L'infirmière Magazine n° 383 du 01/06/2017

 

IDE/AS

DOSSIER

Lisette Gries  

En binôme ou en équipe, les infirmières et les aides-soignantes offrent une meilleure qualité de soins quand elles travaillent ensemble. Charge alors aux établissements d’organiser leurs services de façon à favoriser cette collaboration.

Dans mon service, les aides-soignantes sont surchargées. Nous n’arrivons plus à assister au staff, les infirmières y vont seules et nous transmettent ce qui s’y est dit ensuite, entre deux patients, dans le couloir. Dans la journée, chacun travaille dans son coin », regrette Carole Gauvrit. Aide-soignante dans un service de médecine à Libourne (33), elle a vu ses conditions de travail se modifier au cours des dix dernières années. « Auparavant, la collaboration était plus effective, les IDE étaient plus présentes avec nous. Mais le travail s’est intensifié, les techniques de soins et les protocoles médicaux ont évolué et les infirmières sont débordées. »

La loi prévoit, selon l’arrêté du 22 octobre 2005 relatif à la formation conduisant au diplôme d’État d’aide-soignant, que « l’aide-soignant exerce son activité sous la responsabilité de l’infirmier, dans le cadre du rôle propre dévolu à celui-ci », mais aussi qu’il n’effectue que des actes pour lesquels il a été formé lors de son cursus initial (circulaire n° 96-31 du 19 janvier 1996). Ces deux dispositions encadrent la collaboration entre les IDE et les AS, ces dernières venant en appui des premières sur un certain nombre de tâches. « Pendant que je prends les constantes, l’infirmière peut s’occuper de la perfusion. Ensuite, nous réinstallons ensemble le patient et nous pouvons effectuer à deux des massages pour éviter les plaies », décrit Christine Foret, aide-soignante de nuit dans un service de chirurgie dans le Jura.

Entre deux feux

Mais quand les IDE sont elles-mêmes sous pression, les AS sont bien souvent amenées à sortir de leur cadre d’exercice strict. « Tous les jours, des collègues prennent des glycémies capillaires, posent des bandelettes de contention, appliquent des pommades ou des collyres au patient, etc. », témoigne Carole Gauvrit. Autant de tâches qui appartiennent au rôle propre des IDE, mais qui ne figurent pas au programme national de la formation initiale conduisant au diplôme d’aide-soignant. Et qui, même en renforçant les compétences des AS par des formations en interne, n’en restent pas moins contraires à la législation (lire aussi p. 60).

Dans les Ehpad, la situation est plus complexe encore : les infirmières sont souvent bien trop peu nombreuses pour encadrer le travail des AS, qui assurent dès lors seules une partie du fonctionnement de l’établissement. « Les aides-soignantes sont prises entre deux feux : elles veulent répondre aux exigences de leur service, mais elles connaissent aussi les limites de leurs responsabilités », déplore Arlette Schuhler, présidente de la Fédération nationale des associations d’aides-soignants (Fnaas). En cas d’erreur d’une AS sur un soin qui ne relève pas de sa compétence, l’IDE est légalement responsable de ce glissement de tâche. Dans les faits, l’aide-soignante est souvent associée à la sanction.

Pour lever cet obstacle juridique à la collaboration avec les IDE, la Fnaas réclame un rôle propre pour les AS, qui intègrerait plus d’actes. Pour Cécile Kanitzer, conseillère paramédicale à la Fédération hospitalière de France (FHF), la solution réside dans un transfert de compétences encore plus poussé : « Les aides-soignantes pourraient hériter du rôle propre des infirmières, à qui l’on retirerait entièrement cette liste d’actes pour qu’elles se concentrent sur leur rôle prescrit et sur des activités médicales qui pourraient leur être transférées dans le domaine des pathologies chroniques, du vieillissement ou de la cancérologie, par exemple. » En augmentant le nombre d’AS dévolues au nursing, et en réorientant les compétences des IDE, les besoins en termes de soignants au lit du malade pourraient être comblés, selon cette infirmière de service psychiatrique passée cadre puis directrice des soins. Ce qui suppose néanmoins une formation adéquate. Et la collaboration pourrait s’affranchir du rapport de hiérarchie, qui semble parfois nuire au travail en équipe. « L’organisation des services place souvent les infirmières en position managériale, à la place des cadres. Elles sont de fait en position d’autorité par rapport aux aides-soignantes », constate Cécile Kanitzer.

Pas de tâches ingrates

Une position dont certaines IDE abusent, refusant d’effectuer des gestes qui relèvent pourtant de leur rôle propre : toilettes, changes, etc. « Nous sommes les petites mains des infirmières, pas leurs bonnes à tout faire », s’agace Arlette Schuhler. À l’inverse, les exemples de collaboration réussie se trouvent dans des services où il n’y a pas de tâches considérées comme ingrates. Ainsi, aux urgences adultes du CHU du Havre (76), les IDE et les AS travaillent en binômes. « Les infirmières font les toilettes des patients avec nous, elles ne rechignent pas à mettre un bassin, elles distribuent même les repas si elles ont le temps, raconte Sophie Ferreira, aide-soignante. C’est l’état d’esprit de tous les professionnels : les cadres posent des résines ou poussent les brancards quand il faut, et il est même arrivé qu’un médecin fasse une toilette avec nous. » L’application concrète de cette philosophie du soin est facilitée par une équipe suffisamment nombreuse : dans ce service, on compte six patients pour une IDE en moyenne. « Travailler en binôme permet de prendre du recul face à des situations compliquées, de réfléchir à ce qu’on va faire », apprécie Sophie Ferreira. Quand les patients sont nombreux et que les binômes se dédoublent, les IDE connaissent suffisamment la façon de travailler de leurs collègues AS pour les laisser effectuer leurs tâches de façon autonome sans crainte (lire aussi p. 30).

