L'infirmière Magazine n° 389 du 01/01/2018

 

INFIRMIÈRE SEXOLOGUE

CARRIÈRE

PARCOURS

Toute maladie perturbe la sexualité. Soigner, c’est aussi savoir en tenir compte. Un tel avis incite de plus en plus d’infirmières à se former en sexologie. Une compétence qui s’exerce dans des cadres variés.

Ne pas aborder la question de la sexualité avec nos patients, c’est passer à côté d’une partie de leur santé. Une collègue a reçu un homme après une ablation de la prostate, avec qui ce sujet n’avait jamais été évoqué ! Comment peut-on laisser des gens seuls avec leurs questions, permettre ainsi à des problèmes et à une souffrance de s’installer ? », s’insurge Élodie Jaramago, infirmière à l’hôpital Jean-Mermoz, à Lyon, et sexologue. Une maladie chronique, un accident, un appareillage comme le port d’une poche, un corps abîmé, opéré, des violences sexuelles, le grand âge… tous ces événements peuvent perturber profondément la sexualité des individus.

Pourtant, le sujet reste tabou et les professionnels de santé, dont les infirmières, se gardent bien de le questionner à l’occasion des soins, faute de formation et d’outils. Une anomalie d’autant plus forte que « la pratique infirmière et la sexologie reposent sur les mêmes principes de prise en charge », assure l’IDE titulaire du DIU Étude de la sexualité humaine (lire encadré p. 57), dont le programme est ouvert aux médecins et à certains paramédicaux, tels les psychologues ou les infirmières. De fait, si la sexologie vise globalement à détecter l’origine d’un trouble sexuel, à le soigner ou à le prévenir, cette hétérogénéité de la profession induit des approches et des pratiques diversifiées selon la formation initiale du soignant.

UN CHAMP TRÈS OUVERT

Pour les infirmières sexologues, le champ d’intervention se révèle large depuis les troubles du désir, les problèmes d’érection ou de vaginisme jusqu’aux risques infectieux ou aux questionnements sur l’orientation sexuelle, en passant par l’éducation à la sexualité, la communication dans le couple, les suites d’une grossesse, d’un infarctus voire d’un viol, ou encore les addictions, à la pornographie notamment. Il s’agit donc pour les infirmières d’ajuster, à partir d’un socle commun de connaissances, leur réponse et leur posture. « La sexologie touche à toutes les facettes de l’individu. Et ce n’est pas la même chose de parler à quelqu’un ayant eu une maladie ou confronté à un problème d’identité, même si l’on est toujours dans l’intime », souligne Mathilde Ferraro, infirmière qui a pratiqué la sexologie dans des institutions diverses. C’est d’ailleurs le cas de la plupart de ses homologues, cette compétence étant rarement exercée à temps plein et encore moins dans un seul service.

Par son étendue, la sexologie permet en effet aux infirmières de mettre en pratique leur savoir-faire tant à l’hôpital (urologie, gynécologie, endocrinologie, psychiatrie…) que dans des établissements médico-sociaux ou autres associations et institutions, et de développer des projets variés. Elle leur offre aussi la possibilité de dispenser des formations à d’autres professionnels, soignants ou non.

CANCÉROLOGIE, VIH, ADDICTOLOGIE…

Dans son hôpital, Élodie Jaramago a monté une consultation de sexologie ouverte aux patients suivis en oncologie, dans le cadre des soins de support préconisés par le Plan cancer (lire p. 58). « En cancérologie, le problème de la sexualité n’est en général pas installé depuis des années. Il a été induit par la maladie ou les traitements et est donc souvent facile à résoudre. Ce n’est pas comme en ville où des thérapies peuvent être très longues quand des conflits de couple ont maturé longtemps », remarque-t-elle. D’autres infirmières sexologues exercent en centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic, où ressort la peur de transmettre le VIH ou d’être rejeté. Au Cegidd de Créteil, l’une d’elles reçoit ainsi, lors de deux vacations mensuelles, les personnes venues bénéficier de la prophylaxie pré-exposition (PrEP). « Le médecin prescrit le traitement et je reçois ensuite la personne pour évaluer les risques sexuels pris et la possibilité de les réduire », résume Claude Giordanella (lire p. 59). Celle-ci intervient aussi au Réseau Créteil Solidarité auprès de sans-papiers en grande précarité, vivant avec le VIH ou une hépatite. Elle y organise des groupes support où sont évoquées les questions de santé sexuelle et reçoit les personnes qui le souhaitent en individuel. « Cela permet parfois d’approfondir les motifs de leur migration : homosexualité cachée dans un pays où elle n’est pas tolérée, viols subis dans le cadre de guerres…, de parler de leur excision et des possibilités de reconstruction ou encore des grossesses résultant d’une prostitution de survie », explique-t-elle.

