L'infirmière Magazine n° 383 du 01/06/2017

 

POLITIQUE

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Véronique Hunsinger  

Lors de sa campagne électorale, Emmanuel Macron a dit vouloir nommer un médecin à l’avenue de Ségur. Un ministre médecin ou non-médecin, qu’est-ce que cela change ? Une formation médicale est-elle indispensable ?

Didier Tabuteau « L’avantage est de connaître déjà un système très complexe »

Sous la Ve République, le ministre de la Santé est-il le plus souvent un médecin ?

Au cours de ces trente dernières années, en tout cas, on constate que le portefeuille de ministre de la Santé est revenu à un médecin ou à un pharmacien sur la moitié de la période. Ce qui n’a pas empêché de retenir les noms de plusieurs ministres non-médecins comme Simone Veil, Claude Évin ou encore Marisol Touraine. On a également pu observer quelques binômes non-médecin/médecin, à l’image de Simone Veil et de Philippe Douste-Blazy, ou Martine Aubry et Bernard Kouchner.

Il semble qu’on confie assez volontiers la Santé à un professionnel du secteur, ce qui n’est pas forcément le cas dans les autres ministères. Comment l’expliquer ?

L’avantage du professionnel de santé est qu’il arrive de plain-pied dans un système qu’il connaît déjà et qui est, il faut le reconnaître, extrêmement complexe. En cela, c’est un atout, d’autant qu’il peut être confronté rapidement à des questions assez techniques. Mais on constate aussi qu’il n’y a pas de tradition politique pour le ministère de la Santé, comme cela peut être le cas pour l’Intérieur ou l’Éducation nationale. L’État ne s’occupe réellement de la santé que depuis la Ve République et les ordonnances Debré. Il faut aussi savoir que le ministère de la Santé n’est pas vraiment considéré comme un tremplin de carrière par les politiques. Dans le même temps, quand on observe au Parlement les débats qui touchent les questions de santé, la trentaine de députés et de sénateurs très investis sur les textes sont, pour beaucoup, des professionnels de santé.

Quand il s’agit d’appréhender les questions de santé publique et d’affronter les crises sanitaires, est-ce un atout d’être un médecin ?

Il est certain qu’un médecin aura une compréhension immédiate des problèmes. Mais quand il s’agit de prendre une décision, un ministre de la Santé aura surtout à sa disposition toute l’expertise disponible au sein du ministère, des agences sanitaires, mais également des associations de patients. Ce serait plutôt inquiétant qu’un ministre puisse décider en fonction de sa seule expertise personnelle… À ce niveau, il s’agit de décisions politiques qui doivent être prises en fonction des risques et des avantages tels qu’ils auront été analysés en amont. Pour ce qui est de la décision, je ne crois pas qu’être un professionnel de santé soit une nécessité.

Un professionnel de santé à la tête du ministère conduit-il nécessairement une politique plus favorable aux soignants ?

Je ne crois pas. Les problèmes sont trop compliqués et trop lourds pour qu’un ministre de la Santé se laisse aller à une forme de corporatisme. En tout cas, cela n’a rien de systématique. Ce qui est important, c’est que toutes les composantes médicales, paramédicales et administratives soient bien représentées dans le cabinet du ministre. Ensuite, il ne faut pas oublier que c’est aussi le poids du ministre au sein de son gouvernement qui lui permet de faire avancer plus ou moins rapidement ses dossiers.

Arnaud de Broca « L’inconvénient est qu’il peut être tenté de trop écouter le corps médical »

Pourquoi se pose-t-on aussi souvent la question de savoir si le ministre de la Santé doit être un médecin ?

C’est vrai que c’est l’un des rares ministères où se pose cette question et on se la pose d’ailleurs depuis très longtemps. Cela montre que l’on fonctionne encore sur des vieux schémas et que le ministère de la Santé reste très focalisé sur les questions médicales. On y rattache d’ailleurs souvent le handicap, alors que cela ne va pas de soi. Un médecin peut tout à fait être un bon ministre de la Santé mais, pour nous, il n’y a rien de naturel à ce que le ministre de la Santé soit forcément un médecin. Un autre professionnel de santé, comme une infirmière, pourrait être ministre. Et pourquoi pas un jour, un représentant de patients ! En tout cas, il n’y a pas d’intérêt à choisir un médecin comme ministre de la Santé, juste parce que c’est un médecin. Il faut d’abord qu’il soit un bon politique.

