Depuis 2015, le centre hospitalier de Guéret, dans la Creuse, s’est lancé dans une démarche ambitieuse d’éco-maternité. Un projet initié par les soignants – et soutenu par la direction – afin que les futurs parents s’approprient les meilleures pratiques pour leurs nouveau-nés.
Quand on entame la discussion sur le développement durable, Virginie Layadi, ingénieure qualité, est intarissable. Et pour cause. Cette passionnée est référente sur le sujet au centre hospitalier de Guéret, le seul établissement du département qui propose un service de maternité et assure entre 550 et 570 accouchements par an. En juin 2015, elle a obtenu son diplôme d’université (DU) en management du développement durable en santé en réalisant un mémoire sur l’éco-maternité au CH de Guéret. Délivré par l’Institut des sciences de l’entreprise et du management (Isem) à l’université de Montpellier (34), en partenariat avec le Comité pour le développement durable en santé (C2DS) et le Centre d’études supérieures en économie et gestion hospitalière (CESEGH), ce diplôme lui a permis d’acquérir de solides connaissances. Depuis, l’éco-maternité est un peu son bébé ! L’objectif est de sensibiliser les professionnels et les parents sur le thème des risques environnementaux autour de la femme enceinte et du bébé. Mais aussi d’offrir le plus possible un environnement de soins écoresponsables. Bien sûr, elle n’est pas seule dans cette entreprise. Et c’est sans aucun doute l’une des clés de la réussite de cette initiative ambitieuse, enclenchée en 2015, et qui ne cesse de progresser.
« À mon arrivée, en août 2015, le projet n’était pas validé mais les ingrédients étaient tous réunis. Il fallait simplement entériner l’engagement institutionnel dans cette démarche, souligne Frédéric Artigaut, directeur des centres hospitaliers de Guéret et de Bourganeuf. L’originalité de la démarche creusoise vient du fait qu’elle est spontanée et portée par des professionnels convaincus. Compte tenu des attentes des soignants, du rôle donné aux établissements par la loi de santé de début 2015, et des effets de plus en plus identifiés des perturbateurs endocriniens dès le plus jeune âge, il était pertinent que l’établissement s’engage. » Fin 2015, la direction donne donc son feu vert. La machine est officiellement lancée. Elle ne s’arrêtera plus, créant une belle dynamique au sein des équipes, soignantes ou non. Un fil vert actif qui diffuse les bonnes pratiques.
Tout a commencé en mai et juin 2016 par une première session de sensibilisation au développement durable et à l’éco-maternité réalisée par l’agence Primum Non Nocere. Au total, 65 personnes, réunies en cinq groupes sur une demi-journée, en ont bénéficié : l’équipe de direction et l’encadrement médical et paramédical bien sûr, mais aussi les sages-femmes, ainsi que tout le personnel de la maternité et du service pédiatrie – infirmière, aide-soignante, auxiliaire de puériculture –, des représentants de l’équipe d’entretien des locaux, de la pharmacie, des services techniques, du biomédical, de la restauration, de la blanchisserie, du service des ressources humaines. Quelques mois plus tard, en septembre, l’agence a remis son rapport suite au diagnostic effectué sur l’éco-maternité tout en indiquant des pistes d’amélioration. On y trouve, entre autres, la nécessité de créer un groupe de pilotage institutionnel sur le projet, de définir une politique d’achat éco-responsable, de s’ouvrir vers l’extérieur, et de favoriser le travail interdisciplinaire entre la maternité et la pédiatrie, entre les sages-femmes et les IDE. Quelques actions d’un chantier immense dont certaines se sont concrétisées comme le comité de pilotage éco-mater, en novembre dernier.
« Je suis tombée sur une équipe déjà convaincue, affirme Virginie Layadi. Disons que la pièce était pleine, tant les idées fourmillaient, il fallait juste allumer l’interrupteur ! » Et dans les couloirs de l’établissement, les équipes le confirment. La maternité est le lieu idéal pour mettre en œuvre cette démarche. L’arrivée d’un nouveau-né est le moment clé pour changer ses habitudes. C’est un instant qui favorise le transfert de connaissances. Même si la maternité n’est qu’un passage, les futurs parents se posent beaucoup de questions et sont le plus souvent à l’écoute. « Tout ce qui permet d’avancer et d’aller vers des points positifs pour les enfants, c’est une bonne chose, confirme Laurence Bourdier, sage-femme à Guéret depuis 27 ans. Lors des consultations, dès le 3e mois de grossesse, j’aborde la question de l’emploi des cosmétiques, de la teinture des cheveux, de l’aération de la chambre, du choix des peintures et des produits ménagers. Mais j’insiste aussi sur l’alimentation, l’activité physique, la limitation de la prise de poids. Nous sommes également là pour accompagner les femmes dans le cadre de la promotion de l’allaitement, sans l’imposer bien sûr. Ma seule interpellation, c’est que je suis face à une population plutôt défavorisée socialement, il faut donc que les solutions proposées soient possibles et non culpabilisantes. » Car les produits biologiques et labellisés sont souvent plus chers. Cette question du coût est souvent pointée du doigt. Il faut aussi s’assurer que les produits soient disponibles lors du retour au domicile. Aujourd’hui, la maternité a supprimé la mallette d’échantillons, réalise des tests pour des produits de toilette non toxiques (gels lavants, shampoings), et vient de sortir de son marché afin de pouvoir choisir des couches sans produits chimiques. Mais mettre en place ces nouvelles pratiques d’achats demande du temps. D’abord, il faut déterminer des critères de sélection pour obtenir les produits adaptés, ensuite, sortir de plusieurs décennies d’habitudes où les laboratoires occupaient une place hégémonique. « Il y a encore des choses à faire, estime Mélissa Jonquet, auxiliaire de puériculture, en poste depuis trois ans. Les produits, par exemple, doivent être faciles à rincer, à utiliser, et à trouver à l’extérieur. Le plus difficile est sans doute de ne pas toujours être en accord entre ce que je fais et une démarche 100 % développement durable. » Pourtant, l’important n’est pas d’être exemplaire tout le temps mais bien d’avancer, car ce qui est fait ici a aussi valeur d’exemple pour les parents. « Notre métier a une image sacralisée d’un moment précis. Nous pouvons être porteuse d’un message très facilement, mais bien sûr en étant à la pointe de la formation et des connaissances sur le sujet », explique Valérie Picot, coordonnatrice des sages-femmes.
