L'infirmière Magazine n° 387 du 01/11/2017

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

Lisette Gries  

Tabac, alcool, sexualité, violence scolaire, sédentarité… Pendant l’adolescence, les jeunes se frottent à certains risques, mais restent globalement en bonne santé.

Période de prise d’autonomie et de découverte de soi, l’adolescence est aussi marquée par les expérimentations. Des risques nouveaux apparaissent, liés à la sexualité, à la consommation de drogues licites et illicites ou à la santé mentale. Portrait synthétique de la santé, pas si mauvaise, des jeunes Français.

Bien dans leur peau

De façon générale, les ados ont l’impression d’aller bien. En 2010, dans l’enquête « Health behaviour in school-aged children » (HBSC)(1), menée en France par l’Inserm et le rectorat de Toulouse sous l’égide de l’OMS, 88 % des jeunes de 11 à 15 ans estimaient être bien dans leur peau. « À cet âge, les jeunes sont objectivement en bonne santé, comme en témoignent des taux de morbidité et de mortalité inférieurs à ceux des adultes ou des enfants plus jeunes », notent les auteurs de l’analyse des données de l’étude HBSC. Selon l’Ordre des médecins, environ un million de jeunes sont atteints d’une maladie chronique. À titre d’exemples, l’Institut de veille sanitaire (INVS) relève qu’en 2008-2009, 8,6 % des élèves de 3e ont dû prendre un traitement contre l’asthme au moins une fois, et que la prévalence du diabète parmi les 15-19 ans oscille, selon les régions, entre 0,21 % et 0,30 %.

Les adolescents se sentent aussi bien intégrés. Près de 93 % déclarent avoir trois vrais amis ou plus (HBSC). Dans l’enquête « Portraits d’adolescents » menée par l’Inserm et la fondation Vallée en 2013, 98,9 % des jeunes interrogés estiment que les amitiés réelles sont plus importantes que celles virtuelles. « La mère reste la principale interlocutrice des adolescents pour l’école, la santé, la famille », ajoutent les auteurs. Enfin, 68,5 % des collégiens sondés pour l’enquête HBSC disent aimer l’école.

L’âge des expérimentations

L’adolescence est par excellence l’âge des « premières fois », mais aussi celui où les comportements ont le plus de risques d’évoluer vers des addictions. Parmi les drogues, licites et illicites, l’alcool, le tabac et le cannabis restent les substances les plus prisées. Selon l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT), en 2014, 89,3 % des jeunes de 17 ans ont déjà bu de l’alcool, 68,4 % ont déjà fumé du tabac, et un peu moins de la moitié ont expérimenté le cannabis. 45,2 % ont tenté les trois substances, quand 8 % n’en ont testé aucune. Si l’alcool est souvent expérimenté dès la fin du primaire (49 % des élèves de 6e en ont déjà bu), les années collège sont celles des premières cigarettes : alors que 10 % ont déjà fumé en 6e, ils sont 49 % à l’avoir fait en 3e. Si 12 % des élèves de 3e fument quotidiennement, à 17 ans, ils sont près d’un tiers. 12,5 % des ados de 17 ans boivent de l’alcool et 9 % fument du cannabis régulièrement (plus de dix fois en trente jours).

C’est aussi à l’adolescence qu’interviennent les premières expériences sexuelles. Si 14,3 % des garçons et 4 % des filles de 13 ans déclarent avoir déjà eu des rapports sexuels, l’écart s’amenuise entre les deux sexes et, à 18 ans, ce sont 77 % des garçons et 73,4 % des filles qui ont démarré leur sexualité, selon l’Inserm. De plus, 95 % des jeunes femmes de 15 à 19 ans se déclarant en couple utilisent un moyen de contraception, selon le Baromètre santé des jeunes de l’INPES (2010). Selon l’Inserm, 59 % des 15-17 ans utilisent des préservatifs, et 86 % des jeunes l’utilisent pour leur première relation. En 2012, le taux d’IVG chez les 15-17 ans était de 9,9 pour 1 000, avec des disparités importantes selon les régions (Inserm).

La santé mentale en question

L’Académie de médecine indique que 40 000 adolescents tentent de se donner la mort chaque année. « Le suicide constitue la seconde cause de décès dans cette population après les accidents, bien souvent liés à des prises de risques », alerte le rapport de la Mission bien-être et santé des jeunes (2016), dirigé par le Pr Marie Rose Moro. L’Ordre des médecins souligne que 10 % des jeunes ont recours à des antidépresseurs, des somnifères et/ou des tranquillisants. Ces situations résultent d’un malaise commun à beaucoup d’adolescents. Selon l’Inserm, la dépression touche 16,8 % des filles et 7 % des garçons. Plus de la moitié des pathologies psychiques de l’âge adulte débutent d’ailleurs avant 14 ans. Les plaintes somatiques (maux de dos, céphalées, douleurs abdominales) sont courantes à l’adolescence, mais la France fait partie des pays où leur prévalence est la plus élevée parmi les 40 pays de l’enquête HBSC. 36 % des collégiens disent avoir subi des brimades dans leur établissement durant les deux mois précédant l’enquête. Pour 5 %, le harcèlement est quotidien. 43,9 % des garçons et 36,3 % des filles déclarent avoir été auteurs de brimades sur d’autres élèves. 12 % des collégiens disent avoir été victimes de coups.

