Période de maturation charnière, l’adolescence est aussi le temps de la vulnérabilité. La prévention, l’orientation et la prise en charge du jeune ont des implications majeures à la fois pour sa santé et pour la construction de sa personnalité future.
Le terme « adolescence » provient du latin adolescere, qui signifie grandir. « Il désigne cette période de la vie qui assure la transition entre le monde de l’enfance et celui de l’âge adulte, précise le Dr Marion Robin, psychiatre d’adolescents à l’Institut mutualiste Montsouris (Paris). Selon les cultures, sa durée est très variable et, dans la culture occidentale, elle évolue entre 12 et 25 ans environ. » Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce moment se situe entre 10 et 19 ans. « Historiquement, l’adolescence reste, jusqu’à une époque récente, une période de la vie sans intérêt », explique le sociologue David Le Breton. De fait, ce terme n’apparaît dans les dictionnaires français qu’à la fin du XVIIIe siècle(1). Il évoluera au cours des siècles suivants mais ne sera véritablement reconnu et étudié qu’au cours du XXe siècle (lire p. 41).
L’adolescence est une période de transition et de maturation physique, cognitive et psychologique, associée à une grande vulnérabilité émotionnelle et comportementale. « Elle débute au moment de la puberté, c’est-à-dire lors de l’acquisition des fonctions de reproduction, par le développement des caractères sexuels, poursuit le Dr Robin. Ce phénomène physiologique intervient entre 10 et 12 ans chez les filles et 11 et 13 ans chez les garçons. Il marque le point de départ d’une métamorphose corporelle au cours de laquelle, au-delà de l’accélération de la croissance staturale, les caractères sexuels secondaires se mettent en place progressivement, sous l’influence des modifications hormonales(2).
→ À savoir : la puberté est dite « précoce » si les premiers signes pubertaires apparaissent avant 8 ans chez la fille et avant 9 ans et 6 mois chez les garçons. Elle est dite « retardée » si ces signes apparaissent après 13 ans chez les filles et 14 ans chez les garçons(3). Ce décalage pubertaire (avance ou retard) est généralement mal vécu et peut être à l’origine de victimisation (schéma de comportement qui crée un obstacle aux relations authentiques) par les pairs et de syndromes dépressifs.
Cette maturation physique et sexuelle s’accompa gne de changements psychologiques, affectifs et cognitifs, qui vont concourir, entre autres, au développement de son identité et de sa capacité de raisonnement abstrait, à l’acquisition des compétences pour assumer le rôle d’adulte et à la conquête de l’indépendance sociale et économique. « Durant cette période, la perception de soi et d’autrui évolue aussi vite que les changements corporels, précise la spécialiste. Les relations aux autres sont revisitées. Les figures parentales, ces personnages puissants qui détenaient la vérité du monde pour leur enfant, sont dorénavant porteurs d’une vérité parmi d’autres. En parallèle, les pairs sont investis de façon plus intense et sont un support d’identification important. » Bien qu’ils présentent une variabilité individuelle dans leur expression et leur temporalité, tous ces bouleversements s’opèrent schématiquement au cours de trois grandes étapes du développement physique, cognitif et psychologique de l’adolescence (lire l’encadré p. 39).
