ASSISTANCE
DOSSIER
L’hôpital est-il toujours accueillant pour les plus précaires ? Aux urgences, service en première ligne et saturé, les pratiques dépendent surtout de la bonne volonté des agents.
La notion d’assistance disparaît à l’hôpital. C’est devenu une grosse plate-forme technique qui privilégie les spécialités et qui laisse du monde sur le carreau : les vieux, les précaires, constate Gérald Kierzek, médiatique urgentiste à l’Hôtel-Dieu (AP-HP). Les urgences sont embouteillées, il y a de moins en moins de lits pour les personnes polypathologiques ou précaires. D’autant que le Samu social, débordé, nous adresse des personnes en dernier recours. » Le médecin milite pour un hôpital généraliste qui assume sa mission « médico-psycho-sociale ». En janvier 2017, lors d’une nuit de garde, il s’était fait remarquer sur les réseaux sociaux, s’offusquant que « des dizaines de lits au chaud soient vides, [alors qu’]on pourrait soigner et accueillir. » Son appel avait été entendu : une aile désaffectée de hôpital avait été investie par des familles sans-abri, soutenues par une association.
Si des bâtiments hospitaliers inoccupés sont régulièrement mis à disposition pour l’hébergement de personnes sans solution, leur accueil au quotidien dans l’hôpital, et en premier lieu aux urgences, sa porte d’entrée pour tous, est délicat. « En général, déplore Gérald Kierzek, les urgences sont saturées et les sans-abri sont mis dehors. » Urgentiste à l’hôpital Lariboisière, qui accueille 75 % de patients aux minima sociaux, Bertrand Galichon l’admet : « On ne peut pas répondre à toutes les demandes. » Ce sont plusieurs dizaines de « grands exclus » qui échouent là quotidiennement. « Ces sans-abri, souvent alcoolisés, sont ramenés plusieurs fois par jour par les pompiers, explique le médecin. Les soignants sont démunis, car ils n’ont rien à leur proposer. » Selon lui, ce sentiment d’impuissance s’est atténué depuis deux ans, depuis qu’une association, en lien avec les urgences, la Ville de Paris et l’ARS, mène un travail auprès des SDF fixés sur les parvis des gares. « Au moins, ces grands exclus, on arrive à les accompagner. » Et à en faire admettre certains dans des services de médecine. Mais la situation est loin d’être réglée. « Les équipes de nuit des urgences sont isolées sur les questions sociales, au sein de l’hôpital et par rapport à la ville, regrette Hugo Huon, infirmier dans le service, titulaire d’un DU Précarité et santé mentale. Comme l’institution ne se positionne pas, chacun fait comme il peut. Ici, dans ce que certains appellent “l’hôpital à clodos”, il y a plutôt une culture d’accueil. » Hugo et ses collègues réconfortent avec un café ceux qui viennent passer la nuit sur une chaise avant de repartir à l’aube. Ponctuellement, des consignes sont émises. « La chefferie placarde des mots : “plus d’hébergement hors période hivernale”. Mais c’est illogique car, aux intersaisons, il y a justement moins de places disponibles en centre d’hébergement d’urgence », s’agace l’infirmier qui se dit « très en colère ». Selon lui, « certains services refusent même d’hospitaliser des patients qui n’ont pas de couverture sociale, pour ne pas se retrouver déficitaires. Ces recalés finissent parfois aux urgences ou en réanimation. C’est incohérent. » Dans ce contexte peu propice, le soignant fait au mieux. « On accueille, de façon informelle, et en s’épuisant. »
Au nord de Paris, Enrique Casalino, chef du département des urgences de Bichat et Beaujon, a érigé « la sollicitude » en principe, y compris et surtout envers les plus fragiles. Et l’a traduite en actes. « Toute personne qui demande le gîte et le couvert est systématiquement enregistrée et vue par un médecin, pour devancer un éventuel besoin médical, explique-t-il. Si la personne n’a aucun problème somatique, elle se voit offrir une collation et une douche. » Jusqu’à dix personnes se présentent chaque jour. En période hivernale, le nombre augmente. Mais l’accueil reste similaire, des repas sont même distribués. « Il y a beaucoup de monde et de travail aux urgences, des tensions aussi, mais cette façon de faire fédère les équipes, souligne le Pr Casalino. Nous sommes là pour nous occuper des gens et on s’en donne les outils : des sièges en nombre, des plateaux-repas, des vêtements propres à disposition… C’est notre rôle de soignant que d’accueillir et ce serait démissionner de ce rôle que de ne pas le faire. » Et de regretter, comme Hugo Huon, que les urgences soient plutôt seules, au sein de l’hôpital, à remplir cette mission.