Autre lieu où la sexologie a sa place : les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). À celui de l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, qui, outre des usagers de drogues, prend en charge depuis 2012 les personnes dans une addiction liée à la sexualité, l’infirmier sexologue Frédéric Buathier est devenu référent sur ces questions, son expertise et sa formation étant reconnues. Il y consacre désormais notamment les deux tiers de ses consultations et sa file active s’accroît. « On reçoit beaucoup d’hommes addicts à la pornographie ou à la masturbation, qu’ils soient seuls ou en couple, des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et consommant des cathinones de synthèse dans le cadre du slam(1) – ils sont alors dans une double addiction : au sexe et au produit – ou encore des personnes addictes aux rencontres multiples ou au sexe tarifé », observe-t-il. Par ailleurs, lorsqu’elle travaillait dans ce Csapa, Mathilde Ferraro se souvient que, parmi les usagers de drogues reçus, « des personnes pouvaient aussi aborder leur absence de sexualité ou évoquer des violences sexuelles subies – souvent des femmes – et trouvaient là un lieu où parler librement ».

DONNER DES CLÉS

Lors de leur consultation, les infirmières sexologues s’inscrivent dans un véritable accompagnement. « C’est du soin relationnel, de l’écoute, de l’entretien motivationnel. On est en dehors du soin technique pur », résume Mathilde Ferraro. « On part de là où en sont les gens, on les aide à avancer sans donner de consignes. On interroge et on essaie de lever petit à petit les barrières que leur milieu leur a souvent mises. Par exemple, si quelqu’un évoque une absence de désir ou de plaisir, on cherche à comprendre si c’est lié à un problème physiologique, d’éducation ou de consentement. On donne des clés mais ce sont les gens qui font le travail », développe Claude Giordanella. Pour faciliter ce cheminement, les sexologues ajustent leur approche. « On essaie de poser des questions les plus ouvertes possible pour que les personnes se sentent à l’aise », souligne Mathilde Ferraro. Il faut aussi adapter son niveau de langage, reformuler la demande pour en être sûr et, au besoin, « utiliser les mots crus de certains patients afin d’être bien compris, savoir exiger des précisions s’ils sont trop flous », détaille Élodie Jaramago. Il faut cependant avancer avec délicatesse, ne pas forcer l’aveu. Diverses techniques : hypnose, méditation, relaxation (tout ce qui relève de la sexologie corporelle et permet d’apprendre à travailler sur son corps, à se détendre) peuvent être employées. « Quand parler se révèle difficile, passer par le corps peut libérer des choses », assure Mathilde Ferraro.

Autonomes dans leur exercice, ce qu’elles apprécient, les infirmières sexologues choisissent leur mode d’intervention et les outils qui leur semblent les mieux adaptés à leur public. Dans son Csapa, Frédéric Buathier propose ainsi des consultations individuelles pour « travailler sur des stratégies permettant à la personne de réduire ses envies irrépressibles, les pensées qui lui posent problème » et utilise divers outils favorisant l’identification des phénomènes déclencheurs, l’autocontrôle, et privilégiant une avancée par paliers. Il coanime aussi des groupes de parole reposant sur les échanges entre pairs et recourt au photolangage ou à la sophrologie.

UN TRAVAIL EN RÉSEAU

Les infirmières sexologues doivent entretenir des liens étroits avec d’autres professionnels de santé et tisser des réseaux. « On peut rarement régler un problème seul. On a besoin d’autres approches », reconnaît Élodie Jaramago. Selon les cas, il s’agira de solliciter les compétences d’un médecin, d’un kinésithérapeute, d’un psychologue, d’un psychiatre…, parfois de travailler avec l’un d’eux en binôme serré, voire d’orienter le patient vers un autre sexologue à l’hôpital ou en ville, lorsque l’on sent ses limites atteintes. « Les infirmières peuvent en tout cas apporter un éclairage particulier et ont une pleine légitimité à traiter ces questions. Nombreux sont les services ou structures qui en tireraient profit », affirme Nadia Flicourt, infirmière sexologue et cadre de santé, qui accompagne les professionnels sur ces questions par le biais de formations et d’analyses de pratiques. Connaissance du corps, du jargon médical, facilité d’accès, capacité d’écoute, à mener des entretiens motivationnels sont autant de qualités qui justifient cette légitimité. S’inscrivant dans le cadre de la relation d’aide, l’intervention des infirmières repose par ailleurs sur « des qualités éthiques : bienveillance, recherche du non-jugement… et implique une directivité cadrante. Elles sont des révélateurs, des aides de camp », détaille Nadia Flicourt. Outre une ouverture d’esprit et une capacité à ne pas projeter sur l’autre ses propres attentes, une certaine solidité est aussi requise pour pouvoir entendre le récit de pratiques heurtant parfois ses valeurs comme « pour accueillir la souffrance déversée, ne pas se sentir envahi », pointe Frédéric Buathier. La sexologie implique aussi de se réinterroger soi-même. « Clinicienne spécialisée, l’infirmière sexologue doit d’abord avoir travaillé sur la pleine conscience de sa propre sexualité », assure Nadia Flicourt, tout en insistant sur la nécessité de bénéficier de supervision. Mieux vaut de fait avoir acquis une certaine maturité, un peu d’expérience, avant de se former à la sexologie.

EN QUÊTE DE RECONNAISSANCE

Malgré leur diplôme, le manque de reconnaissance de leur compétence reste un problème difficile à supporter pour maintes infirmières sexologues. Il découle en partie du fait qu’elles ne peuvent pas prescrire, contrairement aux médecins avec lesquels elles ont pourtant été formées. « Même quand on sait quel examen de routine s’impose, on est obligé d’orienter vers un confrère médecin ou de travailler en lien étroit avec lui », déplore Mathilde Ferraro. « Cela génère de la frustration », confirme Élodie Jaramago. Difficile aussi pour les infirmières de s’installer en libéral en tant que sexologues, car leurs consultations ne seront pas remboursées. Celles qui n’exercent pas la sexologie dans le cadre de leur poste à l’hôpital ou en structure médico-sociale sont, selon les cas, salariées (vacataire, temps partiel, CDD…) ou exercent leur activité de sexologue sous un statut d’auto-entrepreneur. Si elles veulent pratiquer leur activité à temps plein, elles doivent ainsi cumuler les statuts. Mais, prévient Claude Giordanella, « avoir une vie professionnelle en puzzle peut ne pas convenir à tout le monde, même si cela offre aussi une forme de liberté ». Si les revenus peuvent se révéler suffisants, il faut en effet pouvoir supporter la précarité. Autres atouts nécessaires : savoir monter des projets, convaincre de leur intérêt, voire chercher des financements et « être à l’affût des réseaux où l’on pourra être reconnu comme thérapeute », poursuit-elle. Le monde de la sexologie est cependant en mutation. « Au Canada, en Belgique, en Suisse, les infirmières sexologues ont une vraie reconnaissance de cliniciennes. En France, on est à la traîne. Mais aujourd’hui, la profession de sexologue est en pleine évolution : elle se féminise et compte désormais plus de non-médecins », témoigne Claude Giordanella. Il est en outre à noter que la stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030 insiste sur la nécessité de renforcer la formation des professionnels de santé et du médico-social en particulier dans le premier recours. Lors des Assises françaises de la sexologie et de la santé sexuelle, organisées sous l’égide de la Fédération française de sexologie et de santé sexuelle (FF3S) et des associations fondatrices – l’Association interdisciplinaire post-universitaire de sexologie et la Société française de sexologie clinique(2) – Nadia Flicourt entend d’ailleurs « proposer la création d’une association d’infirmières sexologues et le lancement d’une dynamique de recherche ». À suivre donc.

  • 1- Le slam est une pratique de consommation, en contexte sexuel, de produits psycho-stimulants ayant des effets désinhibants et décuplant les capacités sexuelles.

