L'infirmière Magazine n° 383 du 01/06/2017

 

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Carole Tymen  

Qu’ils soient en établissement, en Ehpad ou à la retraite, bon nombre d’infirmiers et d’infirmières s’engagent dans la campagne des élections législatives. Après avoir porté un candidat pour la présidentielle, chacun poursuit sa mobilisation en se concentrant aussi bien sur des problématiques locales que nationales.

Porter la voix des territoires jusque dans les sphères de l’Assemblée nationale et voter des lois qui correspondent aux attentes des populations. L’enjeu des élections législatives est résolument celui de la proximité et du terrain, estiment les infirmiers que nous avons interrogés. Tantôt confortés, tantôt bouleversés dans leur ligne politique par les résultats du 23 avril et du 7 mai, ils se soumettront aux suffrages de leurs concitoyens, les 11 et 18 juin prochains.

Le terrain plus que la ligne du parti

Marie-Claude Godin, 64 ans, a été infirmière au Centre hospitalier de Bretagne Sud, à Lorient (Morbihan) pendant 31 ans. Depuis son départ à la retraite en 2007, elle met son temps « libre » au service de la chose publique. Élue conseillère municipale d’opposition à Lanester (Morbihan) en 2008, elle intègre la commission des Affaires sociales et bataille pour la prise en charge des personnes âgées. Depuis 2015, elle est également conseillère départementale en charge de la solidarité. En juin, elle va représenter Les Républicains dans la 5e circonscription du Morbihan. Une position stratégique dans ce bastion de la gauche d’autant que Lanester est aussi la ville de Jean-Yves Le Drian. Ici, François Fillon a recueilli 11,77 % des suffrages au 1er tour des présidentielles quand il atteint 20,8 % (en deuxième position) sur l’ensemble du département(1).

À l’heure où les organes centraux des partis sont aux calculs et à la composition de groupes d’opposition, Marie-Claude Godin est, elle, repartie sur le terrain. « C’est là qu’est le véritable enjeu », explique-t-elle. Elle adapte sa ligne politique à la population, composée de nombreux travailleurs et d’autant de retraités venus couler leurs vieux jours sur les côtes bretonnes. Ancienne du MoDem (Mouvement démocrate), partie « pour désaccord avec François Bayrou », Marie-Claude Godin n’envisage pas un ralliement à Emmanuel Macron, arrivé en tête dans le département avec 27,86 % des voix au premier tour : « Si ma sensibilité me fait aller plus vers la gauche que la droite, sa politique est assez floue. De toute façon, il n’a pas besoin d’une candidate de plus ici. »

En écho à la volonté de François Fillon, elle veut amplifier le lien entre l’hôpital et la ville dans son secteur, pour que « la bobologie n’arrive plus à l’hôpital » et que « des maisons de séjour et ou de convalescence puissent désengorger les urgences ». Et appelle également à plus de places en Ehpad : « Nous allons avoir un redéploiement de 49 places dans la zone ouest du Morbihan, mais pas une de plus. Une décision de l’ARS qui ne va pas diminuer les listes d’attente… »

Les Français d’abord

Arnaud Fage, 28 ans, est le candidat du Front national dans la 1re circonscription de la Vienne (Poitiers-Bruxerolles). Lui, n’envisage pas d’adapter sa ligne politique et s’appuie sur les scores « en progression » de sa candidate à la présidentielle. Infirmier en Ehpad privé depuis trois ans, ce fils de personnels soignants et militants socialistes roule pour Marine Le Pen depuis 2011. Cet hiver, il a participé au « Collectif senior » qui a remis un certain nombre de propositions à la candidate. Parmi elles, la lutte contre les prix élevés des maisons de retraite. « Beaucoup de familles galèrent à financer le placement de leur proche », justifie-t-il. Celui qui a fait le choix de travailler en secteur privé pour avoir « un plus fort pouvoir d’achat » que dans la fonction publique, voudrait ajouter une 5e branche à la Sécurité sociale pour soulager les familles. Il s’agirait d’une allocation versée selon les ressources. Arnaud Fage souhaite également davantage de places en psychiatrie pour dissocier les placements. « Les Cantou (unités protégées spécifiques Alzheimer) et leur accueil ont ouvert la voie. »

Âgé de 13 ans en 2002, il reconnaît qu’il n’aurait pas pu voter pour Jean-Marie Le Pen qui représentait, selon lui, un courant « historique trop dur ». Ce qu’il apprécie chez sa candidate, c’est sa volonté de retrouver « la souveraineté nationale » et « la protection sociale pour tous les Français patriotes » qu’il espère bien soutenir en votant des lois en ce sens. Il veut notamment supprimer l’aide médicale d’État « pour ceux qui entrent en France illégalement ». Avant de lancer : « Les Français d’abord ! » Responsable du Front National jeune (FNJ) dans la Vienne il y a quelques années, il s’est déjà soumis au suffrage des élections départementales et régionales en 2015. Sans succès.

