Pour des raisons économiques et écologiques, les établissements de santé mettent en place des plans de réduction de leurs déchets à tous les étages. En première ligne, les infirmiers y sont souvent associés.
Avec une production annuelle de 700 000 tonnes de déchets de toutes sortes, soit 3,5 % de la production nationale, les établissements de santé sont de gros pourvoyeurs. Pas d’illusion : s’ils sont actifs sur le sujet au-delà de la mise en conformité réglementaire, c’est en premier lieu pour des raisons économiques. En effet, on compte grosso modo une tonne de déchets produite par lit et par an, contre une moyenne nationale annuelle de 360 kg par habitant. Une partie de ces déchets nécessite des traitements spécifiques, entraînant un coût d’enlèvement élevé, qui est également fonction du volume et du prestataire. Rappelons que la loi du 15 juillet 1975, relative à l’élimination des déchets(1), entérine le principe de pollueur-payeur et stipule que « toute personne produisant des déchets est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination ».
L’établissement, et plus précisément son directeur, est ainsi responsable des déchets, depuis leur production jusqu’à leur élimination finale. Et dans la filière d’élimination des déchets d’activités de soins (DAS), les risques concernent de nombreuses personnes. À l’avant-poste, le personnel soignant bien sûr, IDE et aides-soignants, mais aussi le personnel des services annexes (blanchisserie, manutention, transport), les patients, les visiteurs, le personnel des installations d’élimination des déchets et le grand public. « Le tri des déchets est cadré par les exigences réglementaires pour des raisons d’hygiène, d’asepsie et de non-contamination, souligne François Gracia, ingénieur hospitalier, responsable accréditation, qualité et gestions des déchets au CHU de Montpellier. Mais la mise en œuvre des procédures est aussi liée au sens pratique, notamment en s’adaptant à la configuration du site. Un déchet, c’est avant tout quelque chose dont on veut se séparer selon un système de cercles concentriques. En premier lieu, on l’écarte du patient, puis du soignant, puis de tel ou tel service, et enfin de l’hôpital, voire au-delà. »
Dans les actions à mener pour améliorer le processus de tri, les IDE sont en première ligne et ont leur mot à dire. C’est en faisant le bon tri au plus près de sa production, à la source, que les résultats sont les plus probants. Mais, pour les IDE, jeter vient à la fin du geste et de la technique de soins. Tous les bacs et les collecteurs doivent donc être proches d’eux au moment où ils effectuent le soin, afin d’éviter les déplacements inutiles. « Il faut éliminer ou réduire les contraintes en permettant au personnel d’améliorer le tri, de manière simple, et sans surcharge de travail », poursuit-il. C’est ainsi qu’au CHU de Montpellier, qui a mis en place 37 filières spécifiques, les chariots de soins ont été adaptés à la proposition faite par les soignants. En effet, si les sacs jaunes souples (pour les Dasri(2)) et les boîtes jaunes rigides (pour les PTC(3)) étaient bien présents en salle de soins, les chariots ne comportaient qu’un seul sac, celui des Dasri. Grâce à l’ajout d’un deuxième sac (noir, cette fois, pour les DAOM(4)), les IDE ont pu effectuer le tri adéquat dès le soin pratiqué auprès du patient en chambre.
Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), la production annuelle de Dasri en France atteint 166 000 tonnes. Ils représentent un gisement de déchets non négligeable dans un établissement de soins, en partie dû à la généralisation de l’usage unique. Mais ils présentent surtout un coût de traitement particulièrement élevé car ils nécessitent des collecteurs sécurisés, un lieu de stockage dédié, une date limite de stockage restreinte (les Dasri doivent être traités dans les soixante-douze heures suivant leur production sur un même site) et une stricte traçabilité… À titre indicatif, selon les experts, le coût de traitement est de 300 à 400 € la tonne pour les DAOM, 600 à 800 € la tonne pour les DASRI, 2 000 à 3 000 € la tonne pour les déchets toxiques.(5)
Dans ce contexte, les établissements cherchent à optimiser leur tri DAOM-Dasri. Car si la réglementation est assez claire, en pratique, certains déchets peuvent être éliminés à tort en Dasri par manque de formation, par facilité ou encore par méconnaissance. Au CHU de Nîmes, Marie-Laure Piqué, ingénieur au pôle ressources matérielles, s’est lancée dans la gestion des déchets dès 2005. « Un véritable travail de fourmi où il a fallu tout construire. Mais aujourd’hui, l’établissement a structuré près de 40 filières de tri », lance-t-elle. Elle confirme que l’évolution dans le tri des déchets se fait en étroite collaboration avec les soignants. « Nous avons travaillé, avec l’appui du Comité de lutte contre les infections nosocomiales et des soignants de l’équipe d’hygiène, pour bâtir une nouvelle règle de tri des DAOM-Dasri, plus simple et plus logique », précise-t-elle. Au final, c’est une autre façon de penser les choses qui a vu le jour. Et Catherine Syrovelsky, Ibode hygiéniste, le confirme : « À l’exception des catégories réglementaires, nous mettons désormais en Dasri uniquement les déchets qui sont issus de patients en précautions complémentaires. Par exemple, un pansement d’une simple prise de sang va partir en DAOM. En revanche, s’il s’agit d’un pansement dit “complexe”, lié à une cicatrice avec écoulement ou bien un abcès, il part en Dasri. De même, les poches de nutrition et de perfusion, d’urine vidées et de vidange gastrique, hors piquant et colostomie, sont désormais dans le circuit des DAOM. Le processus nouveau est assez vite rentré dans les habitudes car la réflexion avait été menée collectivement en amont. » Résultat : le volume de Dasri a diminué de 24 % la première année, et de 20 % entre 2015 et 2016, alors que l’hôpital connaissait une légère croissance d’activité. Après avoir constaté un pic de leurs Dasri en 2012, grâce à des indicateurs mis en place dès 2005, les hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) ont réalisé un véritable état des lieux photographique des pratiques de tri des DAS dans les 21 pôles. « Nous avions un protocole de tri qui intégrait le risque psycho-émotionnel », explique Estelle Hagmeyer-Rivoallan, ingénieur environnement, au département prévention, sécurité et environnement des HUS. Souvent évoqué, ce risque symbolise la peur provoquée par du matériel non à risque et non souillé, mais dont la vue suggère une activité de soins et peut avoir un impact émotionnel, comme les seringues de préparation et les poches de perfusion vides ou les compresses. « Une fois le protocole revu, le projet a été ajusté et présenté aux instances de l’établissement », poursuit-elle. Au final, le volume de Dasri est passé de 1 682 tonnes en 2012 à 1 074 tonnes en 2016, soit une diminution de 36 %. Pour Nayma Khechab, cadre de santé au pôle médico-chirurgical cardiovasculaire, « le changement s’est fait facilement, car nous avons été bien accompagnées et nous avons pu communiquer à nos équipes le guide des bonnes pratiques et le quiz réalisé sur ce sujet. C’est un nouveau mode de réflexion sur l’hygiène. Une façon de se questionner collectivement sur ce que l’on fait et de lutter contre la routine, qui peut amener parfois à faire du tri inadapté, avec trop de précautions. » Ainsi, en fonction du risque, certains déchets issus des patients en isolement de bas niveau peuvent désormais être éliminés en DAOM alors que, longtemps, l’isolement (même de bas niveau) a été associé à un danger et un risque infectieux. Sa collègue, Sylvie Charland, cadre de santé et référente hygiène, renchérit : « C’est un changement de pratique professionnelle. Régulièrement, nous faisons des piqûres de rappel et nous travaillons aussi en lien avec les étudiants de l’Ifsi afin qu’ils intègrent cela dès leur formation. »
