L'infirmière Magazine n° 383 du 01/06/2017

 

FORMATION

ESSENTIEL

H. R.*   Marie-Noëlle Crépy**  


*dermatologue spécialisée en dermatologie professionnelle à l’Hôtel-Dieu (AP-HP)

Les substances capables de provoquer des allergies sont de nature très diverses. Pour les scientifiques, leur pouvoir de nuisance, qui s’intensifie, est lié à des modifications de l’environnement.

1. LES ALLERGÈNES RESPONSABLES DES ALLERGIES IMMÉDIATES

Il s’agit de peptides, constitués d’acides aminés. Quand leur nombre est très élevé, on parle de protéine. Dans l'organisme, il existe de très nombreux peptides : hormones, neurotransmetteurs, etc.

Les pneumallergènes (ou aéro-allergènes)

En suspension dans l’air, ils pénètrent dans l’organisme par voie aérienne et respiratoire et sont responsables des symptômes des allergies respiratoires. Parmi eux, on trouve principalement les acariens, les pollens, les phanères animales, les moisissures, etc.

→ Les acariens : ce sont les pneumallergènes les plus fréquents. Ils se trouvent dans l’environnement intérieur des patients : les acariens vivent principalement dans les poussières de literie où ils se nourrissent des desquamations humaines, mais aussi dans les peluches et les moquettes. Microscopiques, ils appartiennent à la classe des arachnides, et à la sous-classe des arthropodes. Leur développement est favorisé par l’humidité de l’air et les températures élevées (plus de 20°?C).

→ Les pollens : tous les pollens (qui assurent la fécondation des fleurs) ne sont pas allergisants. Les pollens problématiques sont ceux des plantes anémophiles, disséminés par le vent. Les plus gênants sont les pollens d’arbres (bouleau, noisetier, olivier, cyprès, frêne, etc.), suivis des pollens de graminées. Les patients ne sont pas allergiques à tous les pollens, mais à un ou plusieurs d’entre eux. Au printemps, ce sont surtout les pollens d’arbres qui sont responsables des allergies, alors qu’en juillet, ce sont plutôt les graminée (les herbes, le foin…). À noter que l’ambroisie est responsable d’allergies marquées à la fin de l’été (lire ci-dessous). Chaque plant peut produire plus d’un million de grains de pollen, ce qui donne des concentrations d’allergènes très élevées et des symptômes particulièrement violents.

→ Les phanères animales : le chat, le chien, mais aussi les NAC (nouveaux animaux de compagnie : lapins, cochons d’inde, perroquet…) ou encore les chevaux peuvent entraîner des réactions allergiques. Le chat est l’animal le plus allergisant. Les allergènes qu’il produit sont volatiles et résistants : ils peuvent demeurer jusqu’à 6 mois dans l’air de la maison après le départ de l’animal.

→ Les moisissures : on les retrouve à l’extérieur et dans les intérieurs humides et mal aérés. Il est très difficile s’en débarrasser.

Les trophallergènes

Ce sont les allergènes alimentaires et ils pénètrent dans l’organisme en étant ingérés. En théorie, tous les aliments peuvent provoquer une réaction allergique. Chez les enfants, ce sont le plus souvent les protéines du lait de vache et celles des œufs qui sont impliquées. À noter que dans leur grande majorité, les allergies à ces aliments cèdent à l’âge adulte (lire p. 49). Chez l’adulte, on retrouve les fruits à coques (noix, amandes, noisettes, châtaignes, pistaches…) ou encore les fruits et légumes comme les rosacées (pommes, pêches, poires, abricots, cerises) et les ombellifères (céleri, carottes). Les allergènes alimentaires et les pneumo-allergènes peuvent occasionner des réactions allergiques croisées, qui s’expliquent par leur immunigénicité très proches (voir p. 40).

Les allergènes de contact : le cas particulier du latex

Certains produits, lorsqu’ils entrent en contact avec la peau, déclenchent une réaction allergique. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une réaction retardée. Les protéines du latex sont, elles capables de provoquer une réaction immédiate, qui peut se généraliser à tout l’organisme (jusqu’au choc anaphylactique). D’origine végétale, le latex se retrouve dans la composition de nombreux produits de la vie courante (gants, préservatifs, jouets…). Dans un tiers des cas, les personnes allergiques au latex présentent des allergies croisées à des protéines végétales alimentaires.

Les allergènes des venins d’hymenoptères

Les insectes responsables peuvent appartenir à la famille des Apidae (abeilles et bourdons), des Vespidae (frelons, guêpes) et des Myrmicida (fourmis). Les réactions allergiques sont le plus souvent le résultat de piqûres de guêpes ou d’abeilles. Les abeilles ne piquent qu’une fois, et ont un dard cranté qui peut rester fiché dans la peau et continuer ainsi à injecter les réserves de venin. Les guêpes, au contraire, ont un dard lisse et peuvent piquer plusieurs fois.

Les substances médicamenteuses

Comme pour les aliments, tous les médicaments peuvent en théorie être la cause de réactions allergiques. Les antibiotiques, et en particulier les bêta-lactamines, sont les principales substances à l’origine d’allergies médicamenteuses. Viennent ensuite les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les myorelaxants utilisés en anesthésie générale. À noter que le diagnostic des allergies aux antibiotiques, chez les enfants et les adultes, est souvent abusif et que nombre de patient se voient contre-indiqués ces médicaments à tort.