Une hygiène de vie à consolider

Selon les études, environ 11 % à 18 % des adolescents sont en surpoids, et 2 % à 4 % sont en situation d’obésité, avec un déterminant social marqué. Moins de 60 % des collégiens déclarent prendre un petit-déjeuner quotidien. 38,8 % mangent des fruits tous les jours, une proportion qui augmente légèrement (44,1 %) pour les légumes. Ces bonnes habitudes alimentaires sont plus ancrées au début du collège qu’à la fin (HBSC). L’Insee estime que les 15-18 ans ne dorment que 7 h 39 par nuit, soit cinquante minutes de moins qu’il y a vingt-cinq ans (lire p. 46). Le rapport de la Mission bien-être et santé des jeunes indique pour sa part que 20 % des élèves de 3e sont en situation de privation de sommeil. Ceux qui regardent la télévision ou utilisent Internet le soir dorment entre trente et quarante-cinq minutes de moins que la moyenne, une donnée à mettre en regard avec le fort taux d’adolescents passant plus de deux heures par jour devant un écran : 91,5 % (HBSC). Ils sont cependant 82,1 % à pratiquer régulièrement un sport (Inserm). L’enquête HBSC relève pourtant une différence entre les filles et les garçons : 13 % des collégiennes déclarent ne jamais faire de sport contre 5 % de leurs homologues masculins.

1 - Une analyse des données de l’étude HBSC ont été publiées par l’INPES sous le titre : « La santé des collégiens en France ».

TEMPS PASSÉ DEVANT LES ÉCRANS

Sont-ils tous accros à Internet ?

→ Toujours le nez sur leur téléphone ou leur écran d’ordinateur, les adolescents risquent-ils tous de devenir dépendants à Internet ? « On distingue deux types d’addiction au numérique : la cyber-dépendance dite primaire, qui est plutôt rare, et la cyber-dépendance secondaire. Dans ce cas, ce n’est pas aux écrans, mais aux jeux en ligne ou aux jeux vidéo que le jeune est accro. C’est toujours le signe d’une vraie difficulté psychologique, comme une dépression, des troubles anxieux, etc. », explique le Dr David Duroy, psychiatre et addictologue à l’hôpital Bichat (AP-HP). Prévenir ou traiter le symptôme sans prendre aussi en charge le trouble psychique qui le cause serait alors improductif. « Mais les addictions à Internet restent bien plus rares que celles à des substances, comme l’alcool ou le tabac. Elles sont plus effrayantes, car les parents connaissent mal les outils numériques », souligne le Dr Duroy. La crainte de voir des ados jusqu’alors bien dans leur peau se couper du monde réel est aussi à dédramatiser : « Un jeune bien intégré dans le réel le sera aussi sur les réseaux sociaux », précise le Dr Duroy.

→ En revanche, une trop grande consommation d’écran peut causer d’autres soucis de santé. « Ils tendent à retarder l’endormissement, et peuvent donc causer des troubles du sommeil, et à diminuer le temps passé au travail scolaire », remarque l’addictologue. Pour autant, il est inutile de priver les ados de leurs précieux compagnons.

« Ce sont des outils sociaux qui leur sont nécessaires, il faut que les adultes acceptent cette évolution », insiste le Dr Duroy. Des actions de prévention peuvent donc être axées sur le bon usage de ces outils, et les familles peuvent être encouragées à passer un contrat avec leur jeune pour encadrer le temps consacré aux écrans.

NOUVELLES ADDICTIONS

La consommation en binge et achats en ligne

→ À côté de la consommation régulière de tabac, d’alcool et de cannabis, les adolescents développent de nouvelles conduites addictives, comme la dépendance à Internet et la consommation de drogues de synthèse. « Ces produits sont vendus en ligne, livrés à domicile par colis et leur présence est aujourd’hui indétectable dans les urines. Il est donc difficile de mesurer leur consommation. Ils se classent en deux catégories : des dérivés d’amphétamines, qui ont des effets stimulants, comme les cathinones, et des cannabinoïdes, beaucoup plus puissants que le cannabis classique », détaille le Dr Alain Dervaux, psychiatre et addictologue au CHU d’Amiens. Souvent peu chers, ils sont facilement accessibles pour les adolescents.

→ Une autre caractéristique des conduites potentiellement addictives des jeunes est le mode de consommation. « Ils consomment de plus en plus en «  binge  », c’est-à-dire beaucoup en un minimum de temps, avec une recherche de défonce. Il est fréquent qu’ils associent plusieurs substances lors d’une même soirée », explique le Dr Dervaux. S’il n’est pas surprenant que les adolescents fassent des expérimentations, ceux qui versent dans la consommation régulière et la dépendance sont les plus fragiles. « Cela peut être révélateur de troubles dépressifs, mais aussi de fragilités psychiques héritées de traumatismes dans l’enfance ou encore de fragilités familiales », relève l’addictologue. Une attention particulière est donc à porter à ces jeunes en souffrance, notamment en leur donnant suffisamment d’informations sur les conséquences de leurs comportements. « Des études américaines montrent que mener des actions sur les risques liés au tabagisme, par exemple, dissuade une partie des ados de passer à une consommation régulière », conclut le Dr Dervaux.