On connaissait les salles de consommation à moindre risque pour les toxicomanes. L’équivalent pour les patients alcooliques vient d’être créé en Alsace. Soutenue par l’Agence régionale de santé, la structure emploie un binôme infirmier/éducateur.
C’est un endroit discret, dans une arrière-cour. Nul panneau ne l’indique dans la Grand-Rue de Haguenau. Depuis l’ouverture, une dizaine de personnes se retrouvent autour d’un café, d’un verre d’eau ou d’une bière. La structure s’adresse pourtant à des personnes alcooliques. Mais ici, pas besoin d’être abstinent ou de vouloir arrêter de boire pour rencontrer des professionnels spécialisés dans le soin, l’accompagnement et la prévention en addictologie.
L’Arriana (Accueil réduction des risques alcool Nord-Alsace) est la première salle de consommation à moindre risque dédiée à l’alcoologie en France. Les usagers peuvent venir avec leur l’alcool et le consommer sous le regard attentif et bienveillant de l’infirmière et de l’éducatrice spécialisée chargée de l’accueil. « Il y a de nombreuses personnes pour qui la consommation d’alcool est problématique mais qui n’ont pas envie d’arrêter ou qui ne s’en sentent pas capables. Or, dans les structures de soins classiques, le sevrage est un préalable. Nous voulions aider ces personnes à prendre cons cience de leur consommation, des problèmes engendrés, tendre vers la réduction ou le sevrage même si ce n’est pas le but affiché », explique Richard Lortz, cadre infirmier au Centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) de Wissembourg.
Portée par les CH de Haguenau et de Wissembourg, la salle d’accueil Arriana a vite trouvé le soutien de l’ARS(1). Ouverte en février dernier, la structure cible un public précaire. La plupart des usagers fréquentent un foyer d’hébergement social à quelques centaines de mètres. « C’est vraiment bien. Ça change de tout ce que j’ai connu. C’est toujours mieux que de boire dehors sur un banc, sous le regard des gens. Ici, on ne se sent pas jugé. Tout le monde se respecte », commente l’un d’entre eux. Chacun peut apporter, ou non, de l’alcool. Certains, d’ailleurs, sont abstinents, comme Jean-Claude : « Je viens car j’ai peur de faire une rechute. Il y a une super ambiance. Maintenant, j’aimerais bien arrêter de fumer… »
Les deux professionnelles notent les boissons alcoolisées, leur quantité, le nom de celui qui les a apportées, les verres offerts et, à chaque prise, font signer le consommateur en mentionnant l’heure. Mais elles ne servent pas l’alcool. Les usagers ont l’obligation de boire dans un verre gradué, indiquant ce que représente une unité d’alcool. « Notre but est de leur apprendre à boire différemment. Quand ils boivent au goulot, ils ne se rendent pas toujours compte de la quantité ingérée, explique Cathy Bletterer, IDE. Nous ne sommes pas là pour leur faire la morale. Notre démarche s’inscrit dans la prévention et la réduction des risques. »
Le binôme peut certes demander à un usager d’arrêter s’il se met en danger ou met en danger les autres, mais cela n’est encore jamais arrivé. L’IDE peut aussi dispenser des soins simples (prise de tension, pose de pansement, etc.), réaliser des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod), délivrer des éthylotests, des kits stériles, des préservatifs… Écoute, prévention, orientation et, surtout, réduction des risques et des dommages sanitaires et sociaux liés aux usages de substances psycho-actives : telles sont les priorités de cette structure pas comme les autres.
1- Agence régionale de santé.
Comment adapter le concept de réduction des risques pour l’addiction à l’alcool ? « C’est développé en toxicomanie avec la vente libre de seringues, des kits d’injection stériles, des carnets Roule-ta-paille ou les salles de consommation à moindre risque à Paris et Strasbourg… Mais il n’y avait pas d’équivalent pour l’alcoologie en France », souligne Richard Lortz, cadre infirmier au Csapa du CH de Wissembourg. Avec le Dr Christine Pfeiller, addictologue au CH de Haguenau, ils ont visité des structures suisses de ce genre. « À Fribourg, ils ont associé les usagers à la fabrication d’une bière, bien plus légère que celles qu’ils boivent d’habitude. Le processus est vraiment intéressant car il permet de placer les personnes dans une posture d’acteur. Même si cela peut paraître paradoxal a priori pour le grand public », relève-t-il.