L'infirmière Magazine n° 388 du 01/12/2017

 

FORMATION

PRÉVENTION

Claire Manicot  

L’enjeu du dépistage est d’identifier les 20 000 Français séropositifs qui s’ignorent et de leur proposer un traitement. Objectifs : améliorer leur espérance de vie et limiter la propagation de l’épidémie.

1. QUAND DÉPISTER ?

Diagnostiquer les personnes vivant avec le VIH le plus tôt possible, afin de leur proposer un traitement antirétroviral avant l’apparition des symptômes, c’est l’objectif du dépistage en France. D’un traitement précoce, le patient peut attendre une espérance de vie quasi normale. À l’échelle de la collectivité, le bénéfice est important car les traitements actuels permettent d’obtenir une charge virale indétectable chez de nombreux patients, ce qui les rend non contaminants. En 2009, la Haute Autorité de santé (HAS) recommandait un dépistage « au moins une fois dans la vie » à la population générale âgée de 15 à 70 ans, et un dépistage annuel aux personnes à risque. En mars 2017, à la lumière des nouvelles données épidémiologiques (lire p. 37), elle a réévalué la stratégie en France et réactualisé ses recommandations, en insistant sur la nécessité d’un dépistage accru chez les personnes à risque. Le recours au dépistage, à l’initiative des personnes, devrait être par ailleurs encouragé et facilité.

Enfin, le dépistage s’intègre dans une démarche globale de prévention et, en fonction des facteurs de risque, on pourra proposer dans le même temps la recherche des hépatites et d’autres infections sexuellement transmissibles…

→ Un test de dépistage doit systématiquement être proposé :

• Après une prise de risque : rapport sexuel non protégé (partenaire occasionnel ou dont la sérologie au VIH n’est pas connue) ; accident de préservatif ; partage d’une seringue ou de matériel d’injection.

• Dans les situations suivantes : chez un couple stable, pour arrêter d’utiliser le préservatif ; grossesse ou projet de grossesse ; changement dans la vie affective (rupture, séparation, divorce) ; diagnostic d’une infection sexuellement transmissible (IST), d’une hépatite virale, d’une tuberculose ; interruption volontaire de grossesse ; viol ; incarcération.

→ Régulièrement en cas de haut risque d’exposition :

• Les personnes appartenant à des groupes dits à haut risque d’exposition sont invitées à se faire dépister tous les ans (sauf si elles utilisent le préservatif ou vivent en couple stable) :

– utilisateurs de drogues par injection (UDI) ;

– personnes originaires d’Afrique sub-saharienne, d’Europe de l’Est, des Caraïbes et des départements français d’Amérique.

• Les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH). Pour cette catégorie, considérée comme la plus à risque, on recommande même un dépistage tous les trois à six mois.

2. LES TESTS DE DÉPISTAGE

Il faut distinguer les tests conventionnels, réalisés par des professionnels de santé, et les tests rapides, qui peuvent être réalisés par des non-professionnels dans certaines conditions. L’arrivée de ces derniers sur le marché permet de proposer un dépistage du VIH à un public plus large, plus vulnérable. L’instantanéité des résultats évite les situations fréquentes où des usagers ayant procédé à un dépistage classique ne viennent jamais récupérer leurs résultats et ignorent, le cas échéant, leur séropositivité.

Quels que soient les tests utilisés, ils doivent être pratiqués à distance de la prise de risque. Il faudra attendre le délai de séroconversion pour que l’infection soit détectée dans l’organisme, six semaines pour les examens de biologie médicale, trois mois pour les tests rapides.

Les examens de biologie médicale

→ Le test conventionnel de dépistage est un prélèvement veineux sanguin, réalisé par une infirmière et interprété en laboratoire d’analyses médicales. Quand il est prescrit par un médecin de ville, il est remboursé à 100 % par l’Assurance maladie. Il est gratuit et anonyme dans les centres de dépistage, tel le Cegidd (Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic). Le résultat, obtenu généralement en quelques jours, doit être communiqué par le médecin prescripteur. Il peut aussi être fait directement en laboratoire, à l’initiative de la personne, mais sera alors payant.

