L’Ordre national des infirmiers est le plus récent des ordres des professionnels de santé. Tous les infirmiers doivent s’y inscrire. À quoi sert-il ? Quel est son rôle ? Qu’apporte-t-il à la profession ? Décryptage.
L’Ordre national des infirmiers (ONI) a été instauré par la loi n° 2006-1668 du 21 décembre 2006. Il regroupe « obligatoirement tous les infirmiers habilités à exercer leur profession en France, à l’exception de ceux régis par le statut général des militaires » (art. L. 4312-1). En clair, tous les infirmiers, quel que soit leur statut, doivent s’inscrire au tableau de l’Ordre. Sa principale mission est de veiller « au maintien des principes d’éthique, de moralité, de probité et de compétence indispensables à l’exercice de la profession d’infirmier et à l’observation, par tous ses membres, des devoirs professionnels ainsi que des règles édictées par le code de déontologie de la profession d’infirmier ». L’ONI assure ainsi « la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession d’infirmier » et en assure aussi la promotion (art. L. 4312-2).
• L’Ordre étudie toutes les questions ou projets qui concernent l’exercice de la profession d’infirmier, notamment ceux soumis par le ministère de la Santé. Il s’agit de projets de décret, d’arrêté ou de bonnes pratiques. La loi précise que « pour ce faire, [l’Ordre] peut consulter les associations professionnelles, les syndicats, les associations d’étudiants en soins infirmiers et toute association agréée d’usagers du système de santé ».
• L’Ordre peut aussi émettre des avis et des recommandations. Ainsi, il a pris position sur l’exercice des infirmiers anesthésistes diplômés d’État en novembre 2016 et sur la pratique avancée infirmière en avril 2017. L’institution ordinale a également rédigé une Charte relative à la création de sites internet par les infirmiers et émis des recommandations sur les plateformes de services en ligne.
• Surtout, il a élaboré le code de déontologie de la profession. Publie le 27 novembre 2016 au Journal officiel, il « comprend l’ensemble des droits et devoirs des infirmiers, quels que soient leurs modes ou lieux d’exercice », comme le précise l’institution. Il aborde également les relations avec les patients, les autres infirmiers et professionnels de santé.
Autre point important : son rôle d’information. Selon la loi, l’Ordre doit participer, avec la HAS, à la diffusion auprès des professionnels des règles de bonnes pratiques en soins infirmiers et en organiser l’évaluation.
• Mais l’Ordre communique aussi sur les conditions d’exercice, les règles professionnelles, les compétences et les messages de santé publique (message de l’ANSM lors de la crise de la pilule de 3e génération en 2012, guide sur les risques d’emprise des sectes dans le secteur de la santé).
• L’Ordre est présent pour répondre aux questions juridiques des infirmiers libéraux (règles d’installation et expérience professionnelle, relations entre confrères, statut de l’infirmier, modèles de contrats) ou salariés. Les professionnels peuvent s’adresser au conseil départemental (voir encadré), qui répond dans la limite de ses compétences. Au-delà, la question est transmise au service juridique du conseil national. L’objectif est de fournir à l’infirmier le plus d’informations possible, y compris à propos du code du travail. L’Ordre peut aussi orienter le professionnel vers d’autres interlocuteurs (syndicats…). Les infirmiers peuvent enfin contacter la permanence téléphonique tous les jeudi après-midi.
• En revanche, l’Ordre ne s’occupe pas des aspects économiques relatifs à la tarification des actes ou des rémunérations des infirmiers salariés. Pour résumer, il défend la profession mais sous l’angle du respect de la déontologie, de l’indépendance et des devoirs professionnels, ainsi que des compétences.
Il est donc logique que l’Ordre intervienne lorsque des infirmiers ne respectent pas la déontologie et les règles professionnelles. Des différends peuvent surgir entre un infirmier et un patient ou un autre infirmier. Ils peuvent être réglés à l’amiable lors d’une réunion de conciliation au conseil départemental.
• Cette procédure de conciliation est obligatoire. Dans environ 40 % des cas, elle aboutit. Sinon, le patient ou le professionnel peut déposer une plainte auprès de la chambre disciplinaire régionale, dite de 1re instance. « Dans 80 % des cas, il s’agit de problèmes de non-respect du contrat, de publicité, de séparation qui ne respecte pas la confraternité, de dénigrement. Dans 15 % des cas, ce sont des patients qui portent plainte pour défaut de continuité des soins, mauvais traitements ou soins non réalisés à domicile », détaille Christophe Roman, vice-président de l’Ordre et assesseur à la Chambre disciplinaire nationale. Si la chambre de 1re instance est présidée par un magistrat, les assesseurs sont infirmiers (conseillers ordinaux ou ex-conseillers).
• Un assesseur est désigné comme rapporteur pour instruire la plainte. Il recueille les éléments des deux parties (plaignant et défenseur) et peut demander des pièces en plus. À l’audience, il présente son rapport avant que les deux parties soient entendues. Après délibération, la chambre disciplinaire rend sa décision.
