Premier produit psycho-actif illicite consommé par les adolescents, le cannabis est particulièrement source de dangers à cet âge de la vie. Des structures proposent aux jeunes des réponses adaptées à leurs usages, en misant sur la pluridisciplinarité.
Quelque 7 % des adolescents de 17 ans présentaient, en 2011 selon l’Inserm(1), « un risque élevé d’usage problématique du cannabis, voire de dépendance ». La recherche de « plaisir et de convivialité » est, comme le relève l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies(2), le premier moteur de l’usage énoncé par les jeunes, à l’heure où ils vivent maintes transformations physiques, physiologiques et psychiques. Cependant, lorsqu’ils sont dans des usages quotidiens, les adolescents évoquent bien plus souvent « des motifs autothérapeutiques » : « lutter contre l’anxiété et le stress », « mieux dormir »… Le problème est que « les ados ne mesurent absolument pas les dangers que peut comporter ce produit. La plupart passeront au travers mais certains paieront un prix élevé », pointe le pédopsychiatre Gérard Shadili, coordinateur médical de la consultation jeunes consommateurs (CJC) du centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) Émergence espace Tolbiac, à Paris.
Premier danger : le fort dosage en tétrahydrocannabinol (THC) du cannabis actuel. Naguère de 3 à 5 %, le taux avoisinerait désormais en moyenne 20 %, voire dépasserait parfois 40 %, accroissant les dommages potentiels. L’adolescence est aussi, en soi, un facteur de risque. Le cerveau de l’adolescent, en pleine maturation, est en effet plus sensible à la neurotoxicité des produits psycho-actifs que celui de l’adulte. « La neurogénèse est permanente mais ne se fait pas au même rythme à tous les âges. À l’adolescence, elle va notamment concerner le cortex préfrontal, zone essentielle qui permet l’organisation, la planification, la réflexion et l’articulation avec les autres structures du cerveau, tel l’hippocampe, siège de la mémoire », explique le Dr Shadili. Tendant à inhiber le développement de ce cortex, la forte consommation de cannabis va ainsi « engendrer un syndrome amotivationnel, qui ralentit le jeune, et affecter la mémoire de travail. Des troubles de l’attention et de la concentration auront des conséquences sur sa scolarité et son développement social ultérieur », poursuit-il. L’âge du consommateur est en outre déterminant. Une étude néo-zélandaise, publiée en 2012, a prouvé que l’usage régulier de cannabis avant 15 ans pouvait aboutir à une perte définitive de huit points de QI. « Après cet âge, les effets cognitifs sont, eux, partiellement réversibles », précise-t-il. L’abus de cannabis peut, par ailleurs, altérer les relations interpersonnelles et on observe « une corrélation significative entre l’usage et divers “passages à l’acte” (tentatives de suicide, boulimie, comportements sexuels à risque…), dus à la levée de l’inhibition comportementale », note l’Inserm.
L’usage de cannabis peut favoriser la survenue de troubles anxieux ou dépressifs, de symptômes psychotiques ou d’une schizophrénie chez l’adolescent. Il n’a cependant pas été démontré qu’il « puisse être la cause unique de schizophrénie », rappelle l’Inserm. « Des sujets n’auraient pas développé de psychose sans le produit. Intervient ici un facteur important : la vulnérabilité propre à chacun. En cas d’antécédents familiaux de troubles bipolaires, de dépression, de psychose, on risque d’ouvrir la boîte de Pandore », prévient le pédopsychiatre, soulignant que ces antécédents étant rarement connus, personne ne sait s’il se met en danger ou non. La vulnérabilité est aussi liée à la qualité du contexte familial. « Cela a un effet sur la construction de la personnalité du sujet. Plus on a un attachement sécure, moins on risque de développer une addiction », précise-t-il. Sur le plan somatique, des études repèrent un impact du cannabis, en général fumé avec du tabac, sur l’apparition de certaines pathologies de l’appareil respiratoire, circulatoire, ou de certains cancers. Enfin, interférant sur l’attention, la perception visuelle et ralentissant les réflexes, le cannabis double le risque d’accident mortel de la route. « En association avec l’alcool, ce dernier est multiplié par 15 ! », alerte le Dr Shadili.