Le Trod

→ Le GG. Le test Elisa de 4e génération GG détecte les anticorps anti-VIH-1 et anti-VIH-2. Il est dit combiné car il détecte l’antigène p 24 du virus, permettant de dépister les infections récentes. Un test négatif indique que la personne n’est pas contaminée, à condition de ne pas avoir pris de risques dans les six dernières semaines. En cas de résultat positif, le biologiste réalise un test Western Blot GG sur le même échantillon sanguin, afin de confirmer le diagnostic et de différencier une infection à VIH-1 ou VIH-2.

Le test rapide d’orientation diagnostique (Trod) détecte les anticorps anti-VIH-1 et anti-VIH-2 et est proposé le plus souvent dans des centres de dépistage ou par des associations habilitées. Il peut être effectué par un personnel non médical qui a reçu une formation spécifique. La bonne réalisation du test repose sur le respect des conditions d’hygiène et de la notice d’utilisation. Selon le modèle, le test est réalisé à partir d’un échantillon de salive, d’un prélèvement capillaire (ou parfois de plasma prélevé par ponction veineuse). L’échantillon est mis en contact avec des réactifs et le résultat se lit dans les minutes qui suivent (voire trente à quarante minutes selon les modèles). Un test négatif indique que la personne n’est pas contaminée, à condition de ne pas avoir pris de risques dans les trois derniers mois. Il existe néanmoins une marge d’erreur pouvant se traduire par un faux négatif ou un faux positif. Tout test capillaire est validé par un test sanguin.

À noter que les Trod se sont améliorés, en termes d’ergonomie et de packaging, ont gagné en simplicité de manipulation et en fiabilité, ainsi qu’en temps de réponse. De fait, l’objectif est de toucher un large public pour le dépistage.

L’autotest

Les autotests de dépistage du VIH (ADVIH) peuvent être achetés en pharmacie d’officine. Ils se présentent en kit comprenant notice et matériel nécessaire. Après s’être piqué le bout des doigts, l’usager devra prélever une goutte de sang qu’il mettra en contact avec un réactif. Il obtiendra son résultat en une trentaine de minutes. Un test négatif indique que la personne n’est pas contaminée, à condition de ne pas avoir pris de risques dans les trois derniers mois.

3. LES ACTEURS DU DÉPISTAGE

Les médecins libéraux

À l’apparition des premiers tests, en 1985, le dépistage volontaire à l’initiative des personnes a été privilégié dans des centres de dépistage anonymes et gratuits (Cedag). Il a fallu attendre les recommandations de la HAS de 2009 pour faire des médecins généralistes des acteurs essentiels du dépistage. Toutefois, la majorité d’entre eux ne s’est pas investie dans cette mission, c’est ce que le baromètre santé?2009 dévoile. À la question « La dernière fois que vous avez prescrit un test de dépistage VIH, cela s’est fait à la demande du patient, sur votre initiative, ou dans le cadre d’un protocole de dépistage ? », plus de la moitié des médecins déclarent que c’était à la demande du patient. Seuls 18 % des praticiens sont des partisans actifs du dépistage auprès de la population générale et de manière systématique auprès des populations à risque. La HAS recommande aux médecins de ville de renforcer leur action auprès des hommes, étant donné leur moindre recours au système de soins, ainsi que dans les régions à forte prévalence de VIH et dans lesquelles l’épidémie cachée est importante (Île-de-France, Provences-Alpes-Côte-d’Azur, départements français d’outre-mer). Quant aux médecins d’autres spécialités (dermato, gynéco), ils sont invités à proposer à tout patient un dépistage. En théorie, ils pourraient participer au développement des Trod mais ils sont freinés par l’absence de cotation d’acte.

Les Cegidd

Les Cegidd ont été mis en place à partir de janvier 2016 pour fusionner les Cedag avec les Ciddist (centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic). Cette réorganisation du dispositif était motivée par la nécessité de rendre plus visible l’offre de soins et d’offrir une prise en charge globale de la santé sexuelle. Ils proposent un dépistage gratuit de l’infection au VIH mais aussi des hépatites et des autres infections sexuellement transmissibles (chlamydia, syphilis…). Enfin, leur nouvelle mission est le traitement des IST et la prévention des autres risques de la sexualité : contraception, violences, troubles et dysfonctionnements sexuels et vaccination (lire p. 41).