Dans les établissements de soins, les bouteilles d’eau sont abondamment distribuées et génèrent de nombreux déchets. Or, il est possible d’opter pour des récipients réutilisables ou pour des fontaines à eau reliées au réseau potable. Selon l’Ademe, boire de l’eau du robinet en lieu et place de l’eau en bouteille économiserait 12 kg de déchets par an et par personne. En janvier dernier, les bouteilles en plastique ont été supprimées à la clinique du Pré, au Mans. Une mesure avant tout économique, voulue par la direction, qui semble être « assez bien passée ». Le personnel apporte désormais sa gourde ou sa bouteille. Il dispose de carafes d’eau, et au self, de fontaines réfrigérées. Au CHRU de Lille, une réflexion est en cours sur le sujet. « Nous travaillons à la réduction des bouteilles d’eau pour l’ensemble des personnels et les remplaçons par des fontaines à eau avec des gobelets en plastique à usage unique, souligne Sacha Kaczmarek, ingénieur ICPE(6), déchets et écocitoyenneté. Dans 5 % des cas, nous avons pu introduire des écocups - gobelets réutilisables - mais cela n’est pas possible pour l’ensemble des services, car ils sont plus chers au départ. »
Le papier est un autre gisement de déchets important. Début 2013, la clinique du Pré s’est équipée d’un broyeur. Tous les éléments qui comportent un nom de patient (étiquettes, documents de transmission) sont broyés. Le stockage se fait dans les infirmeries ou les locaux à papier sécurisés. Cette démarche, qui garantit la confidentialité, rassure tout le personnel soignant. En deux ans, l’établissement est passé de zéro à cinq tonnes de papiers récoltées. Au CHU de Montpellier, ce sont 150 tonnes de papiers par an qui ne partent plus aux ordures ménagères. Et le papier recyclé sert à la fabrication du journal Midi libre ! Un autre gisement de déchets est aujourd’hui étudié, celui des dispositifs médicaux. Ils contiennent pas mal de métaux précieux comme le titane, le palladium, l’argent, mais là, les filières de tri sont encore à affiner, voire à trouver.
Associer les soignants dans la réflexion, les former et les informer sur le tri à la source, les accompagner dans les nouvelles pratiques, mettre à leur disposition les matériels adaptés, sont autant d’actions qui permettent de réussir la réduction des déchets. Quiz, jeux, affiches, photos, guides explicites et imagés, il faut trouver des formes rapides et ludiques, des mots et des éléments clés pour interpeller les IDE, qui ont peu de temps à consacrer au sujet. L’actualité en ce domaine, au sein d’un établissement, se fait souvent sur les temps de transmission, qui sont très courts. Agnès Pradel, cadre référente déchets au GH-Pitié-Salpêtrière (AP-HP), opte pour des formations plus longues quand cela est possible, et va à la rencontre des soignants sur le terrain. « Je fais des formations au bloc opératoire. Je vais aussi dans les services de nuit où l’accueil est très positif, précise-t-elle. L’idée est vraiment de mettre chacun au cœur de l’action. Mais la “Salpé”, c’est une véritable ville, il est donc difficile de voir tout le monde. » À la fin de son intervention, elle distribue une réglette sur le tri qui présente les déchets et leur filière respective, classés par ordre alphabétique. Un outil créé en coopération avec l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH), histoire de ne pas oublier les bons gestes de tri.
1 - À lire sur le site de Légifrance : bit.ly/2xXht4R.
2 - Déchets d’activités de soins à risques infectieux et assimilés.
3 - Déchets piquants, coupants, tranchants.
4 - Déchets assimilés aux ordures ménagères.
5 - Sachant que le coût de traitement dépend de quatre éléments : le volume, le prestataire, le transport (il peut faire exploser le coût des Dasri) et la négociation commerciale.
6 - Installation classée pour la protection de l’environnement.
→ « La réduction des déchets hospitaliers en pratique », Comité pour le développement durable en santé (C2DS), édition 2013.
→ « Organisation de la gestion des déchets », optimiser le traitement et réduire la signature environnementale, Retours d’expériences, Agence nationale d’appui à la performance (Anap), 2010.
→ « Étude sur le bilan du traitement des déchets d’activités de soins à risques infectieux en France », année 2011, perspectives 2012, juin 2013. Étude réalisée pour le compte de l’Ademe par Egis structures et environnement.
→ « Déchets d’activités de soins à risques, comment les éliminer ? », guide technique, ministère de la Santé et des Sports, 2009 (ancien mais une référence).
Les déchets d’activités de soins (DAS) se divisent en deux catégories.
