L'infirmière Magazine n° 388 du 01/12/2017

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

Anne-Gaëlle Moulun  

Permettre aux patients d’être plus autonomes avec leur maladie et leur traitement, tel est l’objectif de l’éducation thérapeutique du patient (ETP). Explications avec le service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon.

La prise en charge des personnes séropositives ne se limite pas aux soins médicaux. Comme d’autres maladies chroniques, l’infection au VIH appelle une démarche de prise en charge globale, telle que proposée dans le cadre de programmes d’éducation thérapeutique. Autorisés par les ARS, ces derniers accueillent une population ciblée, compte tenu des capacités limitées, même si la recommandation est de proposer l’ETP à toute personne vivant avec le VIH, et à différents moments de la prise en charge : annonce de la maladie, préparation au traitement, difficultés relatives à la prévention de la transmission, échec thérapeutique, etc. « Nous donnons la priorité aux patients qui ont une charge virale détectable. Nos capacités nous permettent de rencontrer seulement 10 % de la file active », explique le Dr Isabelle Schlienger, médecin dans le service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon(1). Ce service prend en charge en ETP environ 300 patients atteints de VIH chaque année. En pratique, ce sont donc les patients nouvellement découverts séropositifs ou ceux en échec thérapeutique qui bénéficient en priorité du programme d’ETP.

Les femmes enceintes sont également suivies de près. Comme tout programme d’ETP, les objectifs abordés lors des séances sont l’acquisition ou le renforcement de compétences d’auto-soins et d’adaptation psychosociale.

Le diagnostic éducatif

Un cycle complet comprend environ quatre séances de quarante-cinq minutes. La première est consacrée au diagnostic éducatif et la dernière à l’évaluation. « Le diagnostic éducatif permet de mieux connaître le patient et ce qu’il sait de sa maladie. Il nous raconte qui il est, sa situation familiale, ses habitudes, s’il fume, s’il boit de l’alcool ou consomme des drogues, s’il a des croyances, s’il est pratiquant… », détaille Nathalie Demeure, infirmière dans le service des maladies infectieuses de la Croix-Rousse. On vérifie s’il sait restituer les résultats que le médecin lui a donnés et s’il en comprend le sens. « Nous nous intéressons aux connaissances du patient sur la maladie et aux représentations qu’il en a, complète le Dr Schlienger. C’est très important car nous constatons que le VIH véhicule souvent une image de mort rapide. Les traitements ont fait des progrès mais, dans les mentalités, l’idée que le VIH est devenu une maladie chronique n’a pas encore fait son chemin. Il y a plusieurs manières d’interroger le patient. Pour ma part, je préfère le récit : je lui demande de me raconter ce qui l’amène, c’est plus spontané qu’un interrogatoire avec grille et on apprend déjà beaucoup de choses. »

Prise en compte du milieu

Le soignant s’intéresse aussi à l’entourage du patient, à qui il a dit ou veut dire qu’il est séropositif, sur qui il peut compter pour le soutenir. Il est questionné sur son activité professionnelle, ses horaires et rythmes de travail. « Nous nous intéressons aussi aux conditions de logement car nous avons beaucoup de patients précaires, ainsi qu’aux ressources financières, à la couverture médicale, aux droits sociaux et/ou au droit au séjour », poursuit le Dr Schlienger. L’éducateur se penche également sur l’état émotionnel du patient. « Les facteurs émotionnels sont capitaux dans une perspective de maladie chronique, souligne le Dr Schlienger. Le patient a besoin d’une confiance en soi, de perspectives et d’une motivation pour s’investir dans les consultations à l’hôpital, les examens biologiques et le traitement. »

L’éducateur questionne le patient sur ses projets à court, moyen et long termes : une envie de s’expatrier quelques années, un projet de création d’entreprise ou de voyage, une mutation professionnelle, etc. Enfin, le soignant formule avec le patient les objectifs à atteindre et les compétences à acquérir, selon ses besoins, et il établit le contrat éducatif personnalisé.