Les Cegidd sont répartis dans tout le territoire français, on retrouvera leurs coordonnées sur le site de Sida info service par département mais il faut retenir leur très grande hétérogénéité. Certains Cegidd sont intégrés à des établissements hospitaliers, souvent au sein de services de maladies infectieuses, d’autres dépendent des départements ou sont des structures associatives. On trouve donc des centres pouvant accueillir toute la semaine pour un dépistage, alors que d’autres réservent plusieurs plages horaires dans la semaine, voire une seule matinée.

Les services d’urgence et autres structures de soin

Lors d’une admission dans un service d’urgence, un Trod est souvent réalisé pour connaître la sérologie avant trois mois. Cela permet de faire un état des lieux, d’amorcer la discussion, d’évaluer les connaissances du patient, ses craintes, et de l’orienter pour renouveler le test. Plus largement, la HAS préconise qu’un test de dépistage puisse être réalisé sur proposition d’un professionnel ou spontanément par tout individu, lors d’un séjour hospitalier, d’une consultation en ambulatoire, d’une visite préventive pour les étudiants…

Associations, CPEF…

Des associations de lutte contre le sida, de solidarité, ou d’usagers de drogues peuvent être habilitées à pratiquer des dépistages rapides au moyen du dispositif Trod, moyennant une formation adéquate. Cela leur permet d’intervenir lors d’actions hors les murs, afin d’aller à la rencontre des populations exposées. Enfin, certains centres de planification et d’éducation (CPEF) ont vu leur offre de dépistage gratuit s’élargir à toute la population.

Les pharmacies d’officine

Un autotest est disponible dans les pharmacies françaises depuis septembre 2015 et coûte entre 18 et 30 €, mais pourra intéresser un certain public, des personnes embarrassées de devoir parler de leur vie sexuelle ou ne souhaitant pas prendre le risque d’être reconnues dans un centre.

Avec le soutien documentaire du Centre régional d’information et de prévention du sida (CRIPS) PACA et du CRIPS Île-de-France.

TÉMOIGNAGE

Au 190, la prévention diversifiée

La prévention de l’infection par VIH change. La promotion du préservatif n’est plus la seule alternative pour les populations les plus exposées.

À Paris, le 190 a ouvert en 2010. Ce centre de santé sexuelle, premier de ce type créé en France, intègre un Cegidd. « Nous avons développé une approche de “prévention par le soin” qui s’adresse à un public particulièrement exposé au VIH et aux IST. Nos patients sont pour 98 % des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes », explique Marc Frémondière, cadre infirmier au 190. Marine Plathey, infirmière dans le même centre, détaille : « Notre équipe est composée de cinq médecins généralistes, d’un psycho-sexologue, d’un psychiatre, d’un addictologue, d’un dermatologue, de trois infirmiers, d’un coordinateur et de trois secrétaires médicaux. » Les infirmiers y réalisent des soins techniques (prélèvements sanguins et locaux, injections d’antibiotiques ou vaccins) mais leur rôle principal est « l’accompagnement vers l’autonomie, en soutenant les efforts de prévention et d’observance, en adéquation avec les modes de vie sexuelle de chacun, sans préjugé et sans jugement », poursuit l’infirmière. Le 190 s’inscrit dans le cadre d’une prévention diversifiée, qui associe à l’utilisation du préservatif des dépistages récurrents (VIH, hépatites, IST) et le traitement des IST. « S’ajoutent trois stratégies : le Tasp (1) (traitement des personnes séropositives), le TPE (traitement post-exposition) et la PrEP(2) (traitement des personnes séronégatives ayant des conduites à risque), précise Marc Frémondière. Avec cet arsenal, nous espérons tendre vers l’objectif de l’ONU Sida à l’aube de 2030 : la fin de l’épidémie. »

1- Tasp, treatment as prevention.

2- PrEP, prophylaxie pré-exposition.

EN CHIFFRES

Tests de dépistage VIH réalisés en 2015 :

→ 3,45 millions de tests classiques (sérologie en laboratoire) chez 3,05 millions de personnes.

→ 62 200 Trod.

→ 90 000 Autotest (entre septembre 2015 et septembre 2016).

CONSEILS AU PATIENT

Face à une situation à risque

« Je n’ai pas mis de préservatif, j’ai peur d’avoir contracté le VIH, que dois-je faire ? »

1 Envisager un TPE (traitement post-exposition)

Dans les quarante-huit heures : aller dans un service d’urgence ou directement auprès d’un médecin référent. Après évaluation du risque de transmission du VIH, le médecin pourra prescrire ou non un traitement post-exposition (TPE). En parallèle, on s’efforcera de rechercher le statut sérologique du partenaire.

