L’INVITÉ
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Celle-là, je ne l’attendais pas. Pas si vite et pas dans cet endroit. J’étais encore étudiante et c’était mon premier jour de stage. En psy. J’étais cette étudiante modèle, de celles qui envoient un message de sérieux rien qu’en décryptant leur tenue : blanc immaculé, pantalon et blouse fraîchement repassés, crocs neuves et poches pleines de gadgets colorés (doudous ? objets transitionnels ?) qui rassurent : montre silicone accrochée à ma poche, crayon 4 couleurs, carnet de notes, pince kocher, petits ciseaux et mini calculette. J’avais même des fiches mémos pour mieux feindre de tout savoir… Elle, elle est arrivée à l’arrache dans le vestiaire. Elle a enfilé une blouse d’un blanc douteux qui semblait l’attendre, pliée en boule, au fond de son casier défoncé. Puis elle m’a regardée et, contre toute attente, a eu ce petit sourire bienveillant avant de me saluer.
- « On n’est pas des camelots, ma chérie ! T’es toute pimpante mais ton bazar, tu vas éviter… »
J’aurais aimé faire partie de ces filles cools qui balancent du « What da fuck ? » au premier affront. Au lieu de ça, je peinai à balbutier un inaudible « Hein ? »
- « Ton bazar, là, reprit-elle en désignant mon attirail de future IDE, tout ce que tu trimballes dans ta blouse, tu oublies. Tiens, par exemple, ta pince kocher - c’est bien comme ça que ça s’appelle - tu la laisses au vestiaire. Par contre, tu ne montes jamais en service sans ton appareil psychique. » Le temps d’un instant, je faillis répondre quelque chose comme : « Non mais en fait, l’Ifsi nous a pas dit qu’il fallait un appareil… ça peut attendre demain ? » Heureusement, mes neuromédiateurs anti-bêtises intervinrent à temps, me préservant du statut peu enviable d’étudiante la plus gourdasse de l’univers.
- « Tes outils, là, c’est pour exécuter. Ton appareil là-haut, dit-elle en tapotant son crâne de son index, il te sert à penser. Et ici, tu vas d’abord penser avant d’exécuter. Penser, observer, noter, supposer, imaginer, évaluer, discuter, papoter, projeter, transférer, peut-être même un peu interpréter. Mais crois-moi, tu ne vas jamais clamper… »
Ce fut mon premier enseignement et j’eus la chance de le recevoir à peine arrivée. Quelques semaines plus tard, je compris que les pathologies psy n’étaient pas contagieuses et que le port de la tenue infirmière que j’arborais jusqu’alors avec fierté, pouvait aussi être contesté. Oui, moi, l’exécutante, je pensais à présent… grâce à ce leitmotiv inscrit dans mon ADN : « Jamais sans mon appareil psychique ».