Programme à la carte

Le programme doit être adapté aux besoins du patient. « C’est à la carte. Chaque séance porte sur un thème défini ensemble, insiste le Dr Schlienger. Nous partons de ce qu’il sait et nous l’aidons à consolider ses connaissances. Ce n’est pas une école. Les méthodes d’ETP sont des méthodes d’écoute active : nous partons le plus possible de ce que dit le patient. Nous posons de préférence des questions ouvertes : comment prenez-vous ce diagnostic ? Depuis le diagnostic du VIH, comment allez-vous ? À qui l’avez-vous dit ? Il n’en faut pas beaucoup pour lancer le dialogue, les patients ont souvent besoin de parler. » Si le premier besoin est d’être entouré, l’éducateur doit lui proposer rapidement d’autres rendez-vous. Selon les connaissances du patient, il peut lui expliquer le fonctionnement de la maladie, à quoi correspond une charge virale (CV) indétectable ou la relation entre CV et CD4. Il peut aussi lui détailler comment fonctionnent les traitements. De même que « si sa préoccupation est de faire l’annonce à sa famille, nous axons la séance sur ce thème », indique Nathalie Demeure

Adapter le traitement au quotidien

Si la séance porte sur le traitement, le soignant va d’abord choisir avec le patient le moment où les médicaments vont être pris, en tenant compte d’impératifs liés à son mode de vie et à son alimentation. « Il peut nous dire s’il préfère le prendre le matin ou le soir. Ensuite, il faut un ancrage, c’est-à-dire associer le traitement à un geste de la vie quotidienne (repas, brossage de dents), de façon à ce que cela devienne un réflexe et qu’il n’y ait plus besoin d’y penser », détaille le Dr Schlienger.

Il faut également que l’organisation soit en adéquation avec ce qui est décidé. Par exemple, l’endroit de rangement du traitement. « Si le médicament est pris au moment du brossage de dents, il vaut mieux qu’il soit rangé dans la salle de bains. Si c’est au moment du coucher, il sera mieux dans la chambre avec une bouteille d’eau, plutôt que dans la cuisine. Si la personne travaille et qu’elle risque d’oublier son traitement, elle peut avoir des réserves de dépannage dans la voiture ou au vestiaire », ajoute le Dr Schlienger.

Le tabou des relations sexuelles

Lors de la découverte de la séropositivité et de la mise sous traitement, les questions les plus courantes portent sur les effets secondaires des médicaments. « Les patients vont sur les forums et ont accès à tout et n’importe quoi. Notre rôle est de les rassurer. Nous leur remettons de la documentation, adaptée pour chaque patient, car certains savent bien lire et d’autres moins », note Nathalie Demeure.

Globalement, d’après le Dr Schlienger, les gens vont majoritairement mieux qu’autrefois et les traitements se sont simplifiés, avec moins d’effets secondaires. Aussi, « les questions les plus difficiles et les plus douloureuses restent celles de la relation à autrui, relève le Dr Schlienger. Le sida est toujours une maladie extrêmement taboue. L’un des sujets très fréquents à aborder, c’est la vie sexuelle, car l’irruption du VIH entraîne des perturbations et nous avons souvent des interrogations sur comment gérer les questions de la transmission ou du secret. »

Des outils pour dialoguer

Les éducateurs disposent de nombreux outils pour faciliter l’échange. « Chacun choisit ceux qui lui semblent adaptés. Mais la base reste le dialogue, il n’y a pas forcément besoin d’outils matériels, note le Dr Schlienger. Pour nous, le but est que le patient prenne son traitement de façon à avoir une charge virale indétectable. » Parmi les outils disponibles, les éducateurs disposent d’un chevalet avec des planches de dessins pour expliquer la maladie, le virus, les CD4, etc. « Nous travaillons beaucoup avec cet outil, car il est très clair et peut être utilisé même lorsqu’il y a la barrière de la langue, explique Nathalie Demeure. Nous utilisons aussi un “cube VIH” (voir photo p. 39), très utile dans ce contexte, dont chaque face comprend des images en rapport avec le virus. Nous décortiquons les questions et nous faisons en sorte que le patient trouve lui-même les réponses », souligne Nathalie Demeure.

Familiarisation progressive avec le traitement

L’équipe travaille également avec les comprimés eux-mêmes : le patient peut-il retrouver son traitement dans un tas de pilules ? Est-il capable de les identifier, d’en déterminer le nombre, la fréquence ? « Nous lui demandons d’aller récupérer les médicaments à la pharmacie afin de pouvoir travailler dessus », poursuit Nathalie Demeure. Le patient place les comprimés dans un semainier auquel il ajoute, à la maison, les autres traitements, par exemple, contre l’hypertension ou le diabète. Il peut aussi élaborer un planning thérapeutique à l’aide de gommettes, figurant ses comprimés, qu’il positionne sur un carton en dessous de différents temps de la journée pour illustrer chaque prise. Il peut aussi choisir de mettre des alarmes sur son téléphone pour lui rappeler de prendre son traitement. « Nous travaillons aussi beaucoup avec les ordonnances des patients. Nous leur demandons ce qu’ils lisent et ce qu’ils en comprennent », indique Nathalie Demeure.