Au quotidien, Élodie Massicot, infirmière depuis 12 ans, et Pauline Borde, puéricultrice depuis 7 ans, œuvrent d’un jour à l’autre dans les services pédiatrie et maternité. Elles y rencontrent deux catégories de parents. « Il y a ceux qui nous font confiance et qui vont reprendre les marques que nous utilisons, et ceux qui arrivent avec leurs produits, souvent labellisés bio », confirment-elles. Alors petit à petit, les équipes donnent des conseils qui vont dans le sens de pratiques plus respectueuses de la santé et de l’environnement.
On sait aujourd’hui que les facteurs environnementaux ont un impact sur la santé. Si les équipes de la maternité sont de plus en plus interpellées sur l’éventuelle toxicité de certains produits, le but n’est pas d’effrayer les futurs parents. Mais de proposer un accueil basé sur des notions de bien-être, et d’apporter des réponses pragmatiques. Dans cette perspective, la formation est au cœur de la démarche d’éco-maternité.
Grâce à un appel à projets de l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine, le CH de Guéret a obtenu un financement pour monter un programme de formation afin d’animer des ateliers dans la maternité. Mais aussi à l’extérieur pour les professionnels de la petite enfance du service de la protection maternelle infantile (PMI). Une façon d’essaimer les bonnes pratiques « hors les murs » et de les mutualiser sur un territoire rural qui doit lutter tout en innovant pour garder ses services. Cette démarche, soutenue par Éric Correia, adjoint au maire de la commune et président de la communauté d’agglomération du Grand Guéret (22 communes, 31 000 habitants), fonctionne en réseau avec la caisse d’allocations familiales (CAF), la PMI, l’Assurance maladie, le réseau des assistantes maternelles et des médecins libéraux. C’est Céline Coupeau, IDE et première éco-infirmière formée dans le Sud-Ouest, qui était aux commandes du premier atelier nesting dispensé le 29 mai dernier au CH. Elle a familiarisé son public aux risques pour la santé liés à l’environnement, à la connaissance des polluants et à la prévention des risques d’exposition en trouvant des solutions alternatives plus saines et simples à mettre en œuvre. À travers des quiz, des mises en situation, un décodage des étiquettes des produits utilisés couramment, elle a cherché à actionner de manière interactive de nouveaux réflexes auprès des participants du jour – directrice des soins, IDE, AP, ASH et parents – et à se questionner sur ses pratiques de soins, d’achat et de consommation. Ce qui permet d’avancer dans cette prise en compte quotidienne de gestes respectueux de l’environnement, de la santé des futures mamans, des nouveau-nés, et des professionnels qui les accompagnent. « Le développement durable en santé donne du sens à tout ce que l’on dit et fait depuis longtemps, c’est-à-dire soigner les gens et limiter les risques, estime Virginie Layadi. Et pour que cela fonctionne, il faut que ce soit une proposition de service. » À Guéret, c’est un sans faute.
Pour accompagner parents et enfants pendant la grossesse, l’accouchement et les mois qui suivent dans le respect de l’humain et de l’environnement, le Comité pour le développement durable en santé (C2DS) a développé le concept global d’éco-maternité dont il donne la définition suivante : « C’est pour l’établissement un moyen de redonner du sens et du souffle à son activité et se démarquer sur son territoire avec une prise en charge différente de la naissance. Ce concept intègre des thématiques aussi diverses que la promotion de la santé de la mère pendant la grossesse (tabac, alimentation, alcool…), l’aménagement de la salle d’accouchement, l’environnement à la maternité (bruit, ondes, environnement chimique, électrique et électromagnétique), l’allaitement maternel, les produits d’hygiène, les couches, l’accompagnement des parents pour le retour à la maison… »