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Le ministre de l’Intérieur souhaite que médecins et policiers collaborent pour identifier les personnes susceptibles de commettre des attentats. Amalgame regrettable ou nécessaire prise en compte d’un phénomène nouveau ?
À mon avis, le ministre est complètement à côté de la plaque car, dans ce domaine, toute prédiction est très incertaine. La radicalisation et le passage à l’acte sont deux choses très différentes. Mais ce qui me choque le plus, c’est que Gérard Collomb semble ainsi valider une opinion répandue qui voudrait que pour commettre des attentats, il faut être fou. Or, la radicalisation n’est pas un état pathologique. Une étude britannique a montré qu’il n’existe pas plus de pathologies mentales chez les jeunes radicalisés que chez les autres. Au contraire, les troubles psychiques entraînent davantage un isolement que de l’agressivité. Enfin, on a bien vu que les récents attentats étaient l’œuvre de réseaux organisés, obéissant à une idéologie aveugle et meurtrière. Les terroristes connaissaient les conséquences de leurs actes. Ces attaques sont donc politiques et ne relèvent pas d’un comportement délirant.
Les professionnels du secteur ont certainement un rôle à jouer dans la prévention des troubles mentaux, mais le discours de Gérard Collomb traduit l’état d’ignorance général de la population française sur ce sujet. Santé mentale France voudrait, par exemple, développer en France un programme – qui existe déjà dans une vingtaine de pays – de formation du grand public aux premiers secours en santé mentale. Le but est d’apprendre à détecter une crise et à adopter l’attitude adaptée, c’est-à-dire appeler les secours. Mais il s’agit d’alerter des professionnels de santé, et non la police.
Les dispositions du code pénal sur le secret professionnel des médecins et les cas où il peut être levé sont très claires. Cela concerne la possibilité d’un crime ou délit qui risquerait de porter atteinte à l’intégrité de personnes physiques. Il arrive donc que des psychiatres fassent un signalement au procureur ou à la police. Mais cela n’a rien à voir avec l’idée d’instaurer un signalement systématique ! On est très vigilant sur le maintien du secret car c’est la base de la confiance accordée aux soignants.
En outre, la radicalisation ne signifie pas que la personne va commettre un attentat. Pour les prévenir, il semble plus efficace de démontrer aux personnes fragiles en quoi l’argumentaire des terroristes est dangereux : cela ne relève pas de la psychiatrie. Tout ce que cette dernière pourrait faire, c’est intervenir précocement auprès des jeunes qui ressentent un mal-être… Ce qui me semble parfaitement inefficace car si on signale toutes ces personnes à la police, elle risque d’être vite débordée !
La psychiatrie ne peut être absente du débat. Les propos de Gérard Collomb n’ont pas forcément été bien compris par mes collègues, mais je pense qu’il est important d’accéder à une meilleure compréhension de la psychologie des personnes radicalisées par la recherche et d’améliorer la formation des professionnels de santé afin qu’ils soient à même d’assurer leur prise en charge.
Il existe trois types d’extrémistes violents. D’abord, les idéologues, qui sont dans l’action politique ou militaire, et n’ont rien à voir avec la psychiatrie. C’est à la justice de les prendre en charge. Ensuite, les personnes vulnérables, comme le cas de cet homme qui a commis l’attentat de Nice. Avant le passage à l’acte, ceux-ci sont souvent dans des états-limites, dans la délinquance ou la toxicomanie. Ils peuvent basculer mais n’ont pas de conviction terroriste forte, ils pourraient tout aussi bien être supporters de foot ! Ceux-ci peuvent bénéficier d’un accompagnement psychiatrique. Enfin, il existe ce qu’on appelle des « copycats », des personnes psychotiques qui adoptent un modus operandi « à la mode ». On ne peut donc pas dire que la psychiatrie n’a rien à voir avec les terroristes…
Collaborer avec la police ne veut pas dire divulguer des informations médicales. Dans nos formations en psycho-criminalistique, des professionnels de milieux différents, dont des psychiatres, des policiers, ou des magistrats se côtoient et apprennent à collaborer de façon intelligente. C’est dommage qu’il y ait des incompréhensions entre ces différentes professions car, en réalité, nous avons les mêmes clients. À Lyon, nous développons actuellement un projet d’unité de prise en charge des personnes revenant de Syrie ou radicalisées, qui pourraient être accueillies volontairement ou après une obligation de soins. Il n’est donc pas question de briser le secret médical : on ne parle pas d’un psychiatre qui, après avoir reçu un patient, ferait son rapport à la police ! Mais il y a des dispositifs à inventer face à l’émergence d’un problème nouveau, avec des personnes en souffrance psychologique. La médecine ne peut pas se fermer à toute évolution.
Si les dispositifs de déradicalisation ont pour l’instant échoué, c’est parce qu’on n’a pas abordé le problème de la bonne façon. Il faut supprimer le passage à l’acte, en désengageant ces personnes des modes d’action violents, plutôt que de s’attaquer à leurs motivations.
La souffrance psychologique peut concerner des extrémistes violents, des bipolaires, des personnes en burn out… Ce n’est pas parce qu’on prend en charge les uns que cela a des répercussions sur les autres ! Ce sont des peurs irrationnelles. Il y a trente ans, on disait que les toxicomanes n’avaient rien à voir avec la psychiatrie, certains refusaient même le principe des programmes de substitution. Chaque époque a ses maladies nouvelles et la médecine doit s’adapter.
→ 1976 : nommé inspecteur principal des affaires sanitaires et sociales
→ 1989 : devient directeur d’hôpital psychiatrique > 2000 : prend la direction de l’association l’Élan retrouvé
→ 2006 : devient directeur de l’Association recherche, handicap et santé mentale
→ 2016 : prend la présidence de Santé mentale France
→ 1993 : obtient son diplôme de psychiatrie, puis de médecine légale
→ 1998 : devient psychiatre aux Antilles françaises
→ 2003 : intègre le CHU de Grenoble
→ 2007 : enseigne la psycho-criminalistique à l’université Lyon-I
→ 2016 : devient président de la Fédération française de psycho-criminalistique
→ Le 18 août, le ministre de l’Intérieur a déclaré qu’il envisageait de mobiliser les hôpitaux psychiatriques et les psychiatres libéraux dans la lutte contre le terrorisme, afin de détecter ceux susceptibles de passer à l’acte. Ces propos ont déclenché la colère des médecins et des patients. L’Ordre des médecins a rappelé « la nécessité de préserver les principes fondamentaux de l’exercice professionnel, en particulier celui du secret médical ». L’Unafam estime, elle, que « ces propos, qui laissent à penser que psychiatrie et terrorisme sont liés, renforcent les représentations du grand public sur la dangerosité de la maladie psychique ».
→ Le 5 septembre, le président de la République a clarifié la situation, estimant que si l’on ne peut dire que « le terrorisme islamiste […] se réduit aux troubles psychiatriques », la ministre de la Santé avait bien reçu pour mission d’élaborer une stratégie afin d’« apporter une réponse concrète à ce nouveau fait social qui est bien là ».