FORMATION
PRISE EN CHARGE
Directrice de recherches à l'Insermprésidente de l'institut national du sommeil et de la vigilance
Le manque de sommeil en période scolaire et les horaires décalés en fin de semaine sont associés à de moindres performances scolaires et à un déficit de matière grise dans le cerveau. En cause, notamment, l'importance des écrans dans la vie des jeunes.
Depuis une vingtaine d'années, les données alarmantes concernant les conséquences du manque de sommeil sur la santé s'accumulent. La « dette » de sommeil, que l'on évalue à environ une heure par nuit en moyenne dans la population adulte, s'est aggravée avec les récentes mutations de notre mode de vie: les rythmes 24 h/24 et 7 j/7, la révolution numérique, Internet et les réseaux sociaux, le développement des vols transcontinentaux, les loisirs, etc.
Les premiers touchés par ces changements sont les adolescents, chez qui on voit apparaître des comportements de type addictif vis-à-vis des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). En particulier, jeux vidéo, tablettes et smart-phones forment leur environnement familier et ils les considèrent souvent comme indispensables… de jour comme de nuit ! Or, les adolescents, qui traversent une période charnière de fragilité, ont besoin d'un sommeil suffisant pour un bon développement tant physique que mental et émotionnel(1).
Les besoins de sommeil, en durée et en qualité, évoluent avec l'âge. Schématiquement, la durée totale du sommeil baisse de la naissance à l'âge adulte, avec une diminution progressive du sommeil lent profond, le sommeil récupérateur: abondant dans l'enfance, il se réduit à la puberté pour constituer, à l'âge adulte, 20 à 25 % du temps total de sommeil. Lors du vieillissement, il disparaît complètement au profit du sommeil lent léger.
Chez l'adolescent, on estime que le besoin de sommeil est de 10-11 h à 12 ans et 8 h 30-9 h 30 à 17 ans. Cette évolution de la durée du sommeil s'accompagne d'un « retard de phase », c'est-à-dire d'une modification de son rythme: l'endormissement se produit plus tardivement qu'avant la puberté et le réveil survient plus tard. À l'adolescence, les horaires de sommeil se décalent ainsi d'environ une à deux heures, pour des raisons largement hormonales.
De 1975 à 2015, on estime que l'adolescent a « perdu » une heure à une heure trente de sommeil par nuit (voir shéma p. 48). Cette diminution se serait produite principalement avec l'exode rural, la péri-urbanisation et l'apparition de la télévision dans les foyers, mais surtout, ces dernières années, avec l'envahissement des écrans numériques jusque dans la chambre à coucher. En utilisant de façon souvent intensive ces nouvelles technologies le soir et même la nuit, l'adolescent adopte des comportements qui contribuent à aggraver son retard de phase.
Ainsi, une étude récente du réseau Morphée(2), réalisée sur 786 collégiens de la région parisienne d'âge moyen de 12,4 ans, montre qu'ils ont du mal à se déconnecter de leur smartphone. Un tiers d'entre eux envoient des sms tard le soir et 15 % en pleine nuit. L'endormissement en est retardé, la qualité du sommeil dégradée, et les jeunes sont en manque de sommeil. Les jours de congé, ils essaient de « rattraper » ce manque en se levant beaucoup plus tard, ce qui a pour résultat d'accentuer plus encore leur retard de phase.
L'insuffisance de sommeil a des effets à court terme qui sont bien connus: somnolence, troubles de l'attention, fatigue… (lire p. 47) Chez l'adolescent, elle se traduit aussi souvent par la consommation d'excitants ou de boissons énergisantes dans la journée.
À long terme, le manque de sommeil chez les jeunes augmente les risques d'obésité et de dépression(3). Il est lié à une diminution générale des résultats scolaires et, de façon plus inquiétante, à des modifications du développement du cerveau avec une plus faible quantité de matière grise dans le cortex cérébral(4). Ces données doivent nous alerter sur l'impact de notre mode de vie sur le sommeil et la santé en général, pour l'enfant et l'adolescent en particulier.
Des initiatives ont été prises dans divers pays pour que les horaires scolaires soient aménagés, afin que les jeunes puissent dormir plus tard le matin. Ces expériences, dont certaines sont encore en cours, montrent que les adolescents dont le début des cours était retardé de vingt-cinq minutes à une heure, dormaient entre vingt-cinq et soixante-dix-sept minutes de plus par nuit, étaient moins somnolents en classe, avaient de meilleurs résultats scolaires, consommaient moins de caféine et étaient moins déprimés. Hormis des mesures institutionnelles de ce type, qui sont difficiles à mettre en place, surtout en France, il faut nous mobiliser pour des actions d'information et de sensibilisation auprès des parents, de l'encadrement et des jeunes eux-mêmes(5).
Une éducation au bon sommeil passe par l'apprentissage des « bonnes règles » d'utilisation des NTIC, aussi bien pour soi-même que pour les autres: rappeler qu'il y a des heures préférentielles pour utiliser les écrans et que l'exposition à la lumière du jour, notamment par l'exercice d'une activité physique ou sportive en plein air, limite l'impact négatif des écrans sur le sommeil. Surtout, respecter un « couvre-feu numérique » à partir d'une certaine heure le soir et pendant toute la nuit, et refuser qu'être joignable 24 h/24 devienne une « norme » sociale. À cet égard, il faut savoir que les parents qui imposent des limites concernant les horaires de sommeil sont non seulement écoutés par leur ado mais aussi que ce dernier les ressent comme plus attentifs à lui et à son bien-être(6). Enfin, n'oublions pas la valeur de l'exemple. Les jeunes considèrent leur smartphone comme un prolongement d'eux-mêmes, en interaction ouverte avec le monde à toute heure via les réseaux sociaux. Faisons en sorte que cette dérive ne soit pas alimentée ou renforcée par nos propres comportements vis-à-vis des NTIC.
1 - « Insufficient sleep in adolescents and young adults: an update on causes and conséquences », J.Owens et al. Pediatrics, 2014, bit.ly/2wlbyxe.
2 - « Nouveaux médias sociaux, nouveaux comportements de sommeil chez les ados », S. Royant-Parola et al., L'Encéphale, 2017. bit.ly/2y5gbFz
3 - « Sleep debt and depression in female college students », O. Regestein et al., Psychiatry Research, 2010. bit.ly/2yaAVec
4 - « Sleep habits, academic performance and the adolescent brain structure »; A.S. Urril et a I., Scientific Reports, 2017. www.go.nature.com
5 - « Insuffisance de sommeil, un facteur de risque à tout âge » 7e Rencontre du sommeil, nov. 2017 www.insv.org
6 - « Earlier parental set bedtimes as a protective factor against depression and suicidal ideation » J. Gangwisch et al. Sleep, 2010, bit.ly/2z9cBb7