Les messages fondés sur le risque et la peur peuvent avoir peu ou pas d’effets auprès des adolescents. La prévention en santé auprès d’eux fonctionne mieux quand elle fait appel à leur raison ou quand elle s’appuie sur l’intervention de « pairs ».
Dans son rapport consacré à la prévention en santé chez les adolescents en 2014, l’Académie nationale de médecine(1) cible les comportements à risque menaçant les adolescents et sur lesquels doit porter la sensibilisation. Il s’agit de l’usage de drogues (légales et illégales), des troubles psychocomportementaux (pouvant conduire au suicide), des habitudes alimentaires défavorables, de la sexualité naissante mal contrôlée et de la consommation excessive des nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC). Pour anticiper ces comportements, l’Académie de médecine propose de grandes orientations, rejoignant les préconisations des professionnels de santé pratiquant au quotidien la prévention auprès des adolescents.
En 2013, présentant une campagne de prévention contre l’usage du tabac à destination des adolescents, Thanh Le-Luong, médecin de santé publique et alors directrice générale de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), insistait sur l’importance de ne pas faire porter son message sur les risques encourus : « La jeunesse correspond à une étape de construction de soi et de transgression, le risque ne constitue pas un levier de communication efficace. De la même manière, le rapport à l’avenir est difficilement activable auprès des jeunes, ces préoccupations étant davantage associées aux parents. Aborder les risques de cancers ou de maladies cardiovasculaires dans vingt, trente ou quarante ans, cela ne leur parle pas. Ils se sentent en quelque sorte invulnérables et invincibles. »
La psychologie sociale a montré l’effet négatif d’une prévention basée sur la peur. Un message anxiogène suscite deux réactions antagonistes. Si la voie cognitive permet de faire face à un danger, la voie émotionnelle inhibe toute réaction adaptative. Cet « effet boomerang » conduit à prendre à rebours le message de prévention. Dans son rapport, l’Académie de médecine insiste également sur l’importance, pour les professionnels de santé, de ne pas se placer dans une position surplombante, ayant pour effets de culpabiliser et de stigmatiser les adolescents et accentuant leur défiance « naturelle » vis-à-vis des propos des adultes.
À l’inverse, l’Académie nationale de médecine met en avant une prévention humaniste, qui va favoriser le développement du lien social et qui sera centrée sur les effets positifs de la prévention en santé, et non sur les interdits. Selon Jean-Pierre Deschamps, professeur de santé publique, « l’idée n’est pas d’apprendre la santé aux adolescents mais de les mettre en situation pour qu’ils comprennent eux-mêmes ». D’où l’intérêt d’une approche ludique, faisant appel aux capacités de réflexion de chacun. Les films réalisés par l’INPES afin de prévenir contre l’addiction au tabac en fournissent de bons exemples, comme celui produit en 2013, intitulé Libre, qui interpelle les adolescents sur une valeur qui leur est chère, la liberté, tout en les faisant réfléchir sur la dimension aliénante de la cigarette.
Martine Wachnicki, infirmière scolaire dans la Somme (lire ci-contre), a placé le développement de l’esprit critique au centre de son action de prévention : « C’est intéressant de travailler sur la raison, la capacité à réaliser un tri dans les informations que l’on reçoit, de faire un choix et d’opter pour un comportement modéré. » Ainsi, l’infirmière a fait intervenir, dans ses ateliers de prévention, des professionnels de la publicité expliquant aux élèves les mécanismes employés pour leur donner envie de consommer tel ou tel produit. L’usage des nouvelles technologies peut permettre de prolonger cette réflexion. Ainsi, la campagne « anti-tabac » de l’INPES en direction des jeunes s’est accompagnée de la mise en ligne d’un mini-site permettant aux adolescents de noter, pendant deux mois, les changements dans leur vie et d’y intégrer leur consommation de tabac.
Une prévention réussie doit également s’appuyer sur la confiance et la participation. Pour Isabelle Asselin, gynécologue et formatrice à l’IREPS (Institut régional de ressources en éducation et promotion de la santé) de Basse-Normandie : « Dans l’éducatif, il est nécessaire de quitter le domaine purement médical et de se situer dans une arborescence plus globale. Il faut comprendre le jeune dans sa vie personnelle, familiale et ses valeurs socioculturelles. » Cette approche personnalisée permet également d’associer les adolescents à leur prévention.