Quelles sont, selon vous, les qualités d’un bon ministre de la Santé ?

En tant que représentants des usagers, ce qui nous importe, en premier lieu, c’est que le ministre soit capable de discuter, de comprendre les problématiques et les intérêts exprimés par chacun. Sur les questions de santé, il ne faut pas entendre uniquement le point de vue des médecins, mais aussi celui des autres professionnels de santé et des associations. Un bon ministre de la Santé doit surtout être capable de bien s’entourer, de fédérer autour de lui et de se faire entendre au sein du gouvernement, car les questions de santé sont très souvent des sujets interministériels.

Pensez-vous qu’un ministre médecin aurait tendance à conduire une politique plus favorable au corps médical ?

L’avantage est qu’un médecin peut effectivement mieux se faire comprendre du monde médical, mais l’inconvénient est qu’il peut être tenté de trop les écouter. En réalité, tout dépend de la personnalité de chacun. Si on prend l’exemple de Bernard Kouchner, qui est aussi un médecin avec un parcours très particulier, c’est quelqu’un qui a su entendre les associations de patients à l’époque où elles étaient encore balbutiantes. Le corps médical n’a pas été très tendre avec lui quand il a voulu rendre le dossier médical accessible au patient, et ce, à travers sa loi sur les droits des malades (la loi Kouchner du 4 mars 2002 sur « les droits des malades et la qualité du système de santé », NDLR).

La connaissance scientifique n’est-elle pas un atout pour affronter les crises sanitaires ?

Pas forcément. En cas de crise, ce qui va faire la différence pour réagir rapidement est le fait qu’on soit bien entouré. Si on regarde les dernières crises, comme celles liées aux médicaments, on a vu un non-médecin, en l’occurrence, Xavier Bertrand, réagir rapidement. Il est vrai que son avantage était qu’il avait aussi alors un poids politique important au sein de son gouvernement. Mais sur un autre sujet comme le scandale de l’amiante, les ministres de la Santé successifs, qu’ils soient médecins ou pas, ont mis très longtemps à saisir l’ampleur du problème.

DIDIER TABUTEAU

RESPONSABLE DE LA CHAIRE SANTÉ DE L’INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE PARIS

→ 1993-1997 : directeur général de l’Agence du médicament

→ 2001-2002 : directeur du cabinet de Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé

→ 2013 : auteur de Démocratie sanitaire, les nouveaux défis de la politique de santé, éd. Odile Jacob

ARNAUD DE BROCA

MEMBRE DU BUREAU DE L’UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS AGRÉES D’USAGERS DU SYSTÈME DE SANTÉ (UNAASS)

→ Juriste de formation

→ Depuis 2007 : secrétaire général de la FNATH (Fédération nationale des accidentés de la vie)

POINTS CLÉS

→ La Ve République a connu une longue série de médecins au poste de ministre de la Santé – Nora Berra, Philippe Douste-Blazy, Bernard Kouchner, Élisabeth Hubert, Michèle Barzach, Léon Schwartzenberg, François Autain – et une pharmacienne, Roselyne Bachelot.

→ Les ministres restés le plus longtemps à leur poste n’étaient pas des médecins : Marisol Touraine a gardé le même portefeuille pendant tout le quinquennat de François Hollande (2012-2017). Mais c’est Simone Veil qui détient le record de longévité puisqu’elle a été ministre de la Santé publique de 1974 à 1979, puis à nouveau ministre des Affaires sociales et de la Santé de 1993 à 1995.

→ Plusieurs ministres ont donné leur nom à une loi : Touraine (modernisation du système de santé), Bertrand (sécurité du médicament), Bachelot (Hôpital, patients, santé et territoire), Douste-Blazy (réforme de l’assurance maladie), Kouchner (droit des malades et qualité du système de santé) et Veil (interruption volontaire de grossesse).

→ Le ministère de la Santé est né en 1920 de façon éphémère. Disparu dès 1924, il réapparaît en 1930.