LE RESPECT DU CORPS - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017

 

DEUIL PÉRINATAL

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Francine Angeli*   Danielle Eoche**  


*formatrice des professionnels de santé
**tutrice pôle gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction (GOMR)
***cadre supérieure de santé en chambre mortuaire, hôpital Tenon (AP-HP), Paris

La mort reste un sujet tabou à l’hôpital. Face au décès d’un nouveau-né, les soignants ont souvent du mal à gérer l’annonce et la relation avec les parents. À l’hôpital Tenon (AP-HP), l’accompagnement du deuil périnatal a fait l’objet d’une réflexion pluridisciplinaire.

Jusque dans les années 80, dans les maternités françai­ses, une véritable « conspiration du silence »(1) s’était installée autour des accouchements d’enfants morts, note Maryse Dumoulin, maître de conférences en éthique et santé publique(2). Ainsi, la mère accouchait sous anesthésie générale ou derrière un champ opératoire pour qu’elle ne puisse rien voir. Isolée, évitée par les soignants, elle ne rencontrait jamais l’enfant, et les rituels funéraires étaient escamotés. Les soignants pensaient ainsi protéger les parents d’une trop grande souffrance, et éviter probablement d’être confrontés à la réalité de la mort à laquelle leur formation ne les avait pas préparés.

L’accompagnement du deuil périnatal existe depuis une dizaine d’années à l’hôpital Tenon (AP-HP), suite à une réflexion des soignants de la salle de naissance et des suites de couche, et de la psychologue du service. Il en est ressorti qu’à l’inverse de ce qui se pratiquait, il était important pour les parents de voir le corps de l’enfant pour faire leur deuil.

Soin relationnel

Le deuil périnatal est une épreuve douloureuse, car il frappe de plein fouet des parents rayonnant d’espoir, qui s’apprêtaient à accueillir un bébé et qui voient soudain s’écrouler leurs rêves et leurs projets. Si la préparation à la naissance et à la parentalité permet d’aborder le sujet(3), la plupart des parents le refoulent comme un déni. Comment alors accompagner une nouvelle parturiente dont l’enfant est décédé dans les premiers moments de vie, avec toute la dif­ficulté qu’implique ce soin relationnel ? Car si la souffrance des parents atteint son paroxisme, le décès brutal d’un nouveau-né, jugé en bonne santé, affecte également les soignants qui sont en première ligne pour accompagner les familles dans ce processus de deuil.

Face à la mort subite d’un nouveau-né en salle de naissance, les émotions du professionnel de santé ne doivent pas interférer sur la prise en charge des parents et l’accompagnement du deuil. Ainsi, l’infirmière doit être en mesure de tisser délicatement des liens avec les parents dès les premières heures de leur deuil et les orienter vers les aides-soignants qui travaillent en chambre mortuaire(4). Cela nécessite de connaître les procédures mises en place, les horaires d’ouverture, les coordonnées, les modalités administratives de la prise en charge du corps. Il est important, pour les familles, qu’il y ait un échange entre la salle de naissance et la chambre mortuaire, car les informations transmises à l’annonce du décès sont souvent peu assimilées. Cet accompagnement des parents se situant dans une relation d’aide, les infirmières et sages-femmes en salle de naissance doivent être formées – donner les bons renseignements, guider et apaiser les parents, aborder les points administratifs – et soutenues. Car en accompagnant les parents, le soignant vit aussi leurs douleurs psychiques.

Moment d’intimité

Suite au décès brutal du jeune fils de Mme Z., nous avons rapidement mis en place la procédure :

→ Vérifier les documents administratifs datés et signés par les médecins et les parents.

→ Prendre soin du corps de l’enfant qui est transféré dans les deux heures en chambre mortuaire. Ses agents s’entretiennent avec les parents pour expliquer la réglementation en vigueur, et recueillent leur choix : enterrement ou crémation collective (lire ci-contre). Ils présentent ensuite l’enfant avec les habits apportés par les parents ou remis par l’association Lou’Ange (lire ci-dessous). Le respect vestimentaire est important, car il permet de donner une reconnaissance au bébé ou au fœtus.

→ La prise en charge de la mère, du père et de l’entourage. Nous les accueillons dans un salon de présentation dédié. Les parents sont surpris et émerveillés de voir leur enfant habillé et couché dans un couffin. Ils peuvent le prendre dans leurs bras, lui parler, le pleurer et le voir autant de fois qu’ils le souhaitent. La mère peut également avoir accès à un lieu privé pour s’isoler.

