L'infirmière Magazine n° 384 du 01/07/2017

 

MAISON DE NAISSANCE

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À LA UNE

Sandra Mignot  

Après plusieurs années de couvade, les premières maisons de naissance françaises ont fêté leur premier anniversaire le 1er avril dernier. Les sages-femmes se montrent satisfaites de pouvoir exercer l’accompagnement global même si l’aventure est semée d’embûches.

Depuis mai 2016, huit maisons de naissance (MDN) accueillent en France des couples désireux de donner la vie autrement, hors de l’hypermédicalisation générée par le fonctionnement hospitalier. Sur les neuf projets retenus par le ministère en novembre 2015(1), celui conçu pour fonctionner en convention avec l’hôpital privé des Noriets à Vitry-sur Seine (94) a en effet été abandonné suite au renouvellement de la direction de l’établissement.

Les MDN sont des lieux où les sages-femmes libérales gèrent intégralement le suivi de grossesse, la naissance et le postnatal. Elles sont en effet à même d’accompagner une femme enceinte dont la grossesse ne présente pas de pathologie ou ne présage pas d’un accouchement à risque, de prescrire les dépistages nécessaires, d’effectuer la préparation à la naissance, mais aussi la surveillance postpartum. Surtout, ce qui caractérise les MDN c’est l’accompagnement global de la naissance par la même professionnelle. « On suit une femme durant toute sa grossesse, son accouchement et la période postnatale, sans coupure, et de la manière la plus naturelle possible, explique ainsi Nathalie Munsch, qui exerce à Premières heures au monde, rattachée au CH Pierre Oudot de Bourgoin-Jallieu (38). Il y a un lien qui se crée, une confiance que l’on n’a pas quand on exerce exclusivement à l’hôpital, où l’on accompagne des parturientes que l’on ne connait pas. »

Cherche assureurs et locaux

L’ouverture des maisons de naissance a été pour les sages-femmes le début d’une aventure semée d’embûches. La première difficulté a résidé dans l’obtention d’une assurance en responsabilité civile professionnelle couvrant l’accouchement dans ces nouvelles structures. « Les assureurs en France ne connaissent pas bien les sages-femmes, l’accompagnement global, ni les maisons de naissance, explique Sophie Schwartz qui exerce au sein de Manala à Sélestat (67). Ils se fondent sur les décrets qui imposent un accouchement dans un bloc obstétrical. Il nous a fallu faire remonter cela à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour qu’un assureur nous fasse une proposition. » Une proposition à quelque 3 000 € par professionnelle, tout de même.

La deuxième difficulté a consisté à trouver des locaux. Comme en Guadeloupe où le lancement de la MDN a été considérablement retardé, car les locaux initialement visés n’étaient plus disponibles. « Il a fallu plusieurs mois pour que la clinique des Eaux-Claires, pourtant de bonne volonté, en trouve d’autres, explique Olivia Plaisant qui exerce au sein de la MDN Le Temps de naître à Baie-Mahault. Nous avons donc commencé par louer un appartement dans l’enceinte de la clinique, avant d’organiser les travaux dans le nouveau lieu que nous a trouvé l’établissement. » Résultat, la MDN guadeloupéenne a été la dernière à accueillir des naissances, à partir de la mi mai 2017.

En quête de financement

Enfin, il a également fallu tenir compte des contingences administratives concernant le versement de la subvention. Chaque maison de naissance bénéficie en effet d’un accompagnement de 150 000 euros annuels versés par l’Agence régionale de santé. « Mais cela doit financer du fonctionnement, observe Frédéric Dupré, sage-femme au sein de la MDN La Maison à Grenoble (38). Du coup, nous avons lancé un financement participatif afin de nous offrir les aménagements intérieurs souhaités. » D’autres structures ont pu demander une avance sur subvention. Les plus gros travaux ayant été généralement préfinancés par les établissements auxquels les locaux appartiennent.

Le Calm (Comme à la maison), installé dans les murs de la maternité des Bluets à Paris, et Manao (Maison de naissance de l’Ouest, Saint-Paul de la Réunion) sont les deux premières structures à avoir enregistré des naissances. Alors que les sages-femmes parisiennes ont pu démarrer très vite et enregistrent le plus grand nombre de naissances à ce jour, leurs collègues réunionnaises semblent un peu moins dynamiques. « Pour l’instant, nous n’avons pas de locaux autonomes, précise Gwladys Laravine, présidente de l’association gestionnaire et cadre du pôle mère-enfant à l’hôpital Gabriel Martin de La Réunion. L’hôpital doit être reconstruit, à l’horizon 2019, et là nous serons réellement installées. » Pour l’heure, les sages-femmes disposent d’une chambre aménagée spécifiquement et d’une salle de consultation. Ce qui est assez loin des espaces chaleureux et favorisant l’intimité dont bénéficient les autres structures. Mais cette maison de naissance est un peu particulière : « Le projet a d’abord été porté par l’hôpital, explique Gwladys Laravine. C’est notre chef de service qui nous a poussé à le soumettre. Quatre sages-femmes libérales ont accepté de nous suivre du jour au lendemain, mais elles sont moins impliquées que si elles avaient été à l’origine du projet. De plus, toutes gèrent un cabinet, il est donc difficile de leur fixer des objectifs. » Conséquence : seulement 25 accouchements ont été réalisés entre avril et décembre 2016, quand le Calm dépassait les 120.