Divers dispositifs peuvent recevoir des jeunes en difficulté avec le cannabis : les consultations hospitalières d’addictologie, la médecine de ville et, en premier lieu, les Csapa. Quelque 540 CJC, gérées pour la plupart par un Csapa, offrent un accompagnement personnalisé et gratuit aux jeunes de 12 à 25 ans et à leur famille. Leur mission : évaluer la consommation et établir un diagnostic si nécessaire, dispenser informations et conseils aux usagers à risque, proposer une prise en charge brève aux jeunes dans un usage nocif sans complications sociales ou psychiatriques, accompagner ceux en situation d’abus ou de dépendance ou leur proposer une orientation adaptée.
Les CJC s’appuient sur une équipe pluridisciplinaire afin de croiser les regards. À Émergence, la CJC comprend ainsi un pédopsychiatre, trois psychologues, un éducateur et une assistante sociale, et peut s’appuyer sur l’infirmière du Csapa. L’entretien d’accueil vise à percevoir les interrogations ou attentes du jeune et à lui présenter les réponses possibles. Suit un temps d’évaluation de la situation. Un bilan est ainsi réalisé après quatre à cinq rendez-vous, dans un esprit de coconstruction. Selon les problématiques en jeu, l’ado est suivi par un psychologue et/ou un éducateur, voire par le pédopsychiatre. « En cas de fortes consommations, de gros troubles du sommeil, d’angoisses récurrentes ou encore de symptômes de sevrage, le jeune peut nécessiter un traitement d’appui mais il bénéficiera toujours d’un accompagnement », assure Thibaut Pannetier, psychologue. En l’absence de traitement de substitution au cannabis, l’équipe se concentre sur la dimension comportementale. « Nous devons agir concomitamment sur tous les champs : social, scolaire, individuel, familial. Il faut travailler sur la consommation ; puis sur le contexte et l’histoire, d’où des psychothérapies individuelles, mais aussi souvent, sur la qualité relationnelle et la communication intrafamiliale », résume le Dr Shadili. Au-delà des parents, les professionnels cherchent à impliquer l’ensemble des adultes gravitant autour du jeune.
Les avancées peuvent être rapides. « Les ados ont un fort potentiel de changement même si, bien sûr, cela dépend des quantités consommées, des fréquences et du jeune », rappelle le psychologue. Bien supportée par certains, une même dose « sera vite destructurante pour d’autres et prendra une place centrale dans la gestion des émotions et la mise à distance d’angoisses plus profondes », poursuit-il. De fait, il s’agira de s’appuyer sur la clinique de l’adolescence, sans nécessairement s’attaquer de front à la gestion de la consommation. « On cherchera d’abord à comprendre la fonction remplie par le produit, à évaluer l’existence d’autres conduites à risque, à travailler par le détour d’autres registres. Souvent, le jeune finit alors de lui-même par accorder moins de place au cannabis en espaçant ses consommations ou en réduisant les doses », explique-t-il.
Enfin, pour remplir leurs missions, les CJC peuvent recourir, selon leur personnel et leurs orientations, à diverses techniques : entretiens motivationnels, thérapies cognitivo-comportementales, guidance parentale, thérapies familiales… Quoi qu’il en soit, une grande souplesse reste toujours de mise afin de garantir l’adhésion du jeune à la démarche.
1- « Conduites addictives chez les adolescents - Usages, prévention et accompagne-ment » - expertise collective de l’Inserm, 2014.
2- « Dix ans d’activité des “consultations jeunes consommateurs” » - Tendances n° 101, OFDT 2015.
Retarder au maximum l’âge de la première consommation de cannabis et l’installation d’un usage régulier, voilà ce que recommande l’Inserm pour limiter les risques au vu des vulnérabilités adolescentes. Les professionnels, dont les infirmières scolaires, ont dès lors un rôle à jouer en matière de prévention et de repérage. « L’essentiel est de parler. Installer un vrai dialogue est la meilleure garantie d’efficacité », assure le Dr Shadili. Voir les signes spécifiques étant délicat, il s’agit d’établir la confiance. « Il faut laisser la parole émerger sans trop poser de questions au départ, ne pas chercher à parler “jeune”, ne jamais oublier sa posture professionnelle, sans pour autant adopter un jargon médical susceptible de créer de la distance », conseille Thibaut Pannetier, qui mène diverses actions hors les murs dans une démarche de prévention et « d’aller vers ». Au-delà d’orienter les jeunes vers une CJC, le psychologue invite les professionnels à les y emmener, car, explique-t-il, « les ados accompagnés par des infirmières scolaires ou les éducateurs sont ceux qui accrochent le mieux ensuite dans le suivi. »