  • 2- Les prochaines auront lieu à Marseille du 15 au 18 mars 2018. Informations : www.assises-sexologie.com

  • 1- Universités de Bordeaux, Lyon, Marseille, Montpellier-Nîmes, Nantes-Rennes, Toulouse, Paris-XIII, Lille-Amiens, Paris-V, Clermont-Ferrand, Reims et Metz.

SOURCES UTILES

→ Stratégie nationale de santé sexuelle, agenda 2017-2030. bit.ly/2BffqIs

→ L’Infirmière Magazine, n° 380, mars 2017, Dossier « La santé sexuelle, un objet de soins », Alain Giami, Nadia Flicourt et Émilie Moreau.

→ Infirmières en sexologie entre soins et relation, Alain Giami, Émilie Moreau, Pierre Moulin, Presses de l’EHESP, 2015.

→ Revues : Sexualités humaines et Sexologies.

→ www.ff3s.fr

→ www.aius.fr

FORMATION

Un programme, deux diplômes

→ S’appuyant sur un programme national, deux diplômes préparent à la profession à l’université(1) : le DIU de sexologie et le DIU d’étude de la sexualité humaine. Le premier n’est ouvert qu’aux médecins et est le seul reconnu par leur Conseil de l’Ordre ; l’autre est accessible aux infirmières, sages-femmes, psychologues, kinésithérapeutes, psychomotriciens et pharmaciens. Toutefois, s’ils aboutissent à un diplôme au nom différent, ces cursus en trois ans ne font concrètement qu’un, les étudiants suivant le même programme et passant les mêmes épreuves.

→ Inscrits dans le cadre des recommandations de l’OMS, ces DIU visent à offrir les connaissances théoriques et cliniques permettant d’évaluer, diagnostiquer et prendre en charge une difficulté sexuelle (anatomie, physiologie, psychologie). Éducation sexuelle, conseil en sexologie et thérapie sexuelle sont particulièrement développés en 3e année, laquelle se clôt par un mémoire et une épreuve nationale. À noter que ces DIU permettent de préparer un DIU d’oncologie-sexologie en deux ans, sanctionné par un examen national.

HÔPITAL JEAN-MERMOZ

La sexualité après un cancer

→ À l’hôpital privé Jean-Mermoz, à Lyon, les patients suivis en oncologie peuvent bénéficier de quatre séances de sexologie d’une heure ou poser leurs questions par mail. Depuis mi-2016, Élodie Jaramago, infirmière en CDI à temps plein aux urgences, a créé une consultation spécialisée, qu’elle propose en sus de son activité sous un statut d’auto-entrepreneur.

Les personnes soignées pour un cancer du sein ou de la prostate sont très demandeuses. Sécheresse vaginale, dyspareunies, troubles de l’érection ou de la libido sont récurrents. Les réponses peuvent être techniques : crèmes à employer, rééducation à l’érection en lien avec l’urologue… « Parfois, dans la panique, le patient n’a pas compris les explications du spécialiste et il suffit de refaire un point », précise-t-elle.

Mais les cancers entraînent aussi maints troubles psychologiques, d’estime de soi, de confiance et perturbent les couples. « Avec la maladie, la relation a été abîmée, les repères sont faussés. Il faut inviter les personnes à revenir dans le vivant et à rétablir l’égalité au sein du couple », analyse l’IDE, qui reçoit les patients en individuel ou en couple. Du fait de la chirurgie ou de la radiothérapie, certaines sensations disparaissent, des positions deviennent douloureuses.

« On a fait de la sexualité quelque chose de très codifié. Aussi, dès qu’on s’écarte de cela, une panique s’installe, pointe-t-elle. Il faut aider les personnes à voir qu’il leur reste plein de possibilités. »

Et rappeler que la sexualité est une question de relation, car les angoisses sont profondes. « C’est des discours du genre : “On n’a plus de sexualité, je ne vais jamais m’y remettre, mon mari va me quitter” », témoigne l’infirmière, pour qui sa pratique relève « plus de la guidance que du conseil ».

Après des débuts poussifs, la consultation connaît aujourd’hui un franc succès. « Les patients me disent combien ils sont soulagés d’avoir un lieu où parler, affirme l’IDE. Cela rassure aussi les professionnels qui savent désormais où orienter les personnes. Avant, ils évitaient le sujet et n’entendaient pas leur demande faute d’avoir une réponse à proposer. »