L'infirmière Magazine n° 388 du 01/12/2017

 

MOBILISATION

DOSSIER

Ministère de la santé, AP-HP, Fédération hospitalière de France, Ordre des médecins et Ordre infirmier… Certains ont pris des engagements pour prévenir, repérer et sanctionner les violences sexuelles à l’hôpital. De bonnes pratiques ont même émergé.

Preuve que les violences sexuelles sont un sujet majeur dans le secteur de la santé, les principales institutions ont rapidement réagi à l’affaire Weinstein et au déferlement de témoignages de femmes, souvent anonymes, sur les réseaux sociaux.

→ Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a confié, lors d’une interview au Journal du dimanche, le 22 octobre, avoir été confrontée à des propos disgracieux, au cours de ses précédentes fonctions : « Comme beaucoup de femmes, j’ai eu affaire à des comportements très déplacés dans mon milieu professionnel. Des chefs de service qui me disaient “Viens t’asseoir sur mes genoux”. Des choses invraisemblables… qui faisaient rire tout le monde. La libération de la parole fait prendre conscience qu’une lutte quotidienne se joue dans l’espace public et professionnel. Une femme qui réagit à un propos sexiste n’est jamais prise au sérieux. J’attends que les hommes se rebellent publiquement, à nos côtés. »

→ Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a reconnu, lors d’une interview à France Inter le 26 octobre, qu’il existe bien un « problème » de harcèlement sexuel à l’hôpital. Au journal Le Monde trois jours plus tard, il a précisé que l’existence de tels comportements est « impossible à nier », en raison de la multitude de témoignages, mais « difficile à mesurer », à cause du faible nombre de signalements ou de plaintes (moins d’une dizaine par an à l’AP-HP). Il indique cependant avoir suspendu, début novembre, un praticien pour harcèlement sexuel, après le signalement d’une étudiante : « L’administration que je dirige n’est pas inerte face aux plaintes. » Quant aux présidents de la communauté médiale, ils prennent « le sujet au sérieux », assure-t-il. Le directeur général détaille également un plan d’action. Les signalements seront « facilités » au niveau des commissions de vie hospitalière et des directions des ressources humaines. Les préconisations du défenseur des droits seront diffusées pour que les victimes sachent à qui s’adresser. Et, signale l’AP-HP, « à chaque fois qu’un signalement nous est remonté, une instruction est mise en place, et une sanction est prononcée si les faits sont établis. En 2014, le conseil de discipline s’est prononcé sur le cas d’un agent reconnu pénalement coupable d’avoir installé une caméra vidéo dans les toilettes du service. La sanction pénale a été de quatre mois d’emprisonnement avec sursis total, deux ans de mise à l’épreuve et obligation de soins, et la sanction disciplinaire a été d’un an d’exclusion temporaire de fonctions dont six mois de sursis. »(1)

Martin Hirsch souhaite aussi que soit tenu « un discours qui ne soit pas celui de la tolérance, de la légèreté ou du fatalisme » et a posé des limites à la « culture carabine » : « Savoir être drôle, savoir utiliser la dérision, mais pas abuser d’un pouvoir de domination. » Et il pose également « la question de savoir s’il faut repeindre les salles de garde, dont les fresques doivent être considérées comme un témoignage de pratiques révolues ».

→ La Fédération hospitalière de France (FHF), la Conférence des commissions médicales d’établissement et la Conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et handicapées, ont fermement condamné, dans un communiqué diffusé le 6 novembre, tout agissement sexiste ou acte de harcèlement sexuel. Et font part de leur « détermination à prévenir et à sanctionner ces pratiques qui, au regard des témoignages, ont existé et semblent persister au sein de la communauté hospitalière et médico-sociale ». Ils tiennent à faire savoir « qu’ils accompagneront les victimes dans leurs démarches de signalement et leur apporteront le soutien institutionnel qu’elles sont en droit d’attendre ». « Nous manquons de données sur les violences sexuelles », admet Marie-Gabrielle Vaissière, adjointe à la responsable des RH de la FHF. Seul l’Observatoire national des violences en milieu de santé donne quelques chiffres sur des agressions et exhibitions sexuelles ou des viols, mais sur la base de déclarations volontaires des établissements. Et seuls 3 % des auteurs des violences déclarées font partie du personnel. « Le sujet n’est pas non plus abordé dans les baromètres sociaux », regrette-t-elle. La FHF est signataire du protocole du 8 mars 2013 sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique. Son axe n° 4 prévoit de « lutter contre le harcèlement sexuel », et rappelle les devoirs de protection de l’employeur (lire ci-dessous).

