Depuis 2016, le centre référent de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive de Lyon (CL3R) utilise le programme Gaïa. Il aide à la reconnaissance des émotions faciales, avec des exercices assistés par ordinateur.
Dans le cas de Paul, il est difficile de poser un diagnostic. À ce stade, il souffre d’une psychose émergente mais on ne peut pas diagnostiquer une schizophrénie. La difficulté pour ce type de patient est l’engagement dans le soin, qui dépend de la reconnaissance et de l’acceptation du trouble psychiatrique. Le patient ne comprend pas forcément en quoi il relève du soin. Ce déficit d’émotions lui pose un souci, mais il pense que cela est lié au traitement. Dans le service, il est reçu en entretien médical, pour évaluer si son trouble est stabilisé et s’il a un projet qui relève de la réhabilitation : un logement, un retour vers l’emploi ou encore, une inscription dans des activités à caractère social. « Il faut que le patient ait une motivation à venir dans notre service », souligne Baptiste Gaudelus, infirmier en psychiatrie au centre référent de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive de Lyon (CL3R). Paul a un projet de travail, donc il entre dans le cadre du programme.
Le médecin prescrit un bilan complet, avec une évaluation du fonctionnement psychosocial, réalisée par les infirmiers. « Elle permet de repérer les ressources et les difficultés au quotidien, ainsi que les projets du patient », détaille l’infirmier. Outre son projet d’emploi, Paul souhaite améliorer ses relations sociales car il a toujours été très timide. Il fait l’objet d’un bilan neuropsychologique, qui évalue ses fonctions cognitives (mémoire, attention, fonctions exécutives). Près de 80 % des personnes schizophrènes présentent des troubles cognitifs. « Dans son bilan cognitif, Paul avait de bonnes compétences attentionnelles et exécutives. Il avait une petite fragilité par rapport à la mémoire, mais pas très invalidante », note l’IDE. Enfin, le bilan permet de faire le point sur les fonctions cognitives engagées dans la relation avec les autres, en particulier dans le traitement des émotions (reconnaissance et production d’émotions faciales et prosodiques). C’est cette partie que cible Gaïa. Paul a deux fragilités : la reconnaissance des émotions faciales (il différencie mal tristesse, peur et mépris) et l’interprétation des états mentaux d’autrui (théorie de l’esprit).
« Avec ce bilan, il nous a semblé que l’outil de remédiation Gaïa, qui cible la reconnaissance des émotions, était le plus susceptible de répondre à ses besoins », estime Baptiste Gaudelus, qui a élaboré le programme. Le programme Gaïa est une intervention individuelle de remédiation de la cognition sociale qui cible la reconnaissance des émotions.
Le programme est structuré en trente séances de dix semaines, avec deux séances patient-thérapeute d’une heure par semaine et une séance de transfert par semaine, que le patient réalise seul à son domicile.
« Nous travaillons sur des objectifs définis avec le patient. Il faut que sa demande cible les interactions sociales et que le bilan montre qu’il y a un déficit dans ce domaine », détaille Baptiste Gaudelus. Deux ou trois séances sont dédiées à la définition de ces objectifs. « Nous ne démarrons pas sans objectifs précis sur lesquels le patient veut travailler. » La répartition dans les séances dépend du patient et de sa progression dans les exercices.
Pour Paul, les objectifs sont de parvenir à discuter avec des personnes peu ou pas connues, de se poser moins de questions sur la perception qu’ont les autres de la discussion et de retrouver ses émotions. La première phase propose des exercices sur photographies, représentant la joie, la colère ou la tristesse. Le patient doit identifier l’émotion et expliquer à quoi il l’a reconnue. La difficulté est progressivement augmentée en diminuant l’intensité des émotions, en allant plus vite ou en ajoutant la neutralité. Paul est très vite à l’aise avec cet exercice. Le thérapeute adjoint alors des exercices où Paul doit mimer des émotions, car une difficulté d’expression a été repérée chez lui lors du bilan. Des exercices de pleine conscience vont aussi lui permettre de porter son attention sur ses ressentis physiques liés à une émotion. Lors de cette première phase, Paul participe à huit séances patient-thérapeute ainsi qu’à quatre séances de transfert.