Grâce aux progrès de l’imagerie, l’étude et la compréhension des mécanismes neurobiologiques impliqués dans les transformations cérébrales et le développement des capacités propres à l’adolescence ont enrichi les connaissances sur l’évolution de la maturation cérébrale. « Au-delà du rôle et de l’influence des hormones (œstrogènes, progestérone, cortisol, ocytocine…) sur la structure et les fonctions du cerveau humain en développement, explique le Dr Marie Devernay, médecin pédiatre dans l’unité de médecine pour adolescents de l’hôpital Armand-Trousseau (AP-HP), l’imagerie a permis de mettre en évidence une augmentation globale de la matière blanche de l’enfance à l’adolescence attribuable à une progressive myélinisation axonale améliorant la vitesse de transmission neuronale. Par ailleurs, la matière grise augmente de volume et se transforme au niveau des cortex frontaux temporaux et pariétaux durant l’enfance, pour atteindre un pic à l’adolescence et décroître ensuite chez l’adulte. Cette évolution est associée à un affinement et une spécialisation des fonctions neuronales. »
Ce remodelage cérébral s’effectue au cours de l’adolescence en réponse aux stimulations environnementales, sociales, émotionnelles… Il se déroulerait selon le mode « do it or loose it », ce qui implique que seules les connections utilisées vont survivre ou prospérer pendant le reste de la vie et que celles qui n’ont pas été sollicitées sont perdues(3). « Cela signifie que le cerveau de l’adolescent a un potentiel considérable à exploiter car la maturation du cerveau, associée à tous les autres facteurs environnementaux (éducation, famille, valeurs, cadre contenant mais également addictions, consommation de toxiques, etc.), va entraîner le développement, ou non, de spécialisations acquises à vie, commente le Dr Devernay. Ainsi, les activités de l’adolescent seraient susceptibles d’avoir une grande influence sur la structure définitive du cerveau. »
Cette période charnière de transformations entre l’enfant et l’adulte est jalonnée de difficultés, de regrets (quitter l’inconscience de l’enfance), de craintes voire de peur à endosser les responsabilités de son futur statut d’adulte. Ce tiraillement entre des aspirations contraires (le présent et l’avenir, la tentation et la crainte, l’impatience et la nostalgie, la révolte et la soumission, le désir de toute-puissance et le sentiment d’impuissance, le besoin de protection parentale et la quête d’indépendance…) rend le présent incertain, génère des inquiétudes et des tensions face auxquelles l’adolescent ne maîtrise pas toujours les réponses. Cette inaptitude peut le rendre particulièrement vulnérable. « Saison des attentes, l’adolescence est aussi le temps de la vulnérabilité et de la sensibilité la plus vive aux carences », explique le pédopsychiatre Patrice Huerre(1). Psychologiquement inconfortable, ce temps fait au mieux le lit de la crise de l’adolescence et s’exprime, au pire, par des comportements à risque voire des pensées autodestructrices qui peuvent mettre la santé, et parfois la vie, de l’adolescent en danger (lire p. 42).
« La crise explosive n’est pas une constante de l’adolescence, loin de là, explique le Dr Robin. Elle est inévitable si elle est entendue dans le sens d’une mise en tension interne de forces contraires. L’adolescent doit gérer un paradoxe qui est celui d’un conflit entre ses besoins d’autonomie pour devenir un adulte et ses besoins de dépendance pour s’assurer de la sécurité de ses appuis relationnels comme base d’exploration du monde. » Il doit donc surmonter un conflit interne qu’il gère plus ou moins bien mais qu’il ne montre pas forcément à l’extérieur. « Ensuite, poursuit la spécialiste, le terme générique de crise est souvent entendu aujourd’hui comme un état de gravité sans solution. Or, la crise d’adolescence est le plus souvent le contraire : un état non grave, une métamorphose qui ouvre sur de nouvelles solutions relationnelles, une nouvelle perception de soi et d’autrui, de nouveaux investissements et projets. »
Chez l’adolescent, la mise en danger, qu’elle soit perçue et déclarée, ou non reconnue comme telle par le jeune, concerne 12 % des personnes de 12 à 25 ans selon le baromètre santé 2000(1). « Les conduites à risque (alcoolisation, tabagisme, consommation de cannabis et autres drogues, excès de vitesse, relations non protégées, tentatives de suicide…) surviennent plus souvent chez les adolescents in sécures, peu confiants en eux et en autrui, et qui cherchent pour certains à exister et à intensifier les relations avec les proches avec lesquels ils n’arrivent ni à se lier ni à se séparer sereinement », commente le Dr Robin. Elles sont liées à une conjonction complexe entre des facteurs sociaux, une structure familiale et une histoire de vie (conflits de l’enfance, abus sexuel…) et « vont évoluer en fonction de la réponse qu’elles vont provoquer et de la contenance qu’elles vont trouver, c’est-à-dire de la capacité de l’entourage à entendre, entourer, accompagner et délimiter l’espace de l’adolescent, de façon déterminée et bienveillante »(4).
« Elles vont aussi s’apaiser par la prise en charge des traumatismes dont elles témoignent en partie, et de façon plus générale, dans le travail du lien à autrui, aux parents, aux professionnels et aux pairs, ajoute le Dr Robin. Par ailleurs, l’apprentissage d’une vision graduée du risque, permettant de différencier les petits des grands, joue un rôle important dans la prévention et le traitement des conduites dangereuses, notamment par des activités mobilisant progressivement la responsabilité de l’adolescent, qu’elles soient artistiques, sportives, scientifiques ou sociales. »
Il n’existe pas de prévalence masculine ou féminine des conduites à risque mais celles-ci s’expriment de manière très différente, expliquent les psychiatres. Elles sont plus bruyantes, plus externalisées, plus visibles chez les garçons et plus souvent internalisées chez les filles. Les garçons sont davantage dans l’hétéro-agressivité, la violence sur autrui, la transgression, la consommation de drogue, la délinquance, et les filles dans l’auto-agressivité : scarifications, anorexie, prise de médicaments, rapports sexuels non protégés avec grossesses précoces, prises de risques sur Internet (exposition).