→ Certains établissements ont développé de bonnes pratiques, à l’image du CH de Thuirs, dans les Pyrénées-Orientales, qui mène des actions de prévention à l’encontre des agressions sexistes. « C’est un sujet difficile à aborder, car il peut être clivant, explique Sophie Barre, sa directrice adjointe. Nous considérons qu’il y a du sexisme ordinaire à l’hôpital, comme partout. Nous communiquons des messages : “Une main aux fesses, c’est une agression sexuelle”, etc. Et mettons à disposition des affiches, des autocollants… Nous avons aussi écrit aux agents pour leur expliquer la démarche à suivre en cas de violence sexuelle. Ils peuvent saisir le Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT), qui comprend une cellule de lutte contre les discriminations. »

→ L’Ordre des médecins a dénoncé, le 27 octobre, « sans réserve, tout harcèlement sexuel dans le milieu médical ». Et rappelle qu’il est « en capacité d’entendre les victimes et de sanctionner les auteurs dès lors qu’ils sont inscrits à l’Ordre ». Les victimes doivent porter plainte devant les conseils départementaux ou les chambres disciplinaires ordinales. L’Ordre mène aussi une réflexion sur le harcèlement sexuel dans le milieu médical, dont les conclusions seront rendues « prochainement ».

→ L’Ordre national des infirmiers n’a pas communiqué sur le sujet, mais son secrétaire général, Karim Mameri, assure que son institution est mobilisée. Et encourage les IDE victimes à le saisir : « Elles n’y pensent pas toujours. Mais notre service juridique accompagne les IDE victimes de violences. Si elles portent plainte, nous sommes partie civile à leurs côtés. » Il peut aussi s’autosaisir lorsqu’il prend connaissance d’une affaire de violence sexuelle impliquant un/une IDE, auteur ou victime de violences. « Nous avons ainsi appris récemment qu’un infirmier a agressé sexuellement une élève. Nous avons retrouvé la victime. Elle a porté plainte et nous nous sommes constitués partie civile. Nous avons convoqué l’infirmier, une plainte est en cours devant la chambre disciplinaire. Nous regrettons que l’établissement se soit contenté de le mettre à pied, car il peut exercer ailleurs. Il faut sanctionner d’un point de vue disciplinaire pour que les agresseurs sexuels ne récidivent pas, au moins dans l’exercice de leurs fonctions. »

1 - Retrouvez sur espaceinfirmier.fr l’intégralité de la réponse de l’AP-HP sur les suites données à ces signalements.

CONTACTS UTILES

Le défenseur des droits reçoit les témoignages des personnes victimes de violences sexuelles et dispose de pouvoirs d’enquête et d’action.

www.defenseur-desdroits.fr

09 69 39 00 00

L’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) aide les victimes dans leurs démarches.

www.avft.org

01 45 84 24 24

JURIDIQUE

DROITS ET DEVOIRS

En matière de viol ou d’agression et de harcèlement sexuel au travail, les textes de loi déterminent avec précision les droits des victimes. Mais également les devoirs de l’employeur public.

Le harcèlement sexuel est un délit. Il se caractérise par le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité, en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Est aussi assimilée au harcèlement sexuel toute forme de pression grave (même non répétée) dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte sexuel, au profit de l’auteur des faits ou d’un tiers.

Les agressions sexuelles, autres que le viol, sont des délits. Elles sont définies comme « un acte à caractère sexuel sans pénétration commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise ». Il peut s’agir, par exemple, de caresses ou d’attouchements de nature sexuelle. La peine encourue est de cinq ans et de 75 000 € d’amende.

Le viol est un crime. Il est défini par le code pénal comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». La peine encourue est de quinze ans d’emprisonnement.

Suivant la loi du 13 juillet 1983, l’employeur public a l’interdiction de prendre des sanctions à l’encontre d’une victime de harcèlement sexuel ou à l’encontre d’une personne ayant relaté ou témoigné d’agissements de harcèlement sexuel. L’agent public a droit à la protection fonctionnelle, qui permet notamment de prendre en charge les honoraires d’avocat.

Au sein de l’établissement, il existe plusieurs voies de signalement. Avant toute démarche, les associations conseillent d’avertir les proches et les collègues, et de rechercher leur soutien. Puis, il faut signaler les faits par la voie hiérarchique, du cadre direct à la direction des soins. La direction des ressources humaines est un autre interlocuteur possible. Il est également utile de saisir la médecine du travail. L’autre voie de signalement est syndicale : de l’organisation syndicale de votre choix au Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail.