La consommation de tabac par la femme enceinte augmente les risques pour l’enfant : fausse couche durant le 1er trimestre, retard de croissance intra-utérin, grossesse extra-utérine ou risques de rupture de membrane et d’accouchement prématuré. À Lyon, le CH Saint-Joseph Saint-Luc propose des consultations de tabacologie aux femmes enceintes.
Au centre hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc de Lyon, c’est le Dr Marie Malécot, médecin tabacologue, qui reçoit Adeline en consultation. Pour faire le point sur sa dépendance à la nicotine, celle-ci lui propose un test de Fagerström qui permet, avec six questions, d’obtenir un score (entre 0 et 10) indiquant le degré de dépendance. Les deux questions les plus importantes sont : « Combien de cigarettes fumez-vous par jour ? » et « Combien de temps après votre réveil fumez-vous votre première cigarette ? ». À savoir que, plus on la fume tôt, plus le score est élevé. Les quatre autres se déclinent ainsi : « Trouvez-vous difficile de vous abstenir de fumer dans les endroits où c’est interdit », « À quelle cigarette de la journée vous serait-il le plus difficile de renoncer ? », « Fumez-vous à un rythme plus soutenu le matin que l’après-midi ? » et « Fumez-vous même quand vous êtes malade au point que vous devez rester au lit ? ».
Adeline obtient un score de 8/10, ce qui révèle une forte dépendance à la nicotine. Au test au monoxyde de carbone (CO) - qui consiste à souffler dans un appareil qui me sure le taux de monoxyde de carbone expiré - Adeline obtient un taux de 27 ppm (particule par million), alors que le taux normal doit être inférieur à 5 ppm.
Face à la forte dépendance de la jeune femme, le Dr Malécot lui propose un patch pour l’accompagner dans son sevrage tabagique. « Plus de 50 % des femmes enceintes pensent que les patchs sont dangereux pendant la grossesse, ce qui n’est pas le cas », souligne le médecin tabacologue. Lors de cette première visite, elle prescrit ainsi à Adeline un patch de 21 mg, associé à des pastilles de nicotine.
Si le nombre de consultations est variable d’une personne à l’autre, le médecin tabacologue propose généralement de suivre les patientes jusqu’à l’arrêt complet - dont la date est toujours laissée à la décision du fumeur - puis pendant un an après l’arrêt. Au début du suivi, les séances sont assez rapprochées et ont lieu toutes les semaines pendant un mois, puis tous les quinze jours, et enfin, plus espacées : tous les mois jusqu’au troisième mois, puis une fois par trimestre.
Une semaine plus tard, lors de la seconde séance, Adeline a déjà réussi à baisser sa consommation à trois cigarettes par jour. Et en plus du patch, elle consomme cinq à six pastilles par jour. Elle n’a plus que 14 ppm au test de monoxyde de carbone. En revanche, elle confie qu’elle est très énervée et que son mari et ses collègues l’ont remarqué. Le médecin décide donc d’augmenter la dose du patch : et lui prescrit un patch de 14 mg en plus du patch de 21 mg, ainsi que des pastilles à volonté. « Le patch permet de ne pas avoir de manque, mais il n’enlève pas les envies de cigarette. L’adjonction de pastilles de nicotine aide au moment des envies », commente le Dr Malécot. Les quinze premiers jours, Adeline porte également le patch la nuit. Cela lui permet d’avoir beaucoup moins l’envie de fumer le matin au réveil, mais il a un effet secondaire sur les rêves, qui sont plus importants, voire peuvent se transformer en cauchemars.
Le Dr Malécot en profite pour discuter avec la patiente de ses habitudes de tabagisme. Adeline prend sa cigarette du matin avec le café. Elle a essayé de le remplacer par du thé mais cela ne lui convenait pas. Elle s’est alors mise à la chicorée et elle a remarqué qu’elle avait moins envie de fumer. Elle conserve cependant une cigarette le matin, une le midi et une le soir.
Une semaine plus tard, à la troisième séance, Adeline confie qu’en changeant ses habitudes, elle a réussi à se passer de la cigarette du matin. Ceci tout simplement en prenant sa douche avant de prendre le petit-déjeuner. Ce jour-là, elle n’a plus que 9?ppm au test de CO. Reste la cigarette du midi et celle du soir, qu’elle fume avec son mari. C’est une cigarette importante car elle lui permet de partager un moment avec lui. Adeline convient, avec le médecin, d’en parler avec son compagnon pour essayer de proposer autre chose. Quant à la cigarette du midi, elle a réussi à s’en passer deux fois en allant se laver les dents juste après le repas. Et les jours où elle ne travaille pas, elle en profite pour faire une petite sieste.