2 Faire un test de dépistage

Le dépistage n’est donc pas immédiat. Le résultat porte sur la situation du patient le jour même, et ne prend pas en compte la prise de risque. Il faudra attendre le délai de séroconversion pour que l’infection soit détectée dans l’organisme, délai différent selon les tests.

→ Soit six semaines après la prise de risque

Pour un test classique (Elisa), trois possibilités :

– s’adresser à son médecin traitant qui fera une ordonnance. Le test, remboursé à 100 %, sera réalisé dans un laboratoire d’analyses biologiques qui enverra les résultats au médecin ;

– s’adresser directement à un laboratoire d’analyses biologiques, sans ordonnance. Le test est payant (environ 15 €) et le résultat, s’il est positif, doit être remis par le biologiste ;

– se rendre dans un Cegidd, centre anonyme et gratuit, quels que soient la situation et l’âge. Pour connaître le centre le plus proche, consulter le site www.sida-info-service.org

→ Soit trois mois après la prise de risque

– Pour un test rapide, s’adresser à un Cegidd ou à une association. Le site de Sida info service mentionne leurs coordonnées partout en France sur sa page « Trod » ;

– Pour un autotest, s’adresser en pharmacie.

NB : les délais mentionnés ici sont ceux indiqués par la HAS, appliqués par les hôpitaux et les Cegidd. Le site Sida info service mentionne des délais plus courts. D’autres tests, utilisés par des associations françaises, existent mais n’ont pas encore d’AMM française.

SUIVI BIOLOGIQUE

APRÈS UNE EXPOSITION SEXUELLE

Un suivi sérologique doit être réalisé après tout accident d’exposition sexuelle et au sang (AES). Extrait des recommandations du groupe d’experts sous la direction du Pr Philippe Morlat.

Ce suivi sérologique sera adapté en fonction du statut viral de la personne (VIH, VHB, VHC), de l’âge, de la mise en place d’un traitement post-exposition (TPE), du statut viral du sujet source. Les recommandations du groupe d’experts 2017 :

VIH

Dans tous les cas, une sérologie VIH est réalisée dans les premiers jours chez la personne exposée pour dépister une infection antérieure méconnue. Si la personne source est :

– séronégative pour le VIH : pas de surveillance ultérieure, sauf s’il existe un risque de primo-infection en cours chez la personne source ;

– infectée par le VIH et présente une charge virale indétectable (< 50 copies/ml) ; pas de surveillance ultérieure.

– infectée par le VIH et présente une charge virale détectable ou inconnue, ou si son statut VIH est inconnu : sérologie VIH à six semaines, répétée à douze semaines uniquement en cas de TPE.

VHB

En l’absence de protection (Ac anti-HBs < 10 mUI/ml et absence de titre > 100mUI/ml dans les antécédents) et si le patient source est porteur du VHB (Ag HBs+) ou de statut inconnu, le suivi reposera sur la mesure de l’ALAT et surtout des marqueurs du VHB (Ac anti-HBc et anti-HBs, Ag HBs) à douze semaines. Si vaccination effectuée après l’exposition : contrôle des anti-HBs un mois après la fin du schéma vaccinal.

VHC

Sérologie VHC initiale chez toutes les personnes exposées dans le cadre de la politique de dépistage associé du VIH et du VHC. Un suivi spécifique (PCr VHC à S6, sérologie VHC à S12) n’est proposé que chez les HSH ou lorsque le/la partenaire est virémique pour le VHC (Arn VHC plasmatique détectable).

Autres IST

Dans le contexte d’une exposition sexuelle : la réalisation d’une sérologie syphilis est justifiée à S0 et à S6. Au bilan initial et au cours du suivi (S6), une PCr gonocoque et chlamydia (PCr duplex) sera réalisée sur le premier jet d’urines et sur d’autres sites (anus, pharynx) chez les personnes les plus à risque et chez lesquelles un traitement spécifique sera justifié: femme < 25 ans, homme < 30 ans, HSH ou sujet symptomatique.

SUIVI BIOLOGIQUE APRÈS UNE EXPOSITION SEXUELLESource : « Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH, prise en charge des accidents d’exposition sexuelle et au sang (AES) chez l’adulte et l’enfant », Recommandations du groupe d’experts, sept. 2017.