La première salle de consommation à moindre risque française a tout juste un an. Même s’il reste du chemin à parcourir, l’équipe estime qu’elle a déjà permis d’inclure nombre d’usagers dans une vraie démarche de soins.
Douze petits mois d’existence, mais surtout, le résultat d’années de travail acharné pour les associations porteuses du projet. La première salle de consommation à moindre risque (SCMR) française, située dans le quartier de la gare du Nord (Paris, Xe), souffle en ce mois d’octobre sa première bougie. « C’est l’aboutissement d’un travail de longue haleine et l’on peut dire que ça fonctionne, se réjouit Céline Debaulieu, responsable de ce lieu géré par l’association Gaïa. On voit déjà des personnes qui vont mieux et commencent à se dévoiler. » Un ressenti partagé par l’équipe, composée d’éducateurs, d’assistants sociaux, de médecins et d’infirmiers. Même si, à ce stade, il reste difficile de quantifier les résultats concrets de cette expérimentation à la frontière du soin et du social, tant il s’agit d’un accompagnement dans la durée. Le principe : les usagers de drogues en situation de précarité sont accueillis au sein de la SCMR et s’injectent eux-mêmes, avec le matériel mis à leur disposition, sous la supervision d’un professionnel. Ils peuvent ensuite rester un moment dans une salle de repos. Un accompagnement social, médical et psychiatrique leur est proposé. Un dispositif qui permet une prise en charge plus complète que ce qui existait jusque-là sur le territoire parisien. « Cela nous donne la possibilité de créer des liens avec des personnes qui ont tendance à rejeter l’idée de soins, explique Fanny Deltour, l’une des six infirmières qui se relaient dans la salle, assurant à tour de rôle, en alternance avec des travailleurs sociaux, l’accueil, la surveillance de la salle d’injection ou la présence en salle de repos. L’essentiel est de les laisser venir à nous, de ne pas les brusquer. On se renseigne sur leurs habitudes, leur niveau de connaissances sur les procédés d’injection. Puis, on leur apprend comment préserver leurs veines ou comment filtrer les produits. Et, parfois, on va les orienter vers une consultation de médecine générale ou d’addictologie. »
En un an, plus de 500 consultations infirmières ont été menées. Cela peut sembler peu rapporté aux quelque 800 inscrits - soit 140 à 160 usagers fréquentant la salle chaque jour -, mais c’est déjà un score encourageant quand on sait que ces personnes en rupture, souvent sans logement, avaient complètement abandonné l’idée de prendre soin d’eux. « J’ai vu des usagers se reprendre en main : on commence par les aider à accéder à la CMU ou à l’AME, à refaire leurs papiers d’identité, puis on les accompagne parfois dans la recherche d’un hébergement, détaille Fanny Deltour. Cela permet une relation plus suivie que dans les services hospitaliers : je connais presque tous les usagers, qui sont des habitués. » « Avoir des murs et des horaires d’ouverture réguliers renforce les liens avec des personnes qui pouvaient être fuyantes lorsqu’elles se présentaient à notre antenne mobile, renchérit Céline Debaulieu. Elles saisissent l’opportunité d’être accompagnées, parfois jusqu’au sevrage. » En effet, la plupart des usagers fréquentaient déjà le quartier, connu pour le marché noir du Skenan (sulfate de morphine), avant qu’il n’y ait la SCMR.
Reste que les tensions avec les riverains, très inquiets de l’ouverture de la salle, ne se sont pas complètement apaisées. Un comité de voisinage est organisé tous les deux mois, au sein duquel le collectif contre la « salle de shoot » peut encore se montrer virulent. « La salle répond à un objectif, qui était d’absorber une grande partie de la consommation qui se pratiquait auparavant dans la rue, plaide Céline Debaulieu. Mais il reste des efforts à faire pour que les progrès accomplis à l’intérieur se voient à l’extérieur, car il y a encore des consommations dehors, ça déborde un peu. Mais on n’a ouvert qu’une salle pour un bassin de dix millions d’habitants ! »
La responsable plaide donc pour la création de nouvelles SCMR en Île-de-France, notamment en Seine-Saint-Denis. L’expérimentation de la gare du Nord doit durer encore cinq ans. De premières enquêtes d’évaluation, menées par l’Inserm et qui portent sur les usagers et sur l’environnement, devraient être disponibles dans deux à trois ans.
Depuis son ouverture, le 17 octobre 2016, l’Espace Gaïa compte :
→ 827 consultations sanitaires réalisées par le médecin ou l’infirmière.
→ 123 dépistages de maladies infectieuses.
→ 53 582 consommations dans l’espace dédié.
→ 165 consommations en moyenne chaque jour.