Une semaine plus tard, soit à la quatrième séance, Adeline est contente. Elle a réussi à supprimer la cigarette du soir en mettant en place un rituel avec son mari : elle se sert un verre d’eau pétillante tandis qu’il se sert un verre d’apéritif et ils discutent ensemble dans le salon. Elle a l’impression que ce rituel commun les rapproche et elle en est très contente. Il lui reste cependant la cigarette du midi. Elle a du mal à s’en passer, notamment les jours où elle travaille. C’est difficile pour elle car elle va faire sa pause avec ses copines, qui sont fumeuses, donc la tentation est grande.
Or, Adeline est vraiment très motivée pour profiter de sa grossesse pour arrêter complètement le tabac et son gynécologue lui a rappelé que pour éliminer tout risque pour son bébé, il fallait qu’elle atteigne zéro cigarette quotidiennement. Elle ne veut pas reproduire l’erreur de sa mère, qui a fumé pendant toute la grossesse, et veut donner de meilleures chances à son enfant. Elle a ainsi l’idée de demander à l’une de ses collègues fumeuses de prendre sa pause avec elle sans fumer.
À la cinquième séance, Adeline a réussi à arrêter complètement le tabac. Elle est rayonnante et n’a plus du tout envie de fumer le matin. Elle met bien son patch de 21 mg chaque jour ainsi que son patch de 14 mg, qu’elle va porter pendant encore trois semaines. Passé cette période, le patch de 14 mg sera supprimé. Elle prend encore une ou deux pastilles de nicotine par jour et elle a encore quelques envies, mais qui se sont fortement réduites. Le Dr Malécot continue de la suivre car il faut maintenir l’arrêt, mais elle espace les consultations. « Je la revois quinze jours après et elle est toujours en arrêt. Elle se sent de mieux en mieux », note le docteur. Son mari a acheté une cigarette électronique et Adeline a demandé au médecin ce qu’elle en pensait.
Le médecin revoit sa patiente un mois après. Elle en est au cinquième mois, elle est épanouie et a réussi à maintenir l’arrêt. « Nous commençons à parler d’envisager de rester abstinente après la grossesse et nous explorons ses motivations pour ne pas reprendre le tabac », relate le Dr Malécot. Adeline ne veut pas être une maman fumeuse. Elle veut être la meilleure mère possible et cela la motive pour arrêter définitivement. « Quand le patient a arrêté de fumer, on garde la même dose de patch pendant un mois. Puis on diminue de moitié la dose des patchs, puis encore de moitié, jusqu’à l’arrêt complet. On s’en tient à trois mois de traitement, détaille le médecin. Nous demandons à la femme de garder quelques patchs sur elle parce qu’à la naissance, il est possible que l’envie revienne. » Adeline a, quant à elle, réussi à arrêter totalement grâce à ce suivi pendant sa grossesse.
Adeline, 30 ans, est enceinte de trois mois. Si, avant sa grossesse, elle fumait un paquet de cigarettes par jour, elle en consomme encore une dizaine aujourd’hui. Elle fume régulièrement depuis ses 15 ans et a augmenté sa consommation après avoir démarré sa formation d’infirmière. Elle n’a jamais arrêté plus de trois jours. Elle s’était promis de le faire une fois enceinte mais bien qu’elle ait réduit sa consommation, elle ne peut se résoudre à arrêter complètement. Depuis qu’elle attend un enfant, son mari fume, lui, dehors. Lui refusant le patch, le pharmacien lui propose des pastilles de nicotine. Son médecin l’oriente alors vers un médecin tabacologue.
Depuis le 25 mars 2016, la maternité du CH Saint-Joseph Saint-Luc participe, avec une vingtaine de maternités françaises, à une étude portée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, avec le support financier de l’Institut national du cancer. Objectif : évaluer l’impact d’une incitation financière sur le taux d’abstinence au tabac chez les femmes enceintes. D’une durée de trente-six mois, l’étude prévoit environ six consultations de tabacologie par femme enceinte volontaire jusqu’à l’accouchement et un rappel téléphonique dans les six mois suivants.
« Plus elles sont abstinentes depuis longtemps, plus la somme est élevée. Les récompenses sont données en bons d’achat : 60 € la première fois si elles ont arrêté de fumer, 80 € la deuxième, etc. », explique le Dr Malécot.
L’hôpital est toujours en phase de recrutement. « Nous avons déjà enrôlé 30 femmes dans l’étude », indique le médecin tabacologue.
L’objectif est d’en recruter 600 d’ici fin 2018 dans la vingtaine de maternités qui participent à l’étude.