Le retour des partis empêchés

Ces élections législatives sont aussi l’occasion de faire entendre de nouvelles voix, ou tout au moins, celles empêchées de campagne présidentielle par le système des 500 parrainages ou des primaires. Ainsi, Sybille Corblet-Aznar, 61 ans, portera l’étendard d’Europe Écologie – Les Verts (EELV) dans la 6e circonscription du Calvados (Vire-Evrecy). Rangée à la candidature de Benoît Hamon (PS) pour la présidentielle, en conformité avec le résultat de la primaire de la gauche, Sybille Corblet-Aznar ressort là sa carte EELV. Son engagement écologique a été éclairé par sa profession d’infirmière de nuit à l’hôpital de Caen (Calvados) qu’elle a exercée pendant 25 ans : « Nombre de problèmes de santé et maladies sont liés à notre environnement. Le manque de maturation de notre système immunitaire et l’augmentation de la cancérologie que j’ai pu observer en sont une preuve. Notre environnement regorge de chimie. L’air extérieur comme celui de nos maisons en sont chargés. »

À l’inverse de certains autres infirmiers candidats, elle s’appuie sur la ligne nationale de son parti et ne se plie pas aux appétences locales. Co-présidente d’une association apolitique pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro), elle prône une sortie du nucléaire. Un discours qu’elle peine à faire entendre dans une région où l’usine de recyclage des déchets de La Hague et la centrale de Flamanville apportent du travail à bon nombre d’administrés. « Ici, le sujet ne constitue pas une priorité. Notre candidature locale a une visée nationale. Celle de faire voter des lois. »

Les scores du 1er tour de la présidentielle ont porté Emmanuel Macron et François Fillon dans son département. Un secteur rural, périphérique des centres décisionnels, où la tentation de composer pour exister n’est pas exclue. « La transition énergétique de Macron peut être intéressante. Mais Les Verts ont leur place. On sera plutôt dans l’opposition, mais toujours dans le constructif. Nous avons encore des choses à défendre », poursuit-elle.

La floraison de sensibilités de gauche est aussi l’affaire de la ville où là, non plus, la visibilité n’est pas aisée depuis le 23 avril. Mohamed Farid, 48 ans, est infirmier de nuit à Sarcelles (95). Délégué syndical CGT, il portera les couleurs du PCF et du Front de gauche dans la 8e circonscription du Val-d’Oise (Villiers-Le-Bel-Sarcelles). Lors de la campagne présidentielle, il a fait bloc avec La France insoumise et tracté pour Jean-Luc Mélanchon : « Je me réjouis du score de notre candidat, preuve qu’on a su intéresser. » Si l’émiettement des voix à gauche pour ce « 3e tour » est à considérer, Mohamed Farid mène néanmoins campagne « par fidélité » envers ces deux formations politiques « amies ». « Lors des conflits à l’hôpital, elles ont été là, au plus près. C’est un juste retour des choses. » Une vision pieuse dans un univers politique où les partis se disputent les voix qu’il reste encore à engranger. « Le résultat du 23 avril est une catastrophe pour nous, mais nous allons continuer sur notre lancée. Peu importe si la casquette est légèrement différente. C’est l’idée et le programme qui font le lien avec les gens. Ici, on est connu sur le terrain », note-t-il. Pourtant, Mohamed Farid n’exclut pas un remaillage territorial des candidatures « pour faire barrage à la haine, la xénophobie et le libéralisme à outrance ».

Comme l’ensemble des infirmiers candidats interrogés, il dénonce les conditions de travail des personnels soignants et milite pour le maintien voire la réouverture de lits ainsi que la création de centres de santé « là où les populations précaires n’intéressent plus les nouveaux médecins ».

Stop à la mondialisation !

Jodie Yonnet, 25 ans, défend, elle, le Parti de la démondialisation (le Pardem). Infirmière en chirurgie viscérale au CHU de Caen, elle s’engage pour la première fois en politique, portée par des amis et sa famille, eux aussi candidats pour le Pardem. La jeune femme est suppléante dans la 5e circonscription du Calvados (Bayeux). Le Pardem, créé en 2016, est le nouveau nom de M’Pep (Mouvement politique d’émancipation populaire) fondé en 2008. Faute de parrainages suffisants, le Pardem n’a pu porter son candidat Jacques Nikonoff à la présidentielle, ainsi que son programme « révolutionnaire » et « contre la caste politique » qui vise à « retrouver la souveraineté nationale ». Attentive aux questions de santé de son secteur géographique, Jodie Yonnet pointe les logiques comptables des politiques publiques : « On n’a plus le temps du prendre-soin. L’intérêt du patient est délaissé pour celui des chiffres. Tenir la main d’une personne en fin de vie et l’accompagner jusqu’au bout n’est aujourd’hui plus imaginable. »

