L'infirmière Magazine n° 384 du 01/07/2017

 

INFIRMIER MILITAIRE

CARRIÈRE

PARCOURS

Françoise Vlaemÿnck  

Fort de ses quelque 3 000 infirmiers hospitaliers ou des forces, le service de santé des armées apporte soutien et secours aux militaires français où qu’ils se trouvent et à tout moment. Un contexte qui permet un exercice varié mais pas toujours de tout repos.

Héritier d’une longue tradition – Louis XIV signe son acte de naissance en janvier 1708 –, le service de santé des armées (SSA) a désormais pour objectif prioritaire d’« apporter à tout militaire soumis à un risque lié à son engagement opérationnel, un soutien santé lui garantissant la prévention la plus efficace et la meilleure qualité de prise en charge en cas de blessure ou de maladie, préservant ainsi ses chances de survie et le cas échéant de moindres séquelles physiques ou psychiques »(1). « Depuis la fin des années 90, c’est un dogme, on veut assurer à nos militaires en opération les mêmes chances que s’ils avaient été pris en charge en France pour les mêmes blessures, c’est un énorme challenge », précise le major Thierry F.(2), cadre de santé. Pour assurer cette mission, le SSA s’appuie sur ses quelque 15 800 membres, militaires et civils, parmi lesquels on compte 2 918 infirmiers dont 1 770 sont affectés aux huit hôpitaux d’instructions militaires (HIA) et 1 053 engagés dans les forces principalement au sein des centres médicaux des armées (CMA), entités organisationnelles, administratives et opérationnelles qui regroupent des antennes médicales des régiments ou exercent la majorité de cet effectif. La distinction entre infirmier d’HIA et infirmier des forces provient de leur formation initiale. Les premiers ont été diplômés dans le civil par des Ifsi ; les seconds, par l’École du personnel paramédical des armées (Eppa), implantée depuis 2016 à Bron, près de Lyon (69), après une formation spécifique de quelques semaines qui leur permet d’acquérir les bases militaires et de se familiariser avec l’institution.

Statutairement, les infirmiers en HIA peuvent être des contractuels (contrat de 3 ou 5 ans renouvelable) puis, s’ils le souhaitent, devenir militaires de carrière alors que les infirmiers des forces sont d’emblée des militaires de carrière et bénéficient d’une formation complémentaire selon l’arme dans laquelle ils sont incorporés. On n’exerce pas, en effet, de la même manière selon qu’on embarque dans un sous-marin, dans un avion ou un véhicule d’avant blindé… Par ailleurs, si les infirmiers des forces, qui doivent s’engager pour six ans au moins, peuvent exercer en HIA, les infirmiers hospitaliers, hors forces, ne peuvent pas travailler au sein d’un CMA ou d’une antenne. En revanche, tous peuvent, sur la base du volontariat, partir en opération extérieure (Opex) ou en mission de courte durée (MDC) sur l’ensemble du territoire, y compris en outre-mer. Tous sont aussi des militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées (Mitha) – les IDE au grade de sous-officiers, les cadres de santé au grade d’officiers. À ce titre, les Mitha portent l’uniforme et des galons dits d’« apparence » de la hiérarchie militaire générale.

PRÊT ET EFFICACE

Après une expérience en CHU, le major Brice M. a signé son premier engagement contractuel en 2004. À l’origine, pourtant, « devenir infirmier n’était pas une vocation », dit-il. Après une année de médecine, il bifurque pour un master de biologie moléculaire et cellulaire sans trop savoir ce qu’il fera par la suite. Comme des amis passent le concours infirmiers, il leur emboîte le pas. Trois ans plus tard, le voici IDE. Au cours de sa formation, une envie a aussi mûri, celle de devenir infirmier anesthésiste. Un projet que l’armée lui permettra de réaliser quelques années plus tard. La trajectoire de l’adjudant Anne-Sophie B. est un peu plus directe, même si elle admet aussi que « le métier d’infirmière n’est pas une vocation de jeunesse ». Après une formation militaire durant quatre mois dans l’armée de l’air, elle passe pourtant le concours de l’Eppa et « n’a jamais regretté [son] choix ». Infirmière des forces, elle intègre le CMA de Mérignac près de Bordeaux (33) pour son premier poste. En HIA et en CMA ou en antenne médicale, l’exercice infirmier est très différent. Si un hôpital d’instruction fonctionne de la même manière qu’un établissement civil – d’ailleurs, 70 % à 80 % de la patientèle est civile –, en antenne médicale, une bonne part du travail s’apparente à de la médecine du travail avec des visites médicales d’aptitude et la conduite d’actions de prévention, comme la vaccination et l’information (hygiène en campagne, usage de l’eau, infections sexuellement transmissibles, protection contre les maladies tropicales, etc.) « Outre la gestion des dossiers médicaux, on procède également à des prélèvements biologiques et des soins infirmiers prescrits par les médecins. On prend également en charge les personnels qui se blessent ou qui sont malades. Bref, les tâches sont très variées », explique Anne-Sophie B. Et le travail ne manque pas, car outre les milliers de nouvelles recrues qui rejoignent chaque année les rangs de l’armée française, l’effectif global des trois armes (armée de terre, armée de l’air et marine) est d’environ 270 000 hommes et femmes auxquels s’ajoutent les 100 000 militaires de la gendarmerie nationale. « En antenne médicale, les personnes que nous voyons sont en bonne santé. Mon travail, c’est de faire en sorte qu’elles le restent et que les soldats puissent partir en mission dans les meilleures conditions physiques et psychologiques possibles. Une tâche qui demande de développer beaucoup de relationnel et qu’on effectue en équipe avec les autres infirmiers, les aides-soignantes et des médecins », ajoute Anne-Sophie B. « Pour éviter une certaine routine, on recommande cependant aux infirmiers des forces d’effectuer régulièrement des gardes en milieu hospitalier ou chez les sapeurs-pompiers afin qu’ils maintiennent leurs compétences de premier recours, car ils peuvent être confrontés à de vraies urgences, alors mieux vaut qu’ils soient prêts et efficaces ! », ajoute le major Thierry F.

ASCENCEUR SOCIAL

Rigueur, sens de la hiérarchie et de l’entraide, polyvalence, mobilité, comme l’explique le major Thierry F., s’engager demande d’adhérer aux valeurs militaires. Mais pour lui, le retour est réel, « et on ne peut pas reprocher à l’armée de ne pas faire fonctionner l’ascenseur social et professionnel car les Mitha ont facilement accès à la formation et chaque année sont organisés des concours d’Iade, d’Ibode et de cadre de santé » Une vrai plus pour l’adjudant Samir K., infirmier au service de réanimation de l’HIA Laveran à Marseille (13), spécialisée dans les infections tropicales et les plaies par balles, depuis dix ans et qui prépare actuellement le concours de cadre : « On émet deux vœux pas an et on est sûr d’obtenir l’un des deux, parfois même les deux. Sans compter les formations internes : gestion des risques, formation en hygiène, en ergonomie… Cette facilité permet de maintenir nos connaissances et d’acquérir de nouvelles compétences. » Infirmier référent de l’unité de soins (Irus), Samir K. seconde déjà le cadre du service et tutore les étudiants en soins infirmiers en stage. Pour lui, « l’esprit d’équipe et le compagnonnage sont très importants. On n’hésite pas à un aider un collègue d’un autre service et on sait qu’il fera de même », indique-t-il. Une disposition et une entraide indispensables lorsque les infirmiers partent en mission. « Partir en opération, c’est un peu la raison d’être des infirmiers militaires », déclare d’ailleurs l’adjudant Stéphanie B. (lire l’interview p. 59).

LES MISSIONS, CŒUR DE MÉTIER

Avec une dizaine d’Opex à son actif, un peu partout dans le monde, au sein d’une antenne chirurgicale aérotransportée, le major Brice M. a une solide expérience du travail sur le terrain. « Les missions c’est effectivement le cœur du métier, et nous sommes parfaitement formés pour ça. D’autant qu’en Opex, quand on est loin de sa base, on ne peut compter que sur nous mêmes et l’on doit faire avec le matériel embarqué. Cela nécessite d’être à l’aise dans sa pratique et sûr de ses compétences et connaissances, mais aussi une bonne entente au sein de l’équipe. Chacun doit savoir qu’il peut compter sur l’autre », relate l’Iade. Etre multitâche est aussi indispensable en terrain isolé. « Si un tuyau se rompt en plein désert ou pleine jungle, on peut pas appeler le plombier, il faut savoir bricoler soi-même !, plaisante l’infirmier. Plus sérieusement, poursuit-il, une mission bien réalisée c’est d’abord une mission bien préparée. On travaille toujours plusieurs scénarii et on échange beaucoup entre nous. Après dans le feu de l’action, il faut savoir prendre la bonne décision au bon moment, et parfois sans le médecin anesthésiste, une situation qui ne peut pas arriver dans un environnement hospitalier. » Et d’ajouter : « Ce n’est pas un dépassement de compétence parce que si on le fait, c’est qu’on sait le faire. Les médecins anesthésistes nous apprennent beaucoup de choses en période de préparation et sur le terrain comme ils le feraient avec leurs internes. On travaille très étroitement avec eux et on est vraiment dans une relation de compagnonnage. »

DES SOINS AUX CIVILS AUSSI

Fréquemment, les soignants militaires apportent leur aide à la population civile victime des conflits. « Lors des Opex, la France est présente pour aider sur le plan politique et militaire mais aussi sur le plan sanitaire pour la population civile. C’est une dimension importante lors des missions même si notre priorité reste le soutien aux forces. Mais nous venons avec des compétences et du matériel qui, le plus souvent, n’existent pas sur place. » Parti en mission en Côte d’ivoire en 2011 au moment de la « crise ivoirienne » débutée en 2010, l’adjudant Samir K. et son équipe sont ainsi venus en aide auprès de civils blessés. « Je me souviens notamment d’un jeune garçon, opéré par l’équipe qui nous avait précédés, et dont la main avait été sectionnée par une grenade. La main a été mise “en nourrisse” dans son abdomen pendant plusieurs semaines et réimplantée ensuite sur le poignet. Même en France, je n’avais jamais vu cette technique. Après l’intervention, nous avons effectué des soins lourds sous anesthésie générale deux fois par semaine. Les résultats ont été spectaculaires et après un gros travail des kinésithérapeutes, l’enfant a récupéré sa faculté de pincer. Outre que cet épisode a été très formateur, il nous a rendus assez fiers ! », raconte sobrement l’infirmier.

NOMBREUX SOIGNANTS EN OPÉRATION

Sur le territoire français, les situations peuvent aussi être périlleuses pour les infirmiers militaires qui suivent les unités en interventions d’appui de maintien de l’ordre. En mission en Guyane, un détachement qu’accompagnait Anne-Sophie B. a essuyé des tirs nourris d’orpailleurs illégaux. « Ce genre de situations fait partie du métier. On est là pour soutenir et secourir les forces ce qui implique qu’on soit proche d’eux en cas de pépin, qu’ils soient en mission ou en période d’entrainement », résume-t-elle. Ce qui implique également de vivre au même rythme et dans les mêmes conditions que les soldats. « On fait les mêmes marches, on bivouaque avec eux et on doit être autonome en alimentation et en matériel de soins et de secours », indique l’infirmière. Inutile de préciser qu’une bonne forme physique est dès lors de rigueur… « Sans compter, ajoute Anne-Sophie B., qu’il faut apprécier la vie en communauté, car en mission, on est ensemble 24 h sur 24 h ! » Comme l’hôpital public, le SSA s’adapte aux nouveaux enjeux et se réorganise. Avec les Opex, désormais nombreuses, qui réclament beaucoup de soignants sur le terrain, et le risque terroriste sur le territoire, les forces armées sont très sollicitées. Pour les Mitha et tout le SSA, cette situation engendre un surcroît de travail important. À tel point, que les Mitha d’HIA – qui sont régulièrement formés au tir – assurent désormais eux-mêmes des gardes de sécurité dans leur établissement afin de soulager les militaires engagés dans l’opération Sentinelle tandis que les CMA et les antennes médicales doivent faire face à l’embauche importante de nouvelles recrues pour renforcer les rangs des armées. « On est limite en termes de ressources humaines, explique le major Thierry F. Dans ce contexte, afin de rationaliser le travail et les effectifs des CMA, de nouvelles générations (CMA-NG) sont en train d’être mises sur pied. Leur objectif : prendre en charge un maximum de tâches administratives pour redonner du temps médical et paramédical aux antennes médicales afin qu’elles assurent leurs missions premières : consultation, soutien et prévention. » Le SSA recrute d’ailleurs tout au long de l’année des IDE de soins généraux et de toute spécialité. Qu’on se le dise… Rompez les rangs !

REPÈRES

Salaires et échelons

→ Les Mitha infirmiers constituent le corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés (Ibode, Iade et puéricultrices). L’échelonnement indiciaire est celui en vigueur dans le corps homologue de la FPH et les possibilités d’évolution de carrière sont identiques à celui des hospitaliers du public : spécialisation, diplôme de cadre de santé et de directeur des soins paramédicaux.

→ La grille des salaires des Mitha est calquée sur celle la fonction publique hospitalière (FPH). Des primes spécifiques viennent cependant améliorer l’ordinaire. Un infirmier de soins généraux peut, par exemple, percevoir selon son échelon de 100 à 200 € de plus par mois (prime Mitha, prime travaux dangereux…). En outre en Opex, qui dure en moyenne de 4 à 6 mois, la solde de base est multipliée par 2,5 fois et par 1,5 fois en MDC, qui peuvent elles s’étaler de 2 à 4 mois, à quoi peuvent s’ajouter des primes spéciales et indemnités de l’armée. En Opex, le temps de cotisation retraite est également doublé. Ainsi, 3 mois en mission extérieure valident 2 trimestres.

BON À SAVOIR

Partir en détachement

Les infirmières de la fonction publique hospitalière qui souhaitent contracter un engagement pour servir dans l’armée française peuvent demander à leur administration d’origine à être détachées auprès du ministère de la Défense. Les personnels détachés le sont à l’ancienneté, dans le grade et dans l’échelon qu’ils détiennent dans leur administration d’origine. À l’issue de leur détachement, ils retrouvent leur administration d’origine. En règle générale, la période de détachement est comprise entre 6 mois et 5 ans. Elle est renouvelable pour des périodes ne dépassant pas 5 ans. Le détachement peut être interrompu avant la date prévue.