2. LES ALLERGÈNES RESPONSABLES DES ALLERGIES RETARDÉES

Ces allergènes ne sont pas des peptides, mais des molécules chimiques de bas poids moléculaire ou des métaux.

Les allergènes de contact

Au contact de la peau, ils provoquent des dermatites de contact. Il s’agit le plus souvent de métaux comme le nickel ou le chrome (bijoux fantaisies, bouton de jeans, fermeture éclair).

De nombreux produits chimiques présents dans les cosmétiques ou les produits ménagés peuvent aussi poser problème.

3. LES LIENS ENTRE ALLERGIES ET ENVIRONNEMENT

La susceptibilité des patients aux allergènes a beaucoup augmenté. Une des explications données par les scientifiques est la théorie hygiéniste : les progrès de la médecine et de l’hygiène ont entraîné une forte réduction de la mortalité dans les pays développés, mais ont aussi engendré le développement de certaines pathologies liées à un déséquilibre du système immunitaire, comme les allergies. Cet excès de propreté et de désinfection empêcherait le système immunitaire de se « régler » correctement, particulièrement au cours de l’enfance, et l’amènerait, à défaut de se battre contre des micro-organismes, à s’en prendre à d’autres substances.

Cette « fragilisation » a aussi d’autres explications environnementales. La potentialisation des pneumo-allergènes par la pollution atmosphérique est désormais bien comprise et bien documentée. C’est ce qui est appelé « l’effet cocktail », à la source d’une explosion de leur pouvoir de nuisance. La pollution exerce un triple effet sur les allergies :

- lorsqu’elles sont inhalées, les particules de pollution pénètrent très profondément dans l’arbre bronchique et se déposent sur la muqueuse respiratoire. Elles provoquent une réaction inflammatoire qui fragilise la muqueuse : elle laisse passer plus facilement les allergènes. L’ozone crée aussi inflammation chronique des bronches ;

- les polluants transforment les pollens et les rendent plus allergisants ;

- les pollens adhèrent aux particules (de diesel en particulier) et sont entraînés plus profondément dans l’arbre bronchique, ce qui exacerbe les symptômes respiratoires.

ZOOM

L’ambroisie : un cas particulier

→ L’ambroisie, très présente dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, pousse sur les remblais et les chantiers, sur les terres à l’abandon dans les lotissements ou dans les cultures. Ses fleurs sont vert pâle à jaune et se dressent en épis. Sa hauteur varie de 0,20 m à 2,00 m. Ses feuilles sont très découpées, minces, vertes des deux côtés. Ses tiges sont dressées, sillonnées en longueur, souvent velues et ramifiées.

→ En raison du caractère hautement allergène et invasif de cette plante, la lutte contre l’ambroisie fait partie des priorités du 3e plan national santé environnement 2015-2019. La technique la plus simple et la plus radicale pour l’éradiquer reste l’arrachage, avec port de gants, avant la floraison. La propagation de la plante peut aussi être ralentie en semant des plantes non allergisantes sur les zones non cultivées, et par un fauchage avant floraison, de préférence fin juillet, répété fin août.

FOCUS

Les allergènes en milieu hospitalier

→ La fréquence des allergies immédiates au latex est plus répandue chez les professionnels de santé, qui y sont plus exposés que la population générale (utilisation des gants en latex). Les réactions les plus sévères concernent cependant les patients allergiques opérés par un chirurgien qui porte des gants en latex. Les patients muli-opérés sont particulièrement à risque. Le contact de l’allergène avec les organes du malade provoque sa mise en circulation dans le sang, et une réaction généralisée et soudaine qui peut aller jusqu’au choc anaphylactique.

Les accidents dus aux protéines de latex ont beaucoup diminué, grâce à des mesures de prévention. Les fabricants conçoivent par ailleurs des gants avec beaucoup moins de protéines. Quelques cas d’allergie immédiate à la chlorhexidine ont aussi été notés.

→ À l’hôpital, les substances pouvant être à l’origine de réactions allergiques retardées (dermatites de contact) peuvent être classées en quatre groupes :

1 les additifs de vulcanisation, dans tous les gants en caoutchouc, sont un groupe majeur d’allergènes. Les gants en vinyle en sont dépourvus ;

2 les agents antimicrobiens, les biocides de toute sorte : alcools, aldéhydes, ammoniums quaternaires, biguanides, substances iodées, halogènes chlorés… ;

3 les parfums présents dans les savons, crèmes de protection, ou encore les produits ménagers (détergents, lingettes…) ;

4 certains médicaments que les professionnels de santé injectent, ou coupent pour préparer les prises (des épidémies d’allergies cutanées retardées aux benzodiazépines ont été notées parmi les infirmières).

→ L’irritation de la peau fait le lit de la sensibilisation à ces substances. Les professionnels de santé doivent veiller à limiter les facteurs d’irritation comme les lavages de mains inutiles, l’usage de savons agressifs, ou encore la désinfection excessive du matériel et des surfaces.