Invitée à parler de son travail lors d’une réunion publique, fin 2016, Jodie Yonnet a rejoint le parti quelques semaines plus tard. « J’ai pu parler de mon quotidien à l’hôpital et échanger avec les gens. Être sur la même longueur d’ondes m’a motivée à me lancer. » Être une jeune femme avec une courte expérience professionnelle, un handicap sur la scène publique ? « Bien au contraire, explique l’IDE. Ma candidature prouve que tout le monde a quelque chose à dire et c’est ce que nous incitons à faire dans nos réunions. »

Dans un bassin de vie rural où les efforts se concentrent autour des hôpitaux de Caen et de Bayeux, elle regrette les fermetures des urgences des « petits » hôpitaux périphériques. Fidèle à la ligne de son parti, elle veut « redonner les moyens à l’hôpital public », offrir une égalité de soins à la ville comme à la campagne, et « restaurer, refonder et élargir la Sécu ainsi que tous les services publics pour garantir la justice sociale ».

Au-delà des clivages

Martial Candel défend, lui, le dialogue entre les personnes. Une dimension que son installation en libéral met chaque jour à l’épreuve, estime-t-il. Cet infirmier de 45 ans exerce depuis six ans dans un cabinet de la ville de Nontron (Dordogne). Il est aussi le maire sans étiquette du village rural voisin de Saint-Crépin-en-Richemont (200 habitants). « Ici, tout le monde compose avec tout le monde. Vous imaginez sinon… » Il aimerait représenter le mouvement En Marche ! qu’il a rejoint à l’hiver, pour la 3e circonscription de Dordogne (Nontron). Il a déposé sa candidature, un mois après l’ouverture du site et attend la décision du mouvement(2). « Dans nos petits territoires, le clivage droite-gauche est un non-sens. J’ai néanmoins découvert, à travers mon mandat de maire, un monde partisan. J’ai toujours essayé de promouvoir la commune, au-delà de ça. » S’il reconnaît que la santé n’est pas le point fort du programme d’Emmanuel Macron et émet des réserves concernant le doublement souhaité du nombre de maisons de santé, il lui reconnaît l’effort mis sur la prévention : « C’est un axe essentiel de notre métier qui permet d’éviter bien des complications. L’éducation thérapeutique, pour les patients diabétiques notamment, est au plus près du quotidien de nos patients et de leurs familles. »

1- Chiffres publiés par Ouest-France.

2- Article bouclé au lendemain du second tour de l’élection présidentielle et avant l’investiture des candidats En Marche !, mouvement rebaptisé depuis,La République en marche.

EN CHIFFRES

→ 577 députés seront élus. Un chiffre qui répond au strict découpage de la population nationale en autant de circonscriptions. Ils siègent à l’Assemblée nationale pour discuter et voter les lois proposées par le gouvernement.

→ 5 ANS : le mandat des députés est harmonisé avec celui du président de la Républiquepour permettre un renouvellement complet des institutions au même moment.

→ 50 % : un candidat peut être élu dès le 1er tour s’il obtient plus de 50 % des suffrages exprimés. Sinon, il est procédé à un second tour auquel peuvent participer tous les candidats ayant obtenu un nombre de suffrages égal ou supérieur à 12,5 % des électeurs inscrits.

À L’HEURE DES RÉACTIONS…

Suite au 2e tour des présidentielles où Emmanuel Macron a été élu président de la République, nous avons recueilli, à chaud, les réactions d’infirmières et infirmiers candidats aux législatives.

MARIE-CLAUDE GODIN, LR, LORIENT

« Les votes blancs, nuls et l’abstention… La fracture est profonde en France au lendemain du second tour de l’élection présidentielle. Le Président aura du travail pour rassembler. Nous, nous défendrons une droite républicaine. »

ARNAUD FAGE, FN, POITIERS

« Onze millions de voix, c’est énorme (NDLR, pour le FN) mais il y a de la déception, il ne faut pas se voiler la face. Le FN progresse, mais ce n’est pas encore assez. Il va falloir cravacher pour avancer. Il est temps d’opérer des rapprochements, il y a des potentiels députés derrière. »

MOHAMED FARID, PCF, SARCELLES

« Nos rencontres avec la France insoumise dans le Val-d’Oise sont pour le moment infructueuses, mais il faut que la vraie gauche se réunisse. On n’a pas le choix. Nous devons être responsables. La division ne profite qu’à la politique du libéral. Le combat continue contre Macron. »

MARTIAL CANDEL, EN MARCHE I, SAINT-CRÉPIN-DE-RICHEMONT

« Le 7 mai était un moment très émouvant. Depuis, dans cette attente des investitures, chaque minute compte. Je viens de la vie civile, et il n’y a aucun calcul politique. Si je ne suis pas investi, je soutiendrai Emmanuel Macron. On est là pour créer une nouvelle dynamique. »

SYBILLE CORBLET-AZNAR, EELV, VIRE

« Je suis satisfaite du score du second tour. Nous allons désormais pouvoir débattre dans une ambiance démocratique. Mais le programme d’Emmanuel Macron n’est pas le nôtre. On attend de voir ce qu’il va faire. Je suis une réformatrice et ma détermination est renforcée. »