L'infirmière Magazine n° 388 du 01/12/2017

 

INTERVIEW : Gilles LAZIMI, Médecin généraliste au centre de santé de Romainville (Seine-Saint-Denis), Membre du Haut conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes, et Maître de conférence en médecine générale à l’université Pierre-et-Marie-Curie à Paris

DOSSIER

Gilles Lazimi forme les jeunes médecins à repérer et prendre en charge les femmes victimes de violences. Mais l’hôpital est à l’image de la société : il tolère souvent ces agissements, protège les agresseurs et délaisse les victimes.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment un médecin généraliste en vient-il à s’intéresser aux violences faites aux femmes ?

GILLES LAZIMI : Dans ma pratique, je rencontrais souvent des difficultés avec certaines femmes : elles ne me parlaient pas, ne m’écoutaient pas et étaient parfois agressives. J’ai peu à peu pris l’habitude de leur demander : « Avez-vous subi des violences verbales, physiques ou sexuelles ? » Cette question n’ébranle pas les femmes. Au contraire, elle ouvre des perspectives. Les victimes sont soulagées de pouvoir mettre des mots sur leur souffrance. Un dialogue se nouait. Cela a changé ma relation thérapeutique avec les patientes et ma prescription.

L’I. M. : Les professionnels de santé sont-ils bien formés pour repérer et prendre en charge ces femmes ?

G. L. : Ceux qui attendent qu’elles en parlent spontanément peuvent attendre longtemps. Mettre des affiches « Parlez-en avant qu’il ne soit trop tard ! » est un premier pas, mais insuffisant. Le slogan est culpabilisant pour les victimes. Ces femmes ont souvent essayé de parler, mais on ne les a pas écoutées. En 2004, j’ai interrogé 100 femmes au centre de santé de Romainville : 1 sur 2 a dit avoir été victime de violence psychologique et verbale, 1 sur 3 de violences physiques et 1 sur 5 de violences sexuelles, et parmi celles-ci, 90 % ne l’avaient pas dit. Seuls 24 % des viols sont signalés aux médecins. Pourquoi si peu ? L’enseignement reste insuffisant, mais cela progresse.

L’I. M. : Les femmes médecins sont aussi victimes de ces violences !

G. L. : C’est ce que révèle l’étude de Valérie Auslender dans le cadre de sa thèse sur les violences faites aux femmes. Sur les 1 472 étudiants en médecine interrogés, 48,7 % ont été confrontés à des propos sexistes, 3,8 % à du harcèlement sexuel, 2 % à des violences sexuelles. Il faut lutter contre une tolérance de la société envers ces violences, y compris à l’hôpital. C’est un milieu fermé, hiérarchisé, où on doit supporter la maladie, la mort… Y règne l’« esprit carabin », qui dégrade l’image de la femme. Dans certaines salles de garde ou blocs, les discussions sont émaillées de blagues sexistes. Sans parler des fresques à caractère pornographique. Défendre cet « esprit carabin », c’est défendre une culture du viol, qui encourage le passage à l’acte.

L’I. M. : Dans « Omerta à l’hôpital », Valérie Auslender a recueilli une majorité de témoignages d’ESI…

G. L. : Les IDE en cours d’étude sont des proies faciles. Elles évoluent dans un milieu presque féodal, où règnent des chefs, souvent des hommes. Il faut que ce pouvoir soit déstabilisé pour que la parole puisse se libérer. Aujourd’hui, ces femmes ne sont pas protégées. Porter plainte est un chemin de croix. À l’hôpital, on considère encore qu’elles sont responsables : elles ont provoqué, elles manquent d’humour. C’est scandaleux ! Les équipes se taisent alors que tout le monde sait. Les hôpitaux doivent prendre leurs responsabilités : aider les victimes à parler, les protéger, mettre hors d’état de nuire les agresseurs. Et s’ils ne le font pas, la justice doit les condamner.

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