C’est d’ailleurs cette confiance mutuelle qui est au cœur du concept de collaboration, le binôme n’étant pas la seule forme efficace de travail en commun. « Il ne faut pas confondre autonome et solitaire, souligne Sophie Divay, sociologue de la santé (lire aussi p. 23). La collaboration ne doit pas étouffer les individus. Il est tout à fait possible de travailler seul tout en faisant partie intégrante d’un groupe. » Transmettre des consignes à une AS ne suffit pas à l’intégrer au processus de soin. « Je regrette que les infirmières passent moins de temps avec nous, mais tant que je peux donner mon avis sur la prise en charge des patients, le lien n’est pas rompu », estime Carole Gauvrit. « Une collaboration réussie passe toujours par des temps de coordination, renchérit Cécile Kanitzer. Il me semble essentiel d’instaurer des moments et des espaces de discussion, en dehors des transmissions, pour discuter du contenu du travail. »

Réfléchir au sens du soin

Aux urgences adultes du CHU du Havre, ces temps font partie du fonctionnement de l’équipe : « On retravaille toujours sur les gros cas, en cas de décès notamment. On reparle de ce qui a été mis en place, de ce qui aurait pu être fait autrement… », raconte Sophie Ferreira. Tous les grades de soignants sont associés à ces debriefings, comme ils le sont aux réunions hebdomadaires de cadrage.

« Si l’on veut améliorer la qualité de la prise en charge et renforcer la collaboration, il faut associer tous les soignants à une réflexion centrée sur le sens du soin », conseille encore Cécile Kanitzer. L’exemple du projet Noctambule, mis en place en psycho-gériatrie à l’hôpital Sainte-Périne à Paris (AP-HP), montre l’efficacité de cette démarche. Les patients, qui souffrent souvent d’une inversion du rythme nocturne/diurne, y déambulent dans les couloirs le soir et la nuit. Les soignants avaient pour habitude de les recoucher, en ayant parfois recours à une forme de contention, mécanique ou médicamenteuse. « En réunion, les aides-soignantes exprimaient leur impression d’être maltraitants. L’un deux, qui aimait la peinture, a commencé à proposer des activités aux patients au lieu de les recoucher », raconte Chrystelle Croitor, cadre dans le service.

L’équipe s’est rapidement rendue compte que la lumière allumée dans une des pièces attirait les patients noctambules. Petit à petit, c’est une nouvelle dynamique qui s’est installée, à l’initiative des IDE et des AS, qui organisent désormais des animations en soirée et la nuit, dans les salles communes, voire dans le jardin quand le temps le permet. « Ce projet repose sur une collaboration forte entre les IDE et les AS, qui ont impulsé cette nouvelle façon de faire. Il arrive que les patients qui ne trouvent pas le sommeil viennent s’asseoir à côté de nous quand on dîne, s’il n’y a pas d’animation prévue. On les laisse faire, on ne les ramène plus vers leur lit. On attend qu’ils montrent des signes de fatigue », explique Chrystelle Croitor.

En 2016, ce projet a remporté le Trophée patients de l’AP-HP, dans la catégorie Mieux vivre à l’hôpital – gériatrie, ce qui lui a valu une dotation de 4 000 €. Deux salles de cinéma ont été installées et du petit matériel de cuisine a été acheté. Grâce à une gestion horizontale de l’équipe et à une forte cohésion entre soignants, un climat de bien-traitance s’est instauré dans ce service, où l’absentéisme a d’ailleurs baissé.

IFSI/IFSAS

Apprendre à se connaître

« Nous souhaitons former des professionnels engagés dans une démarche de collaboration et capables de prendre leur place dans une équipe », explique Lætitia Dietemann, cadre de santé formateur de l’Ifsi de Saverne (67). L’école partage ses murs avec un Ifas. Depuis 2014, les étudiants des deux filières se rencontrent plusieurs fois par an. « Dès la fin de la semaine de rentrée, on organise une course d’orientation en équipes “mixtes”. À chaque balise, les étudiants doivent répondre à une question qui les oblige à discuter entre eux, comme la somme de leur âge », détaille Laetitia Dietemann. Le mois suivant, une autre rencontre les encourage à échanger sur leurs représentations de leurs futures professions. « Ils ont ensuite un cours magistral commun sur le secret professionnel, suivi de groupes de travail mixtes. Puis, on organise une journée à leur retour de stage, où on leur demande de réfléchir sur la thématique de la collaboration », ajoute Rémi Adam, formateur à l’Ifas.

Pour ces quatre temps forts, seuls les étudiants en soins infirmiers de 1ère année rencontrent leur homologues de l’Ifas, dont la formation dure 10 mois. Les 40 élèves de l’Ifas et les 150 de l’Ifsi se retrouvent cependant lors d’une journée inter-promotions organisée sur un thème transversal, comme le don d’organes. Ils organisent aussi ensemble la journée portes ouvertes, et des représentants des deux filières siègent au conseil de la vie étudiante.

« Nous voulons leur apprendre à voir comment ils peuvent être une ressource pour les autres dès leur entrée en formation, insiste Rémi Adam. Cet esprit collaboratif pourra ensuite se développer sur leur lieu de travail. »