L'infirmière Magazine n° 384 du 01/07/2017

 

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« Entends-tu les orgues, Christophe ? » Concentré, les yeux plissés et le visage contracté à l’extrême, je tendais avec force l’oreille mais n’entendais rien. Mon patient scrutait mon regard et attendait ma réponse. « Écoute, disait-il. Écoute bien. » Mais seul régnait le silence. Dans ses yeux, il y avait l’espoir, dans les miens, la tristesse. Car comment lui dire ce silence sans le blesser ? Comment expliquer les hallucinations à cet homme qui voulait tant partager cette musique avec moi ? Bien connu de notre service psychiatrique où il était régulièrement hospitalisé, sa gentillesse était immense. Au point de vouloir nous emmener avec lui dans son monde aux mille musiques, car il se pensait grand compositeur de musique classique. « Alors Christophe, tu les entends ? » J’étais perplexe. Que devais-je faire ? Le conforter dans son délire ou le ramener à la réalité ? J’étais terrifié à l’idée de briser ses rêves de concerto. Plus il me pressait, plus je perdais pied. Quand une autre musique vint à mon secours, celle de la douce voix de ma vieille collègue Germaine qui avait perçu ma gêne. « Que se passe-t-il Christophe ? Tu n’entends rien ? Écoutons ensemble », m’a-t-elle dit en lui adressant un sourire complice, me troublant ainsi encore plus. La scène était surréaliste. Au milieu du couloir, nous écoutions le silence. Sauf quelques bruits sourds, il n’y avait aucun orgue. « Décidément, mes vieilles oreilles me font défaut ! J’entends tout et rien. Même Jacques Brel revient dans mes pensées ! Par contre, Christophe, tu n’as aucune excuse ! » a-t-elle lancé en riant. « Aimez-vous Jacques Brel ? », a-t-elle demandé à notre patient qui délaissait soudain les orgues pour évoquer avec elle ses souvenirs de jeunesse. J’étais stupéfait. Germaine avait habilement dévié la conversation en employant l’humour puis, grâce à Brel, ils ont longuement échangé. Plus tard, elle m’a expliqué que notre patient entendait sa musique et que rien à cet instant n’aurait pu l’en faire douter. Que l’on peut parfois laisser aller les choses, sans les brusquer, que l’urgence est ailleurs, dans le bien-être des patients et dans notre lien avec eux qui est essentiel pour la suite des soins. Je comprenais désormais : prendre le temps, ne pas brusquer, créer du lien pour mieux accompagner. Depuis, parfois seul dans le couloir, je tends l’oreille pour entendre, un jour peut-être moi aussi, les orgues. Ou Brel. Comme Germaine.

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