Entretien avec le Dr Agnès Certain, coordinatrice d’un programme ETP au Smit(1) de l’hôpital Bichat-Claude-Bernard, destiné aux patients vivant avec le VIH, une hépatite et/ou la tuberculose.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pourquoi vous occupez-vous en particulier des patients porteurs du VIH ?
AGNÈS CERTAIN : Je suis impliquée dans leur prise en charge depuis 1986, au début de l’épidémie sida. Ce qui m’intéressait, c’est que tous les intervenants aient un discours cohérent autour du patient, qui présente des besoins dans de nombreuses dimensions : cognitive, psychologique, socioculturelle et spirituelle. C’est la base même de l’éducation thérapeutique que nous avons développée au Smit de l’hôpital Bichat-Claude-Bernard depuis 1993, avec ma collègue psychologue clinicienne, le Dr Zohra Berki. Nous intervenons soit en consultation, soit en hôpital de jour, soit en hospitalisation pour trois ou quatre séances en général. Nous proposons des séances collectives pour des patients qui rencontrent la même problématique : l’annonce de la séropositivité au conjoint ou le désir d’enfant, par exemple.
L’I. M. : Le patient a-t-il besoin d’une prise en charge spécifique en 2017 ?
A. C. : Dans l’inconscient collectif, l’infection par le VIH garde l’image de la maladie stigmatisante des années 1990, qui abîmait les corps et était rapidement mortelle. Aujourd’hui, on peut avoir une vie tout à fait normale mais il faut suivre un traitement de façon rigoureuse et apprendre à faire face aux conséquences sur la vie quotidienne.
L’I. M. : Quels sont les principaux retentissements psychiques de l’infection par le VIH ?
A. C. : Comme pour beaucoup de maladies chroniques, l’annonce du diagnostic constitue un traumatisme. Cela doit être pris en charge, il faut que la personne réussisse à donner du sens à ce qui lui arrive, ce qui lui permet ensuite d’adhérer et de participer à un suivi de qualité. Le mode de transmission, principalement sexuel aujourd’hui, ajoute une composante particulière, car il implique de parler de sujets intimes, souvent tabous, de discrimination liée à des orientations sexuelles, de violences. Les éducateurs doivent donc pouvoir aborder ce sujet et orienter, si besoin, vers des soins psychologiques.
L’I. M. : Quel est l’apport de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) dans ce contexte ?
A. C. : L’important, c’est d’écouter le patient. Un entretien, c’est 80 % d’écoute. Il peut rencontrer des difficultés pour la prise de son traitement mais dans l’immédiat, ce qui le préoccupe, c’est « dois-je avertir mon conjoint que je suis séropositif ? » ou encore « je suis SDF, je ne sais pas où dormir ce soir ». Ensuite, avec lui, on formule les compétences à acquérir et on établit un contrat éducatif.
Le patient doit se sentir en confiance. Pour cela, nous nous sommes formés pour avoir, non seulement, de solides connaissances théoriques, mais aussi des compétences relationnelles et pédagogiques, utiles pour mener l’entretien, quel que soit le sujet(2). Une personne peut nous demander si telle ou telle pratique sexuelle est à risque ou non. Les réponses ne sont pas toujours simples. Telle pratique sexuelle peut comporter un risque infime. Une personne séropositive qui prend rigoureusement son traitement a un risque quasi nul de transmettre le VIH. C’est au patient de faire ses choix, en disposant de toutes les informations, puis en pesant la balance bénéfices/risques.
L’I. M. : L’ETP est-elle efficace ?
A. C. : L’efficacité de l’ETP ne se mesure pas tant en termes de données biologiques ou d’amélioration de l’observance même si, souvent, c’est ainsi que certains jugent de sa pertinence. En fait, nous évaluons, grâce à certains outils, si le patient a acquis et maintenu les compétences qui lui sont utiles, s’il sait s’adapter à de nouvelles situations, par exemple, relationnelles, professionnelles, sociales.
Pour terminer, je voudrais souligner que l’ETP doit prendre aussi sa place en dehors de l’hôpital, dans les réseaux, dans les structures telles que les pôles et maisons de santé, dans les associations et maisons de patients ; les autorités de santé invitent à la créativité et à l’expérimentation, par exemple en proposant de l’ETP à domicile et dans les foyers auprès des populations précaires. Tout cela est très positif !
1- Service des maladies infectieuses et tropicales. En 2016, 850 patients ont bénéficié de l’ETP, soit 17 % de la file active du Smit, qui accueille près de 5 000 patients par an.
2- L’équipe est composée de cinq infirmières assurant chacune une journée par semaine : une psychologue clinicienne deux jours par semaine, un sexologue une demi-journée, deux pharmaciens, chacun assurant une demi-journée par semaine. Tous ont bénéficié d’une formation de base de 40 heures à l’ETP.