→ Les déchets assimilables aux déchets ménagers (DADM) ou aux ordures ménagères (DAOM). Sont concernés les papiers, encres, stylos, cartons, toners, déchets alimentaires, mobilier… Mais aussi les surblouses jetables, protections incontinence, matériels de soin, calots et protections non visiblement souillées, selon la politique de l’établissement. Ils sont éliminés dans la filière des déchets ménagers. Ils concernent entre 80 et 85 % de la production.
→ Les déchets à risque.
Ils présentent des risques infectieux, chimiques, toxiques ou radioactifs. Ils représentent 15 à 20 % de la production et sont classés en trois groupes.
• Premièrement, les déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri), qui présentent un risque infectieux « du fait qu’ils contiennent des micro-organismes viables ou leurs toxines, dont on sait […] qu’ils causent la maladie chez l’homme ou d’autres organismes vivants. Soit, même en l’absence de risque infectieux, ils relèvent de l’une des catégories suivantes : matériels et matériaux piquants ou coupants destinés à l’abandon, qu’ils aient été ou non en contact avec un produit biologique ; produits sanguins à usage thérapeutique incomplètement utilisés ou arrivés à péremption ; déchets anatomiques humains, correspondant à des fragments humains aisément identifiables. »(1) On trouve ainsi les coupants, tranchants, flacons de produits sanguins, dispositifs de drainage, déchets des patients en isolement, déchets en contact avec des patients en hémodialyse.
• Deuxièmement, les déchets à risques chimiques et toxiques (DRCT). Il s’agit ici des piles et accumulateurs ; dispositifs médicaux implantés actifs, pompes à insuline, stimulateurs cardiaques, défibrillateurs ; matériels contenant du mercure, tensiomètres, thermomètres ; déchets d’équipements électriques et électroniques médicaux (DEEE), accumulateurs, condensateurs, tubes cathodiques ; déchets de médicaments anticancéreux et médicaments non utilisés.
• Et troisièmement, les déchets à risques radioactifs.
1- Code de l’environnement (art. L 541-1 et suivants), bit.ly/2xViPNd
→ Selon une étude(1), réalisée en 2011 par le ministère de l’Agriculture, la restauration collective en établissements de santé et médicosociaux enregistre le plus gros volume de pertes et gaspillage, avec 264 grammes par personne et par repas, en moyenne. Alors que le 2e Pacte de lutte contre le gaspillage alimentaire(2) (2017-2020) vise une réduction du gaspillage de 50 % à l’horizon 2025, de nombreuses initiatives existent déjà, comme celle menée à la maison de retraite Saint-Joseph à Jasseron, dans l’Ain. Alerté dès 2014 par les quantités jetées, Dominique Gelmini, directeur de l’établissement, a tiré la sonnette d’alarme ! « Nous étions à l’époque à 290 grammes par jour et par résident, c’est impensable, s’exclame-t-il aujourd’hui. Ce sont des pratiques d’un autre temps ! Nous sommes passés de 11 tonnes de déchets alimentaires par an début 2014 à 2,5 tonnes fin 2015 soit 65 à 70 grammes par jour et par résident. » Tout cela s’est fait grâce à la forte implication de la cuisinière, Ghislaine Martin, et de son équipe, qui réalise 140 repas par service : 79 résidents en Ehpad, 26 personnes pour l’unité dédiée aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer, et le personnel. « Nous avons abandonné les bacs gastro et mis en place un service de plats chauds à l’assiette, comme au restaurant, précise-t-elle. Cela permet de voir ce que mangent les résidents et crée un contact direct avec eux. Nous avons aussi revu l’organisation salle et cuisine et, désormais, il y davantage d’entraide. » Optimisation du budget, utilisation de la légumerie sur place, qui permet de servir des crudités, des légumes et des salades de fruits frais, orientation vers des produits en circuits courts… tout est fait pour que résidents et personnels mangent mieux. Grâce aux économies réalisées - 40 000 € - sur le budget alimentaire annuel, l’établissement a pu investir dans du matériel en cuisine et réaliser une nouvelle salle de restaurant plus lumineuse.
1 - À lire sur : bit.ly/2fMAsZd.
2 - Disponible sur : bit.ly/2vAOoYn.