L’influence sur son propre comportement des personnes ayant le même âge, la même expérience, la même éducation ou la même fonction, atteint un pic à l’adolescence, entre 11 et 15 ans. De nombreuses expériences sont menées, dans les établissements scolaires ou dans des structures spécialisées dans l’accueil des jeunes, pour utiliser les pairs afin de donner de l’information et pour mettre en avant des types de comportements et de valeurs. Il est capital que les jeunes menant des actions de prévention auprès de leurs pairs soient formés et encadrés par des adultes référents.
Les études réalisées(2) montrent le bénéfice immédiat de l’intervention des pairs pour ces jeunes, notamment en matière d’estime de soi et de capacités relationnelles. Elles révèlent que le fait que les pairs aient été formés renforçait la confiance que leur accordaient les autres jeunes, alors plus enclins à faire appel aux professionnels ou aux structures adéquates pour répondre à leurs besoins en matière de santé.
Dans cet esprit, à Saint-Brieuc (22), une centaine de « correspondants santé » mènent depuis trois ans des actions de prévention dans huit établissements scolaires. S’il repère un jeune qui « ne va pas bien », le correspond santé entre en contact avec lui et le convainc de s’adresser au professionnel - infirmière scolaire, CPE - ou à la structure qui pourra lui venir en aide.
« Nous nous étions aperçus que c’était compliqué pour des adolescents de discuter avec des adultes, explique Lolita Duval-Chiquet, chargée de prévention qui a mis en œuvre le projet pour l’Anpaa (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) des Côtes-d’Armor. Les correspondants ont les compétences pour discuter avec eux, leur apporter de l’aide sans se mettre en difficulté. »
Volontaires, ces lycéens suivent une formation au cours de l’année scolaire. Ils connaissent les personnes ressources et structures adaptées, sont formés à l’écoute active, à la communication. Leur engagement est formalisé dans une « charte du correspondant santé », qui précise qu’en cas de mise en danger d’un lycéen, le « pair » en fait immédiatement part à un professionnel. Ils reçoivent en fin d’année un livret de compétences et un diplôme.
1 - La prévention en santé chez les adolescents, Académie nationale de médecine, 2014. Consultable ici : bit.ly/2ykkNHz
2 - Par exemple, le rapport Espair (Évaluation nationale éducation santé par les pairs), effectué par le sociologue Éric Le Grand. Dossiers AP2, n° 044, 011, 167, 003, ministère des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative. À consulter ici : bit.ly/2yUi6JC
À Villers-Cotterêts, Martine Wachnicki, infirmière scolaire animatrice du bassin Sud Aisne, a mis en place des ateliers de prévention complémentaires, axés sur la santé globale, telle que l’entend l’OMS. Ce projet met en lien les élèves de différentes classes et de cinq établissements scolaires. Les ateliers animés par l’IDE, en lien avec les professeurs des établissements, permettent aux élèves de jardiner, de fabriquer des affiches, des livres, d’échanger avec des adultes ou d’interpréter une pièce de théâtre portant sur la thématique de la violence. Ces activités sont fondées sur le rôle des « pairs ». Ainsi, des élèves de Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté) disposant d’un jardin, ont présenté aux élèves de collège « classique » les actions à mener pour améliorer leur alimentation, tout en les sensibilisant aux notions de développement durable. « Le travail que nous faisons porte sur le développement de leurs compétences individuelles et sociales, explique Martine Wachnicki. Ce sont elles qui leur permettront, plus tard, d’améliorer leur propre prise en charge et leur santé. »
Pour, l’infirmière scolaire, la prévention en santé est plus efficace si elle fait appel à l’esprit créatif des élèves. Grâce à un financement de l’ARS, des intervenants du monde du spectacle ou des beaux arts apportent une dimension artistique aux projets des élèves. Les productions réalisées, le climat de confiance établi, les discussions suscitées lors des ateliers sont autant d’occasions pour l’infirmière de travailler sur la connaissance et l’estime de soi. « Quand on se sent fier de soi, on prend moins de risques », résume-t-elle. Ces ateliers sont complétés par l’existence de collégiens médiateurs, formés et disposant de leur propre bureau.