EXPRESSION LIBRE
D’où qu’on l’observe - et les infirmières sont parmi les mieux placées pour cela -, notre système de santé montre des signes plus ou moins prononcés d’essoufflement. Les hôpitaux publics sont en crise endémique depuis des décennies, la médecine libérale de premier recours ne remplit plus son rôle au point qu’il devient presque banal de parler de désertification médicale maintenant qu’elle touche autant nos campagnes que nos villes. D’aucuns pensent que nous n’y pouvons rien, je crois l’inverse. Quels que soient les problèmes de santé publique auxquels nous sommes confrontés, je crois en la nécessité de repenser et refonder notre système plutôt qu’en des réformes. Restons sur l’offre de soins de première ligne largement défectueuse. Elle est source d’engorgement des urgences alors que sept sur dix seraient traitables en ville. Parlons aussi du tournant pris en faveur de l’ambulatoire qui ramène beaucoup plus rapidement chez eux des patients exigeants des soins plus nombreux et spécialisés. Citons encore le vieillissement de la population et l’impérieuse nécessité de faire face au maintien à domicile. Évoquons enfin le circuit défectueux des médicaments et ses 10 000 à 30 000 morts par an d’iatrogénie(1). Ce ne sont que quelques exemples qui montrent que le besoin de remettre sur pied une première ligne de soins devient vital.
Maintenant regardons du côté des solutions. Quand on parle de désertification médicale, la plupart des responsables pensent médecin généraliste. Sauf que de moins en moins d’étudiants choisissent cette voie et que, malgré bourse, défiscalisation, cabinet gratuit…, ils ne se précipitent pas plus. Tandis que certains, en cette période électorale, préconisent d’obliger les jeunes médecins à s’installer là où sont les besoins, on peut faire le pari que pas un gouvernement ne prendra ce risque ! Alors quoi ? Augmenter le numerus clausus ? On vient de voir que cela ne changera rien à l’absence d’attrait du métier d’omnipraticien. D’autant qu’il faut neuf ans pour former un médecin généraliste : que fait-on pendant ces années, on laisse les situations se dégrader davantage ?
Il est temps de rebattre les cartes et de reconsidérer les rôles et métiers de chaque professionnel dans l’organisation des soins. Les besoins de la population se sont modifiés et vos aspirations ont évolué. Sans démagogie, je m’interroge(2)… Certaines infirmières, après 10 ou 15 ans d’activité dans différents services, ne pourraient-elles pas constituer la première ligne de la première ligne après être retournées un temps sur les bancs de la fac ? Je sais que poser la question suffit à provoquer la colère de certains, mais qu’importe. Nous sommes dans une impasse et seule la concertation, dans une démarche participative oubliant les corporatismes, nous permettra d’en sortir. Utopie ? Déjà le protocole Asalee qui repose sur le concept canadien d’infirmière de santé publique, permet à des IDE de prendre en charge l’éducation thérapeutique dans les cabinets de soins primaires. Une première étape ?
1 - Bégaud B., Castagliola D. « Rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage des médicaments en France », 2013.
2 - Santé, le trésor menacé, Antoine Vial, Éditions l’Atalante 15 € ou numérique 6,99 €.