Les tentatives de suicide sont aussi plus violentes chez les garçons et bien plus souvent mortelles que chez les filles. « Sur dix adolescents décédés par suicide, il y a huit garçons pour deux filles, alors que les tentatives de suicide prises en charge aux urgences concernent huit filles pour deux garçons », commente le Dr Devernay.
Il est intéressant de noter que les conduites à risque surviennent plus fréquemment au début et à la mi-adolescence, c’est-à-dire en phase d’expérimentation de la vie. « Cela pourrait s’expliquer sur le plan des mécanismes neurobiologiques par une disparité de maturation entre deux systèmes cérébraux : le système limbique (il gouverne la récompense, l’appétit, la recherche de plaisir) et le cortex préfrontal (il contrôle la fonction exécutive, la planification et la régulation émotionnelle, la prise de décision, la conscience de soi) », explique la pédiatre. Ce dernier finit sa maturation à la toute fin de l’adolescence alors que le système limbique est déjà mature, ce qui engendre un déséquilibre développemental qui favoriserait les comportements à risque. Par ailleurs, une augmentation de l’activité dans le noyau accumbens, une région liée à la récompense, au plaisir et à d’autres réponses émotionnelles, semble également contribuer à l’augmentation des comportements à risque et à la prise de décisions étonnantes en dépit de la connaissance des risques(3). « Cela dit, cette réalité physiologique montrée par l’imagerie ne permet pas encore d’établir le rôle précis de ces disparités de maturation au regard des nombreux autres paramètres qui rentrent en ligne de compte, tels que l’influence des hormones de la puberté et celle de l’environnement sociofamilial ? », conclut le médecin.
L’adolescence est par conséquent une période où les acteurs de santé ont la possibilité unique de repérer, d’orienter et d’accompagner les jeunes dans la connaissance et la construction d’eux-mêmes et dans la mobilisation de la capacité de résilience qui est en eux.
Des études montrent en effet que des facteurs individuels et environnementaux (tels que le sentiment d’appartenance à une communauté ou à un réseau informel, la capacité de s’adapter et de susciter de la sympathie, le sentiment de contrôle sur sa vie et sur les évènements qui la jalonnent, l’écoute et l’accompagnement bienveillant) favorisent la résilience, expliquant que certains adolescents parviennent mieux que d’autres à affronter les difficultés de la vie(5).
1 - INPES, Adolescence et santé : constats et propositions pour agir auprès des jeunes scolarisés, à lire sur : bit.ly/2fBWf5J
2 - La puberté débute quand la sécrétion par l’hypothalamus de gonadotropin-releasing hormon (GnRH) active l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique et induit la sécrétion pulsatile d’hormones hypophysaires (FSH et LH) puis d’estradiol et de testostérones gonadiques.
3 - M.Devernayet col. « Développement neuropsychique de l’adolescent : les étapes à connaître », Réalités pédiatriques, n° 187, septembre 2014, bit.ly/2xKvYIz
4 - M. Robin, Ados désemparés cherche société vivante, Odile Jacob, 2017.
5 - C.Ferron, « Les éducateurs pour la santé et la résilience : du coup de foudre au mariage de raison », La santé de l’homme, n° 335, sept.-oct. 2001, p. 7 : bit.ly/2k8wtHT
→ Première étape : le début de l’adolescence. Cette période est marquée par la métamorphose physique des premiers signes pubertaires, le développement des capacités d’abstraction, de raisonnement hypothético-déductif sur le plan cognitif, et par le début du processus de séparation-individuation sur le plan psychologique.