Trouver ses propres solutions

Pour engager le dialogue, les soignants ont aussi à leur disposition les cartes de situation, parmi lesquelles le patient choisit le sujet dont il a envie de parler. Par exemple : vous êtes en déplacement dans la famille, vous avez oublié votre traitement de 8 h, que pouvez-vous faire ? Ou encore : vous souhaitez annoncer votre séropositivité à votre meilleur ami, comment faites-vous ? « Il faut faire en sorte que le patient choisisse lui-même ses solutions. Nous pouvons en proposer qui ont servi à d’autres quand il n’a pas d’idées, mais c’est à lui de prendre ou de laisser. Nous pouvons aussi élaborer des jeux de rôle », ajoute-t-elle. Des quiz permettent de tester les connaissances du patient sur des thèmes variés : prévention de la transmission, traitement, etc.

Ne pas oublier la prévention habituelle

Un autre outil fréquemment utilisé est l’étoile des « cinq santés » : santé physique, vie affective, équilibre psychologique, vie sociale et vie sexuelle. « Le patient doit s’évaluer entre 0 et 10. Nous pouvons faire un recueil de données lors du diagnostic éducatif puis, quand nous avons fini le cycle, proposer une nouvelle évaluation au patient, ce qui permet de voir les évolutions », détaille Nathalie Demeure.

Pour les personnes de plus de 50 ans, les problématiques du VIH s’ajoutent aux risques cardiovasculaires, à l’ostéoporose et aux cancers. « Nous leur recommandons les dépistages habituels : mammographie et frottis pour les femmes, recherche de papillomavirus pour tous, dépistage de l’hypertension artérielle. Nous abordons aussi les questions de poids et nous nous focalisons sur le tabagisme, car il y a une grosse proportion de fumeurs dans la population VIH, avec des difficultés à arrêter », note le Dr Schlienger.

Le temps de l’évaluation

Le cycle de séances d’ETP se termine par une évaluation pédagogique qui permet au patient de savoir ce qu’il a acquis et ce dont il a encore besoin. « Il faut se garder d’être scolaire dans l’évaluation. Nous disposons de questionnaires vrai/faux, mais c’est aussi une base pour discuter », insiste le Dr Schlienger. L’évaluation peut permettre de recommencer un cycle de séances « lorsque des éléments ne sont pas complètement acquis, pour consolider les connaissances », conclut Nathalie Demeure.

1- Le service des maladies infectieuses de l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, a réalisé 716 séances d’ETP pour 291 patients. En 2015, il en avait réalisé 763 pour 329 patients. L’équipe se compose d’un médecin, de deux infirmières, d’une pharmacienne, d’une psychologue et d’une diététicienne.

ANNONCE DU DIAGNOSTIC ET SUIVI

Une consultation pour tous

Hors programme ETP, une consultation de diagnostic éducatif est proposée pour tout patient qui vient effectuer son bilan annuel à l’hôpital de jour. « C’est l’occasion de faire le point sur comment ils vivent avec le VIH », explique le Dr Isabelle Schlienger. Elle peut avoir lieu après l’annonce de séropositivité en consultation médicale. « Si les recommandations actuelles sont de mettre tous les patients sous traitement sans tarder, en tenant compte de leurs réticences éventuelles, la première chose à faire, c’est d’adresser le patient en consultation d’ETP pour voir comment il vit l’annonce », estime le Dr Schlienger. L’annonce de sa séropositivité est souvent difficile à encaisser pour un patient. « Pour certains, c’est rassurant d’avoir un traitement, mais d’autres sont tellement assommés que l’idée de prendre un traitement régulièrement les bloquent », constate-t-elle. Après l’annonce, « nous proposons au patient un accompagnement pour le diagnostic, et éventuellement pour le début du traitement, afin qu’il soit le plus autonome possible pour gérer sa maladie » souligne Nathalie Demeure, infirmière dans le service des maladies infectieuses.