubrité dans lesquelles le tatouage doit être pratiqué : entretien du local dédié, protocole de détersion, rinçage et séchage.

FORMATION

De la théorie à la pratique

→ Le laboratoire Biotic Phocéa, pionnier dans le domaine de la dermopigmentation et dirigé par un médecin, propose une formation certifiante de quatre jours. Les fondamentaux de la colorimétrie y sont enseignés, tout comme les différences entre les peaux normales et pathologiques, le devenir histologique du pigment implanté et les risques médicaux. Une partie pratique permet de s’entraîner sur des modèles en silicone à l’utilisation des différents types de cartouches et au coloriage. Dispensée à Marseille, cette formation apprend également à pigmenter les achromies et à camoufler les cicatrices.

www.biotic.fr - 04 91 53 54 00

→ L’École internationale de maquillage permanent by Maud propose de se perfectionner dans certaines techniques, comme la dermographie répatrice.

www.formation-maquillage-permanent.pro