→ Deuxième étape : la mi-adolescence, entre 13 et 16 ans pour les filles et 14 et 17 ans pour les garçons. Elle correspond aux dernières transformations pubertaires et à la poursuite de la croissance. L’adolescent développe son intérêt pour les questions fondamentales (sens de la vie, par ex.) et sa capacité à manipuler des concepts théoriques. Il accède à la subjectivisation (il investit des droits en vue de satisfaire ses intérêts), renforçant ainsi sa construction en tant que sujet et son identité mais est confronté à des aspirations paradoxales (besoin de ressembler et de se différencier d’autrui). Cette période est aussi celle de l’expérimentation et de la prise de risque, de la distanciation avec les parents et du contraste entre sentiment d’invulnérabilité et manque de confiance en soi.
→ Troisième étape : la consolidation du développement pubertaire et la fin de la croissance staturale s’accompagnent d’une stabilisation identitaire, émotionnelle, affective et sexuelle. L’adolescent se préoccupe davantage de l’avenir et montre un regain d’intérêt pour les traditions et les cultures. Son indépendance et sa confiance en soi s’affirment.
Sources : M. Devernay et col. « Développement neuropsychique de l’adolescent : les étapes à connaître », Réalités pédiatriques, n° 187, septembre 2014. Consultable sur : bit.ly/2xKvYIz
Auteur de nombreux ouvrages sur l’adolescence, David Le Breton a notamment publié Une brève histoire de l’adolescence (éditions J. -C. Béhar, 2013). Il nous en livre les temps forts.
« Comme le décrivait l’anthropologue Margaret Mead, l’existence d’une période charnière n’a jamais vraiment intéressé ni questionné la plupart des sociétés humaines pour lesquelles le passage de l’enfance à l’âge d’homme se faisait de façon insensible, sans attention ni rituel particuliers. Pour d’autres, les rites de passage de l’enfance à l’âge adulte propres aux sociétés traditionnelles faisaient l’économie de la notion d’adolescence. Selon les travaux de l’historien Philippe Ariès, l’histoire de l’adolescence dans nos sociétés occidentales renvoie à une invention qui daterait du milieu du XVIIIe siècle. Elle prendrait naissance dans les milieux privilégiés après la publication de l’Émile de Jean-Jacques Rousseau. Toutefois, c’est avec les lois scolaires de Jules Ferry, qui imposent la scolarité gratuite obligatoire au milieu du XIXe siècle, que l’intérêt particulier pour cette période de la vie qu’on appelle l’adolescence prend son essor de manière décisive. Il gagne progressivement mais plus tardivement les milieux populaires, qui ont plus de difficultés à intégrer la différence des âges dans un contexte où l’enfant, mis au travail très jeune, passe « naturellement » du statut d’enfant à celui d’adulte. C’est ce qui explique le retard à la scolarisation des enfants au début du XXe siècle, notamment dans les campagnes et les villes industrielles, et le fait que la notion d’adolescence, dans son acception actuelle, n’émerge vraiment dans l’entendement général qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le sociologue américain Talcott Parsons décrit une culture adolescente avec des goûts spécifiques, une manière d’être ensemble, des modes de consommation particuliers. En France, ce sont les travaux d’Edgard Morin qui, à la fin des années 1950, posent les fondements décisifs d’une conception de l’adolescence comme passerelle entre l’enfance et l’âge adulte. Soumis aux évolutions sociétales, ces fondements ont depuis une vingtaine d’années volé en éclats sous l’effet notamment de l’individualisation du lien social et de l’importance de l’univers de la consommation et des technologies modernes. Ceux-ci marquent en effet des frontières entre les différentes classes d’âge et émancipent énormément les enfants de leurs parents qui, d’éducateurs, deviennent les éduqués. Une évolution qui a fait émerger, dans les années 1990, la notion de pré-adolescence, marquée par des conduites à risque que l’on associait auparavant à une classe d’âge plus avancée, et plus récemment, celle des post-adolescents qui, entre 25 et 30 ans, forment un monde assez hétéroclite de « Tanguy », incapables d’assumer les responsabilités afférentes à leur âge par peur ou manque de moyens, selon les milieux. Ce phénomène se développe dans une société qui devient elle-même « adulescente », qui se « juvénilise » de plus en plus, notamment à travers les jeux vidéo, la musique, la téléphonie, les réseaux sociaux et la culture industrielle de masse… Entre des parents qui ne veulent pas vieillir et des enfants qui veulent rester des enfants, ces comportements viennent percuter complètement le jeu des générations. »
Remerciements au DR Marion Robin, psychiatre d’adolescents à l’Institut Mutualiste Montsouris, et à Marie Devernay, médecin pédiatre dans l’Unité de médecine pour adolescents de l’hôpital Armand-Trousseau (AP-HP)