Le harcèlement sexuel au travail est souvent insidieux et difficile à prouver. Des moyens d’action existent, les connaître augmente les chances de la vicitime de sortir de sa situation. Tour d’horizon.
Ils sont éducateur, policier, dentiste, chirurgien. Ils ont été mis en examen pour harcèlement sexuel… et finalement relaxés, le plus souvent pour manque de preuves à l’appui. Pour cette raison, d’ailleurs, « les plaintes sont peu fréquentes dans le milieu hospitalier », constate l’avocat Renaud de Laubier, fort d’une expérience de cinq ans comme direc?teur des contentieux puis des affaires juridiques à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). De son côté, la loi impose expressément à l’employeur de protéger efficacement ses employés contre le harcèlement sexuel.
• Le harcèlement sexuel est, tel que définit dans les textes, le fait d’imposer à quelqu’un, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité parce qu’ils sont dégradants, humiliants ou créent une situation intimidante, hostile ou offensante à son égard. Le chantage sexuel ou toute forme de pression grave, même non répétée, qui a pour but réel ou apparent d’obtenir un acte sexuel est assimilée à du harcèlement sexuel.
• L’infraction est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. En cas de circonstances aggravantes, les peines s’élèvent à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 € d’amende. C’est le cas, notamment, lorsque le harcèlement sexuel est exercé par une personne qui abuse de l’autorité découlant de ses fonctions. En d’autres termes, un supérieur hiérarchique.
• Garant de la prévention de la santé et de la sécurité des employés dans le secteur privé, comme dans le public, l’employeur doit mettre en place un système de management qui permet d’éviter le harcèlement sexuel, mais aussi le prévenir. Et ce, notamment « par le biais d’un affichage et d’une mention des dispositions légales sur le harcèlement sexuel dans le règlement intérieur », précise Renaud de Laubier.
• L’employeur est tenu d’une obligation de résultat. Il peut donc se voir condamné lorsqu’un cas de harcèlement sexuel survient. Et ce, même si l’agresseur est extérieur à l’entreprise, comme un formateur externe, ou si les faits se déroulent en dehors du temps et du lieu de travail (Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-12.930).
• Face au harcèlement sexuel, l’employeur doit prendre toutes les mesures qui permettront de protéger efficacement la victime. Il peut aussi prononcer les sanctions disciplinaires qu’il juge appropriées à l’encontre de l’agresseur. Le changement d’affectation, la mutation, la suspension des fonctions ou le licenciement (dans le privé) peut être envisagé. Mais attention, en l’absence d’une décision de justice reconnaissant le harcèlement sexuel, l’employeur ne peut fonder un licenciement sur ce motif. Il doit le justifier en détaillant les actes fautifs constatés.
• Dans le public, l’administration doit aussi accorder à l’agent victime de harcèlement sexuel une assistance juridique et le paiement de sommes en réparation du préjudice subi. C’est la protection fonctionnelle (lire l’interview ci-contre).
• En cas de harcélement sexuel, l’agent public ou le salarié doit immédiatement alerter son employeur ou son chef de service de tout danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Il peut aussi passer par l’intermédiaire des représentants ou délégués du personnel. Mais, en pratique, « les délégués souhaiteront probablement s’assurer de la réalité du danger avant d’accepter de s’impliquer, en particulier si l’agresseur est syndiqué, car leur fonction est aussi de protéger ses droits », souligne Renaud de Laubier. Or les preuves peuvent être difficiles à réunir dans l’urgence. « Le salarié du secteur privé peut aussi contacter l’inspection du travail pour qu’une enquête soit diligentée sur le lieu de travail », ajoute l’avocat. Et user de son droit de retrait. Autrement dit, quitter son lieu de travail afin d’échapper au danger.
• Dans le privé, lorsque le salarié use de son droit de retrait, son salaire ne peut être suspendu durant son absence. L’employeur ne peut pas non plus l’obliger à reprendre son poste de travail tant que le danger perdure.
• Côté secteur public, le droit de retrait de l’agent lui est expressément reconnu en cas de harcèlement sexuel. Le juge administratif contrôle toutefois son bien-fondé de façon très stricte en fonction des circonstances de l’espèce. Mieux vaut donc être sûr de l’importance du danger, mais aussi de pouvoir le prouver (voir l’interview). Dans le cas contraire, gare aux sanctions pour abandon de poste !
« La voie pénale est à privilégier pour agir contre le harcèlement sexuel », indique Renaud de Laubier. Seuls les tribunaux pénaux peuvent prononcer les amendes et peines d’emprisonnement prévues par le code pénal.
• La victime a jusqu’à six ans suite au dernier acte de harcèlement pour engager son action. « La réparation civile – dommages et intérêts – découle des conclusions de cette action pénale », ajoute l’avocat. Une plainte pour discrimination peut s’y greffer si la victime s’est vue lésée en n’ayant pas voulu céder au harcèlement sexuel.
• En parallèle, le salarié peut également saisir les prud’hommes pour harcèlement sexuel au travail et pour tout autre litige qui en découlerait. Si une action pénale est engagée, les prud’hommes devront alors s’aligner sur la conclusion des juges pénaux concernant l’existence ou non d’une situation de harcèlement sexuel. Ainsi, dans un arrêt du 3 novembre 2005, la Cour de cassation a annulé les dommages et intérêts accordés par la cour d’appel à une employée qu’elle reconnaissait victime de harcèlement sexuel. Motif : le tribunal correctionnel avait considéré que l’infraction n’était pas constituée.