• Différentes sanctions sont appliquées selon la faute : l’avertissement, le blâme, l’interdiction temporaire d’exercice (trois ans maximum) avec ou sans sursis, et la radiation du tableau (interdiction définitive). Si une partie n’approuve pas la décision, elle peut faire appel auprès de la chambre disciplinaire nationale, présidée par un conseiller d’État. « Les chambres disciplinaires permettent aux infirmiers d’être jugés par des pairs, qui connaissent la profession et les pratiques. C’est un avantage indéniable pour les infirmiers », déclare Christophe Roman.
• En revanche, les plaintes concernant les infirmiers de la fonction publique hospitalière sont instruites par le conseil de discipline de l’établissement. « Celui-ci nous transmet la sanction éventuelle. Il n’y a pas de double peine, mais nous devons répercuter la sanction si l’infirmier veut exercer, par exemple, en libéral », précise Christophe Roman. Enfin, depuis 2015, les chambres disciplinaires disposent d’une section des assurances sociales qui jugent des fautes, abus et fraudes de Sécurité sociale, et peut donc sanctionner les infirmiers pour ces faits.
L’Ordre joue donc un rôle important. Et les chantiers ne manquent pas. « Nous espérons l’entrée des infirmiers dans le RPPS (Répertoire partagé des professionnels du système de santé) fin 2018 », explique Didier Borniche, ex-président de l’Ordre.
• L’institution ordinale deviendrait ainsi un guichet unique pour que chaque infirmier dispose d’un numéro de RPPS, qui remplacera le numéro Adeli attribué par l’ARS et celui de l’Ordre. Ce changement devrait aussi faciliter l’interconnexion avec les services de l’État pour la délivrance de la carte professionnelle de santé (CPS). Ce qui permettra à l’ONI de connaître le nombre exact d’infirmiers exerçant en France et de disposer d’atlas démographiques comme les médecins.
• Autre chantier : la pré-inscription en ligne. Les employeurs pourront ainsi communiquer tous les trois ans à l’Ordre leur fichier intégral d’infirmiers salariés. Le croisement de ces données avec le tableau de l’ONI permettra aux infirmiers salariés encore non inscrits de régulariser leur situation vis-à-vis de l’Ordre. Celui-ci prévoit aussi, pour l’été 2018, un espace personnel sur le portail de l’institution et l’inscription en ligne. La mise en œuvre de la pratique avancée, la refonte des actes infirmiers et l’universitarisation de la formation des infirmiers sont aussi au programme de l’institution.
Le formulaire d’inscription à l’Ordre national des infirmiers est disponible sur son site : www.ordre-infirmiers.fr.
→ L’Ordre fonctionne à trois niveaux. D’abord, 56 conseils départementaux en métropole et en outre-mer. Les conseillers départementaux sont élus par tous les infirmiers inscrits à l’Ordre pour six ans ; ils sont entre 10 et 18 par conseil ; chaque conseil comporte trois collèges : secteur libéral, fonction publique, secteur privé. Puis, 14 conseils régionaux, élus par les conseillers départementaux pour six ans ; et trois collèges. Enfin, le conseil national de l’Ordre : les 56 membres titulaires (18 suppléants) sont élus pour six ans par les 200 conseillers régionaux titulaires.
Pourquoi était-il essentiel que la profession se dote d’un code de déontologie ?
• La déontologie est la base de notre exercice et des règles qui régissent nos relations avec les patients et les autres professionnels de santé. Le code de santé publique datait de 1993. Depuis, notre exercice a évolué. Il fallait mettre ces règles à jour. Nous avons donc travaillé sur un code de déontologie qui s’y substitue. Nous sommes passés d’une quarantaine d’articles du code de santé publique à plus de 90 dans le code de déontologie. Il est la colonne vertébrale de notre exercice. La profession doit se l’approprier et l’Ordre doit poursuivre son travail d’information. D’ailleurs, désormais, chaque infirmier doit prêter serment et s’engager à respecter ce code lors de son inscription au tableau de l’Ordre.
Les infirmiers expriment une grande souffrance au travail. Le code de déontologie peut-il mieux les protéger, notamment les infirmiers salariés ?
• Le code de déontologie distingue les deux modes d’exercice, libéral et salarié, mais nous sommes avant tout infirmiers, quel que soit notre statut. Le code est un élément de protection et de défense pour les infirmiers. Il garantit l’indépendance professionnelle et prévaut sur les notions de rentabilité. Il est opposable lors des conflits. Il est vrai que pour les salariés, c’est plus compliqué, car ils sont dans une relation hiérarchique, mais ils doivent pouvoir exercer de façon indépendante. Les employeurs doivent aussi s’approprier le code.
Le code de déontologie va-t-il évoluer ?
• Oui, il n’est pas gravé dans le marbre. La commission « éthique et déontologie » de l’Ordre travaille déjà sur des évolutions. Notre profession est en pleine mutation, qu’il s’agisse des pratiques avancées ou du développement de la médecine ambulatoire. Il y a aussi des actes officieux et récurrents qui exposent les professionnels. Par exemple, lorsqu’une infirmière doit adapter une posologie en urgence et qu’elle n’arrive pas à joindre le médecin, elle doit prendre une décision. Si elle modifie la posologie, elle engage sa responsabilité. Il va falloir certainement ajouter des éléments sur la notion de responsabilité.
PROPOS RECUEILLIS PAR M. C.