De polémiques en témoignages, la parole se libère depuis quelques années autour de ce phénomène jusque-là tabou. Pour mettre fin à ces dérives, la solution est-elle de renforcer la législation, comme dans certains pays d’Amérique latine ?
Depuis la loi Kouchner de 2002, on parle davantage des droits des patients et c’est un processus normal. Cependant, je trouve le terme « violences obstétricales » très agressif, même si j’entends qu’il peut y avoir, dans certains cas, de la maltraitance… Mais c’est loin de concerner les 800 000 naissances annuelles en France. En outre, l’expression peut être mal acceptée par certains professionnels de santé, qui risquent de s’arc-bouter et, de fait, de devenir moins réceptifs aux discours sur les changements de pratiques.
Nous n’avons pas de retour direct, car les séjours sont courts et on ne revoit jamais les femmes par la suite. J’ai néanmoins entendu des plaintes relatives à des pratiques comme l’expression abdominale(1) ou l’épisiotomie réalisée alors que la patiente l’avait explicitement refusée. Mais en cas d’urgence obstétricale, il faut intervenir vite, et on n’a pas toujours le temps d’obtenir un consentement. Et depuis les années 80, avec la péridurale, nous avions acquis certains automatismes, comme l’administration systématique d’ocytocine pour accélérer le travail ou la rupture de la poche des eaux. On n’expliquait pas toujours ce qu’on faisait. Il faut dire, qu’à cette époque, les chiffres de mortalité et de morbidité périnatales n’étaient pas très bons : la priorité était de sécuriser les pratiques… Peut-être est-on allé trop loin. Aujourd’hui, davantage de femmes souhaitent accoucher le plus naturellement possible. Il faut donc changer nos pratiques, en adaptant les protocoles et en respectant le choix des patientes.
Il faut sortir d’un certain dogme du soin, car dans les maternités, contrairement au reste de l’hôpital, on ne gère pas la maladie. On est davantage dans le laisser-faire. Pour une grossesse à bas risque, par exemple, on ne va pas poser de monitoring fœtal continu. Il faut aussi accepter de partager certaines décisions avec la patiente et apprendre à gérer les refus de soins, ce qui va à l’encontre de ce que l’on nous a appris pendant nos études… La communication est essentielle. Avant le travail, il faut prendre le temps d’expliquer ce qui peut se passer, quels gestes peuvent devenir nécessaires. Et après, quand un geste a été fait dans l’urgence, expliquer pourquoi il était important d’intervenir. Même si, lors d’un accouchement, on est dans l’émotionnel et qu’on n’est pas forcément très réceptive…
Là-bas, ils sont à 70 % de césariennes, je n’appelle pas ça une réussite ! L’idée même me semble ridicule : que mettrait-on dans une telle loi ? Une interdiction pure et simple des violences obstétricales ? Et comment seraient-elles définies ? Il serait plus judicieux d’améliorer les formations médicales et paramédicales, en accordant davantage de place aux sciences humaines. Cela aiderait les soignants à expliquer leurs choix thérapeutiques. Et nous pourrions revoir certaines organisations hospitalières, en écrivant des protocoles avec des usagers.
Il est difficile de trouver une définition commune, car usagers et professionnels de santé ont chacun leur prisme. Pour moi, ce terme regrouperait tout acte commis par un soignant, qui n’est pas justifié sur le plan médical et qui fait fi des souhaits de la patiente, tout acte dont on n’a pas informé la femme, qui ne lui a pas été expliqué et pour lequel on n’a pas demandé de consentement, ainsi que tout propos et discours humiliant perpétrés par le personnel de santé durant la grossesse, l’accouchement et les suites de couches. Le Ciane a, par exemple, recueilli le témoignage d’une femme qui a mal supporté qu’une sage-femme entre dans sa chambre sans frapper et sans la saluer : elle s’est sentie déconsidérée et dit avoir eu plus de mal, par la suite, à gérer sa douleur. Mais la plupart du temps, les abus signalés concernent une épisiotomie sans consentement, une expression abdominale ou des violences verbales de la part d’un soignant, du type « Lève ton cul ! ».
En discutant avec eux, on se rend compte qu’ils sont choqués par ce mot « violence ». Car pour eux, tout ce qu’ils font vise à améliorer l’état de santé de la femme. Ils ne font que suivre des protocoles et n’ont pas vraiment le choix. Même les sages-femmes ne sont plus indépendantes : quand elles travaillent dans le cadre de l’hôpital, elles sont sous la coupe du chef de service. Seules quelques-unes, très expérimentées, osent parfois s’affranchir des règles. Les protocoles sont posés suivant le principe de précaution : ainsi, percer la poche des eaux pour accélérer le travail. Peu importe si cela rend la douleur ingérable, si bien qu’une femme qui ne le désirait pas est contrainte de demander une péridurale.
Il faut déjà s’interroger sur la nécessité de chaque geste. En France, en 2005, on pratiquait encore près de 50 % d’épisiotomies alors que l’OMS ne préconise que 10 % ! Or, les alternatives existent : la position à l’anglaise, sur le côté, évite d’étirer le périnée. Certaines maternités, à l’image de celle de Besançon, ont presque éliminé cette pratique. Et puis, il faut que les patientes soient mieux informées. Les couples doivent aussi être conscients qu’ils ont le droit de poser des questions et d’obtenir des réponses. Ensuite, il faut travailler avec les professionnels de santé. Depuis quelques années, le Ciane assure des formations en école de sage-femme. Nous participons aussi au DIU « Prise en charge des maltraitances rencontrées en gynécologie obstétrique » de l’université Paris-Descartes.
C’est une question qu’on peut en effet se poser. Si la loi Kouchner impose déjà que le patient dispose d’une information éclairée et loyale, dans les faits, c’est autre chose… Il n’y a eu, à ce jour, aucune condamnation pour épisiotomie abusive malgré plusieurs plaintes. Depuis quelques mois, le Ciane se penche sur la question d’un renforcement de la loi, mais nous buttons sur le problème des expertises : il faudrait que des médecins acceptent de certifier qu’il y a réellement eu violence… En attendant, on pourrait renforcer les commissions des usagers, qui ont obligation de proposer des mesures pour que les dysfonctionnements constatés ne se reproduisent pas. Mais elles ne fonctionnent pas partout, loin de là.
1- Geste qui consiste à appuyer sur le ventre de la mère afin d’aider l’expulsion du bébé. Bien que déconseillée par la Haute Autorité de santé, cette pratique est encore trop répandue.
→ 1985 : obtient son diplôme de sage-femme
→ 2005 : master de management et organisation des établissementsde santé et réseaux de soins
→ 2011 : prend la présidence du CNSF
→ 1979 : suit des études d’infirmière à Lyon
→ 2000 : création de l’association Bien naître, pour la défense d’une mise au monde respectueuse
→ 2003 : prend la présidence du Ciane nouvellement créé
→ Le terme « violences obstétricales » a été inventé en Amérique latine, au début des années 2000, par des ONG et des associations féministes. En 2007, le Venezuela l’inscrit dans sa loi sur « le droit des femmes à une vie sans violence ». En 2009, l’Argentine légifère contre ce « traitement déshumanisant ».
→ En 2014, en France, les révélations de la sage-femme Agnès Ledig sur le « point du mari » font scandale. Puis une étudiante en pharmacie lance le hashtag #PayeTonUterus pour dénoncer les pratiques de certains médecins.
→ En 2015, la ministre de la Santé condamne les touchers vaginaux effectués par des étudiants sur des patientes endormies comme pratiques « illégales et inacceptables ».
→ Selon une enquête du Ciane, 3 femmes sur 4 ayant subi une épisiotomie en ont souffert. Seules 15 % d’entre elles auraient donné leur consentement.