La deuxième étape consiste en une série d’exercices informatisés, réalisés en présence du thérapeute. On regarde, par exemple, à l’écran la vidéo d’une femme qui dit au revoir à sa sœur. Il s’agit d’observer ses émotions et de les identifier. « Notre rôle est de discuter avec le patient sur comment il a fait pour répondre à la question », explique Baptiste Gaudelus. Le programme informatique compte une douzaine de vidéos et cinq niveaux de difficulté. « L’exercice se conclut par un jeu de rôle durant lequel le patient propose une réponse au personnage de la scène, en exprimant clairement ses émotions sur le visage et dans le ton de sa voix. Nous proposons un contexte sans anxiété par rapport à une situation réelle. Cela permet au patient de se questionner sur comment s’y prendre pour améliorer son comportement dans la vraie vie, pour ne pas surréagir et ne pas s’exposer », poursuit l’infirmier.
La troisième phase, qui comprend au moins cinq séances, est celle de la généralisation. « Nous continuons les exercices informatisés, mais en se mettant au niveau 5, en vue de s’entraîner au plus près des compétences acquises, détaille Baptiste Gaudelus. D’autres exercices avec papier et crayon sont proposés, en introduisant des émotions plus complexes, par exemple le mépris et le dégoût. Enfin, nous travaillons sur des émotions spécifiques, qui correspondent au vécu de la personne ou à une difficulté. Par exemple, la notion de “faire honte” ».
Paul effectue sept séances patient-thérapeute dans cette phase. À l’issue de sa prise en charge, « il était plus spontané dans le discours avec nous et plus productif en termes d’émotions faciales, note l’infirmier. Mais il a eu du mal avec l’utilisation en situation réelle. Il était plus conscient qu’il avait des émotions mais il n’avait pas l’impression de mieux les sentir ». Par ailleurs, pour le retour à l’emploi de Paul, « nous lui avons demandé de renouer contact avec la mission locale et de prendre des renseignements en mairie, sur l’hypothèse d’un service civique, ce qu’il a fait », poursuit Baptiste Gaudelus. En post-prise en charge, le patient garde un suivi pendant six mois. « Nous convenons d’un rendez-vous d’une demi-heure tous les quinze jours, souligne Baptiste Gaudelus. Nous ne faisons plus d’exercices, mais nous gardons le côté incitatif vers la relation aux autres. Si le patient a atteint ses objectifs, nous en trouvons de nouveaux, sinon nous l’incitons à les atteindre. » Paul s’expose plus aux relations avec les autres et il s’est inscrit dans un groupe de travail de vingt-cinq personnes sur le projet professionnel, pendant trois mois à temps plein.
Après un épisode psychotique aigü en 2014, Paul, 20 ans, a fait une rechute en 2016, pendant un arrêt de traitement. Réhospitalisé, il a reçu un nouveau traitement. Quand le service l’accueille en décembre 2016, il habite chez sa mère et est suivi en centre médico-psychologique. Il vient dans le service pour un projet de travail en milieu ordinaire. Il se plaint de problèmes de motivation, en particulier pour la relation sociale, et d’un émoussement affectif majeur. Il a le sentiment de ne plus avoir d’émotions et pense que c’est le traitement qui l’en empêche.
→ 2010 : création du centre référent de réhabilitation psychosociale et remédiation cognitive de Lyon.
→ 2010-2012 : élaboration du programme Gaïa.
→ 2012-2016 : étude de validation du programme.
→ 2014 : formation des personnes dans le cadre du DU de remédiation cognitive.
→ 2016 : fin de l’étude de validation : publication de l’article.
→ Depuis 2016 : le programme GAÏA est utilisé en pratique courante dans le service et des personnes sont formées pour l’utiliser dans des centres de réhabilitation ou des centres d’activité thérapeutique à temps partiel (CATTP). Vingt à vingt-cinq personnes sont formées par an.
Au centre référent de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive de Lyon, la prise en charge est axée sur le rétablissement. « Nous pensons qu’on peut se rétablir des troubles psychiatriques chroniques. Être rétabli, c’est avoir une vie satisfaisante au regard des critères de la personne et en étant libre des symptômes invalidants, avec ou sans traitement, explique Baptiste Gaudelus. L’idée est de mettre la personne au cœur de la définition de son propre rétablissement. » Ainsi, le projet de soins est construit avec les objectifs que la personne fixe elle-même et non avec les objectifs de l’équipe de soins.