• À savoir : Les prud’hommes considèrent le harcèlement sexuel comme une faute grave justifiant le licenciement du harceleur. Pour autant, « ils ne peuvent pas l’imposer à l’employeur, qui reste maître des sanctions disciplinaires qu’il prononce à condition de protéger la victime », précise Renaud de Laubier.
• De son coté, le fonctionnaire peut agir devant le tribunal administratif (voir l’interview).
• Deux options s’offrent au salarié qui agit devant les prud’hommes. En cas d’urgence particulière qui ne souffre pas de contestation sérieuse, il peut agir en référé. Dans le cas contraire, il suivra la voie classique en engageant son action dans les cinq ans. À noter : Le salarié peut agir contre le harceleur, mais aussi contre l’employeur qui a manqué à son obligation de protéger sa santé. Pour obtenir deux indemnisations différentes, il devra cependant prouver deux préjudices distincts.
• Les preuves fournies doivent laisser supposer l’existence d’un harcèlement sexuel : témoignages de collègues ou clients, certificats médicaux du médecin du travail, messages téléphoniques écrits, courriers électroniques… « Quand le harcèlement sexuel est établi et que la victime a été licenciée pour faute – ou qu’elle a démissionné –, le licenciement – ou la démission – est requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse, explique Renaud de Laubier. Le salarié est alors réintégré. » Et s’il ne le souhaite pas, il obtient, en plus des indemnités de licenciement, une indemnité au moins égale à 6 mois de salaire, une indemnité compensatrice de préavis non effectué du fait du harcèlement et le paiement des salaires non versés depuis la fin de son contrat, le cas échéant.
Objet : signalement de harcèlement sexuel sur le lieu de travail de la part de (préciser) (à envoyer en recommandé avec AR)
Madame, Monsieur,
Je soussigné (e) (préciser prénom, nom), salarié (e) de l’entreprise (préciser nom) depuis (indiquer la durée), au poste de (préciser), dans le service (préciser), suis au regret de vous informer avoir subi/ que je subis régulièrement (indiquer avec précision les gestes, pressions, propos, chantages, etc.) de la part de (indiquer prénom, nom et poste occupé par la personne qui vous harcèle).
Je vous demande d’intervenir au plus vite, conformément à l’article L. 4121-2 du code du travail, afin de faire cesser ces troubles qui portent atteinte à ma dignité, à ma santé et qui dégradent mes conditions de travail.
Sans réponse ou action concrète de votre part, je m’en remettrai au tribunal compétent, ces comportements étant condamnés par les articles L. 1153-1, L. 1152-2 du code du travail et l’article 222-33 du code pénal.
Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma considération distinguée.
Signature
→ Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel
→ Code pénal, article 222-33 sur l’infraction de harcèlement sexuel.
→ Code du travail, article L. 4121-2 sur l’obligation de l’employeur.
→ Code du travail, articles L. 1153-1 et suivants sur le harcèlement sexuel au travail.
→ Circulaire du 4 mars 2014 sur la lutte contre le harcèlement sexuel et moral dans la fonction publique.
Quelle est, selon vous, la démarche à suivre pour une infirmière hospitalière victime de harcèlement sexuel au travail ?
• Si elle bénéficie de témoignages, je lui conseille d’intenter une action au pénal en portant plainte au commissariat après en avoir informé son employeur. Puis, elle doit demander par écrit la protection fonctionnelle de son administration. En cas de refus, ou d’absence de réponse pendant deux mois – qui doit être interprété comme un refus –, l’agent peut contester cette décision en saisissant le tribunal administratif. Le juge se chargera d’obliger l’administration à lui fournir son aide.
En quoi consiste la protection fonctionnelle offerte par l’administration ?
• Dès que l’employeur public a connaissance des faits constitutifs de l’infraction qui s’est déroulée pendant l’exercice des fonctions, il doit accompagner la victime dans ses démarches. En pratique, il contacte son assureur qui met généralement un avocat à disposition de la victime. Celle-ci peut toutefois en préférer un autre. L’administration n’est pas tenue de financer l’intégralité des frais d’avocats. En revanche, elle lui verse une provision sur la réparation pour le préjudice subi, avant même qu’une action en justice ait eu lieu. Elle a ensuite la possibilité de se retourner contre le harceleur.
En pratique, quelle est la difficulté la plus fréquente ?
• Trouver des éléments de preuve, assurément. Comment prouver qu’une tape sur les fesses a été dispensée à l’abri des regards, ou un mot déplacé proféré dans un ascenseur sans témoins ? L’enregistrement secret des conversations n’est pas recevable en justice, c’est pourtant un indice accréditant les dires de la victime auprès de l’employeur… Les témoignages écrits sont les éléments les plus probants. Mais attention à ne pas tendre de piège pour les obtenir ! Arriver en mini-jupe, par exemple, dans le but de provoquer le harceleur, alors que des témoins sont cachés pour observer la scène, est une attitude à proscrire. Les preuves doivent être obtenues de bonne foi !
PROPOS RECUEILLIS PAR A. A.