Une récente expérimentation, qui a permis de sortir un patient d’un état végétatif grâce à une stimulation du nerf vague, pose la question du consentement et interrogenotre conception de la fin de vie.
« Cela peut induire une souffrance existentielle »
Le texte fondateur sur cette question est l’avis 7 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), rendu en 1986. Le CCNE y « manifeste son opposition absolue aux formules du Pr Milhaud(1), selon lesquelles ces malades seraient “des modèles humains presque parfaits et constitueraient des intermédiaires entre l’animal et l’homme”. Ce sont des êtres humains, qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité ». La conclusion est qu’ils ne sauraient être traités comme un moyen de progrès scientifique, quel que soit l’intérêt ou l’importance de l’expérience qui n’a pas pour objet l’amélioration de leur état.
En effet. La question se pose par exemple pour la recherche sur la maladie d’Alzheimer : comment progresser sans procéder à des essais sur les malades, des personnes vulnérables, dans l’incapacité de donner leur assentiment ? Là, il peut y avoir conflit entre l’intérêt de la personne et l’intérêt général, ce qui place les chercheurs face à un dilemme. Mais la déclaration d’Helsinki est claire : c’est l’intérêt de la personne qui prime sur celui de la recherche, et même de la société.
D’abord, on doit considérer le patient qui se retrouve en état pauci-relationnel et prend conscience de son état. Quelle peut être sa réaction ? Cela peut induire une souffrance existentielle telle qu’il aurait envie d’en terminer… C’est ce qu’on appelle le syndrome du glissement. Cela pose aussi question par rapport à la famille : au bout de quinze ans, on lui donne subitement un espoir fou. Au nom de quoi aurait-elle osé refuser cette opportunité ? Je ne sais pas comment le protocole lui a été présenté, mais il semble que les arguments exposés laissaient entrevoir une amélioration, en tout cas pas de préjudice pour leur proche. Son décès a forcément eu un effet dramatique. Quel soutien psychologique leur a été proposé ?
Je me demande s’il était bien utile de communiquer sur un seul cas. Il y a eu une imprudence de ce point de vue, qui s’inscrit dans un contexte général de course à la publication. Or, ces résultats sont de nature à changer le statut de la personne en état végétatif. Cet état n’est plus irréversible comme on le croyait. Cela inquiète déjà les équipes médicales chargées du prélèvement d’organes : à partir de quand peuvent-elles considérer que le patient est un donneur potentiel ? Peut-on imaginer, par ailleurs, généraliser ce type d’expérimentation, sachant que l’évolution du patient peut ensuite prendre des années, sans garantie de résultat ? Enfin, il y a quelque chose qui me choque profondément du point de vue du soin, de l’attention à l’autre : on a communiqué sur le résultat scientifique mais on a omis de dire, dans un premier temps, que le patient était décédé. Comme si la personne ne comptait pas. Des avancées scientifiques, oui, mais pas à n’importe quel prix.
« Nous veillons à protéger la population étudiée »
De notre côté, c’est très clair : oui, nous menons des recherches sur ces patients. Pour autant, quand nous agençons un protocole, nous mettons toujours l’avancée des connaissances en balance avec les risques encourus par ces derniers. Lorsque nous exposons le projet à la famille, nous nous gardons d’évoquer un bénéfice direct pour leur proche ; même si une évolution de son état est possible, la décision ne doit pas reposer sur cet espoir. Par ailleurs, nous décrivons le protocole à notre comité d’éthique, en expliquant pourquoi c’est précisément ce type de patient qu’il nous faut étudier et comment nous allons gérer le fait qu’il ne puisse pas donner son consentement. En général, les familles sont très réceptives.
Quand il s’agit d’une expérience comportementale, il y a en fait peu de risques. En revanche, dans le cas d’expérimentations plus invasives, par exemple lorsqu’on implante un dispositif ou qu’on réalise une stimulation du cerveau, le patient fait face à des risques liés à l’anesthésie et à l’intervention chirurgicale. Chaque technique est associée à des risques différents. Mais nous veillons à protéger la population étudiée : par exemple, si l’on teste un traitement associé à une augmentation ou une réapparition de crises chez des épileptiques, nous les exclurons de notre étude. De même, les patients inclus seront en général médicalement stables.
Au niveau scientifique, la priorité est de faire avancer la recherche. Mais s’il y a un bénéfice pour le patient, c’est un grand plus ! Cependant, il faut rester prudent quant aux progrès obtenus. Des études utilisant l’IRM ont montré des réponses cérébrales atypiques chez des personnes qui, au chevet, ne répondaient pas à la commande. Dans ce cas, une question éthique se pose : faut-il en parler à la famille ? Nous choisissons de le faire, en précisant que ces résultats n’annoncent pas forcément une amélioration de l’état du patient et qu’ils découlent d’un protocole de recherche.
Une enquête menée auprès de mé-decins et soignants a montré que 70 % d’entre eux ne voulaient pas être gardés en vie s’ils se trouvaient en état de conscience minimal chronique. Et pourtant, ils trouvaient moins acceptable d’arrêter les soins chez ces patients que chez ceux en éveil non répondant (considérés comme non conscients) ! Cela montre combien la question de la fin de vie est complexe. De plus, on ne comprend pas encore bien le mécanisme à l’œuvre dans les stimulations cérébrales, telles que celle du nerf vague, et seuls quelques cas ont été rapportés à ce jour. On ne peut pas généraliser ces résultats. Dans cette population de patients sévèrement cérébrolésés, il y a environ 40 % de mauvais diagnostics : des patients diagnostiqués comme non répondants alors qu’ils montrent des signes de conscience quand ils sont évalués avec des échelles plus sensibles. Si ces résultats offrent de l’espoir pour la prise en charge, il est encore trop tôt pour parler de l’impact de ces traitements sur les décisions de fin de vie.
1 - Un anesthésiste qui souhaitait réaliser des essais thérapeutiques sur des personnes en état végétatif chronique.
→ 1988 : doctorat en philosophie consacrée à l’éthique médicale
→ 1995 : directeur de l’Espace éthique de l’AP-HP
→ 2011 : corédacteur du rapport de la mission « Nouvelles attentes du citoyen, acteur de sa santé » pour le ministère de la Santé
→ 2013 : membre du comité des sages pour la stratégie nationale de santé
→ 2013 : doctorat en sciences biomédicales à l’université de Liège
→ 2015 : chercheuse post-doctorante au Spaulding Rehabilitation Hospital and Mass General Hospital
→ 2015-2017 : chercheuse post-doctorante au sein de l’unité de rééducation neurologique de l’hôpital universitaire de Lausanne
→ Février 2017 : rejoint le Coma Science Group à l’université de Liège
→ Une équipe de l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod (Lyon) a publié, fin septembre, les résultats d’une étude menée sur un homme plongé depuis quinze ans dans un état végétatif. Grâce à la stimulation électrique répétée du nerf vague (un nerf crânien), celui-ci a récupéré un état de conscience minimal (appelé état pauci-relationnel) : bien qu’étant incapable de suivre de manière cohérente des instructions simples, il a conscience de son environnement. Le patient est décédé huit mois plus tard. L’équipe a précisé que ce décès n’avait aucun lien avec l’expérimentation. Celle-ci a suscité de vives réactions, notamment sur le plan éthique : faut-il tout tenter sur ces patients que l’on croyait perdus, et dans quel espoir ?
→ En France, 1 500 personnes seraient dans un état d’éveil non répondant ou un état de conscience minimal, après un traumatisme crânien, un AVC, un infarctus…
Elles alternent phases d’éveil et de sommeil.