À Grenoble, La Maison présente quant à elle une autre spécificité : les accouchements et suivis de grossesse n’y sont pas réalisés par des sages-femmes libérales, mais par des professionnelles détachées de l’établissement mutualiste à l’origine du projet. « Cela a créé quelques difficultés avec la Sécurité sociale, rappelle Frédéric Dupré, qui ne comprenait pas que l’association – qui n’est pas un établissement de santé, mais qui est liée au groupe hospitalier mutualiste –, facture des accouchements. » La question réglée, la MDN a pu accueillir ses premières parturientes en janvier dernier. La Maison est aussi la plus petite structure de cette expérimentation, puisque seules deux sages-femmes y exercent. « Du coup, nous travaillons en binôme auprès de toutes les femmes, précise Frédéric Dupré. L’un de nous réalise les consultations pendant une semaine, puis il est d’astreinte la semaine suivante pour réaliser les accouchements qui se présentent. »

Grande disponibilité

La plupart des autres maisons de naissance ont deux « catégories » de sages-femmes : celles qui réalisent l’accompagnement global (qui se partagent également les astreintes) et les « sages-femmes 2 », dont la présence a été rendue obligatoire par le cahier des charges élaboré par la Haute Autorité de santé et la DGOS. « La deuxième sage-femme intervient en soutien, on l’appelle environ deux heures avant la naissance », résume Nathalie Munsch. La difficulté, c’est que l’activité de cette deuxième sage-femme ne peut être cotée pour un remboursement auprès de l’Assurance maladie.

En conséquence de quoi, une grande partie des maisons de naissance se voient dans l’obligation de facturer des dépassements d’honoraires. Si la subvention annuelle est en partie utilisée pour compenser ce défaut, il faudra à terme que de nouveaux actes soient créés afin de garantir la pérennité de ces structures, mais aussi que le tarif d’un accouchement (349,44 €) soit réévalué. « Accompagner une naissance, jusqu’à deux heures après l’expulsion, cela peut facilement durer une douzaine d’heures », insiste Nathalie Munsch. Quant au suivi post-natal, le cahier des charges impose, dans la semaine qui suit l’accouchement, trois visites à domicile, dont la première dans les 24 heures après la naissance, et un « contact » quotidien. Mais les sages-femmes souvent passent tous les jours durant cette première semaine.

Un accompagnement prenant donc qu’aucun des professionnels interrogés ne regrette d’avoir choisit : « Il faut être disponible au moindre coup de téléphone, poursuit la sage-femme de Bourgoin-Jallieu. Je dois reconnaître qu’il faut aussi avoir soi-même une famille très tolérante. Mais nous l’avons tellement souhaitée cette expérimentation… »

1- Arrêté du 23 novembre 2015 fixant la liste des maisons de naissance autorisées à fonctionner de manière expérimentale.

HISTORIQUE

Spécificités françaises

Le modèle français des maisons de naissance est le fruit d’années de militantisme et d’un long travail de réflexion. Longtemps rejetée par la communauté médicale, la création de ces structures a finalement été inscrite dans le plan de périnatalité de 2005-2007.

Fin 2010, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale autorise une expérimentation. Mais le conseil constitutionnel censure le dispositif qu’il considère comme un cavalier législatif, l’expérimentation ne pouvant avoir un impact réel sur le financement de l’Assurance maladie. Il faudra donc attendre décembre 2013 pour qu’une loi autorise enfin l’expérimentation des MDN et fin 2015 pour que les résultats de l’appel à expérimentation soient publiés.

Si les MDN françaises sont des structures autonomes, elles se distinguent de leurs homologues européennes en ayant l’obligation d’être contiguës à des établissements de santé, afin de permettre un transfert rapide au cas où une difficulté se présenterait pendant l’accouchement. De fait, elles sont liées par convention avec l’établissement en question, afin d’élaborer les modalités de transfert (de l’ordre de 20 à 30 %), le partage des dossiers médicaux et l’approvisionnement en médicaments via la pharmacie interne de l’hôpital.

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