Les soignants sont à l’écoute du chagrin des parents. Ils les accueillent, les accompagnent avec sérénité, les guident dans leurs démarches administratives et psychologiques. Un vrai moment relationnel.

  • 1- Rousseau P. « aPsychopathologie et accompagnement du deuil périnatal », Journal de gynécologie obstétrique et biologie de la reproduction, 1988.

  • 2- bit.ly/2tB2BTV

  • 3- Recommandations de la Haute Autorité de santé, 2005.

  • 4- Ceux ayant suivi la formation d’adaptation à l’emploi des aides-soignants et des agents de service mortuaire en charge du service des personnes décédées, créée par l’arrêté du 16 juillet 2009.

CAS DE DÉPART

Mme Z. se présente à la maternité au terme de 40 semaines pour des contractions ; c’est sa deuxième grossesse. Le travail et l’accouchement se déroulent normalement. Dans la nurserie, la sage-femme prodigue les premiers soins au bébé de 3 kilos tandis que le père reste auprès de sa femme. Au bout d’une demi-heure, l’infirmière s’aperçoit que l’enfant a des difficultés respiratoires. Le pédiatre est appelé en urgence. Malgré une réanimation intensive de 45 minutes, l’enfant décède. L’équipe est bouleversée. L’annonce aux parents est difficile, car aucune cause médicale n’a été diagnostiquée.

GESTION DES ÉMOTIONS

Place à la parole

Un groupe de parole pluridisciplinaire a été mis en place en 2012 au sein du service de maternité de l’hôpital Tenon (AP-HP), pour le personnel soignant. Objectif : leur apprendre à mieux gérer leurs émotions face à la mort et développer une attitude relationnelle adéquate pour l’accompagnement des parents endeuillés. Ce groupe de parole, qui se réunit deux à trois fois par an, ou de façon ponctuelle si besoin, permet de s’exprimer et de se confronter à ses angoisses, ses valeurs et ses sentiments. Les soignants peuvent donc laisser libre cours à l’expression du vécu au travail avec leurs désirs, leurs émotions, développer des compétences pour soi et encourager les échanges au sein de l’hôpital.

FORMALITÉS ADMINISTRATIVES

→ Morts fœtales in utéro : la déclaration à l’état civil n’est pas obligatoire. Elle n’est possible que si l’obstétricien a délivré un certificat d’accouchement, un acte « d’enfant sans vie ». Les parents peuvent aussi procéder aux obsèques du fœtus.

S’ils ne le désirent pas, c’est l’établissement qui prend en charge sa crémation.

→ Morts néonatales : tout enfant ayant respiré, quel que soit l’âge gestationnel ou sa viabilité, doit être déclaré sur les registres d’état civil de la commune du lieu de naissance. Si le décès survient dans les 28 premiers jours de vie, le médecin établit un « certificat de décès néonatal ». Les inscriptions de la naissance et du décès sont obligatoires. Le nom et prénom doivent figurer sur le livret de famille des parents. Des obsèques doivent être organisées.

Au-delà du 28e jour de vie, le décès sera administrativement traité comme celui d’une personne adulte et le médecin devra délivrer un certificat de décès.

ASSOCIATION LOU’ANGE

Des petits tout habillés

Autrefois, pour ne pas le présenter nu, l’enfant était habillé avec du jersey. À l’hôpital Tenon (AP-HP), nous n’étions pas satisfaits de cette situation et avons donc cherché à améliorer ce moment de la présentation de l’enfant mort à ses parents.

Car il s’agit de la dernière image qu’ils conserveront. Depuis six ans, nous sommes en contact avec l’association Lou’ange qui nous offre des layettes et des petits couffins que confectionnent leurs membres. Au moment de l’accouchement, les parents ont vu l’enfant nu, tout rouge, vascularisé ou cyanosé. Ils peuvent ressentir une appréhension à l’idée de le toucher, par peur de l’abîmer tant la peau est fragile. Le contact avec un habit est plus chaleureux et agréable. Il permet de cacher la dégradation du corps qui survient très rapidement, ce qui conduit à un sentiment d’apaisement pour les parents dans ce moment où ils doivent également envisager les funérailles. Une collaboration qui nous a permis d’évoluer dans nos pratiques et de travailler avec plus d’éthique.

http://lou-ange.wifeo.com