EXPRESSION LIBRE
Infirmier en établissement médico-social (EMS) dans le canton de Genève, membre du comité de rédaction de L’Infirmière magazine
Il est 8 h, un message sur le téléphone. M. R., le mari d’une des personnes que mon équipe et moi suivons à domicile, m’envoie un mail. Il sait qu’aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec son médecin concernant l’ajustement des médicaments de son épouse. Dans son message, je trouve les relevés de tension artérielle de Mme R. Le couple est bénéficiaire d’une des missions de l’EMS (Ehpad) où je travaille, destinée à favoriser le maintien à domicile de personnes « fragiles ». Dans ce but, nous avons mis en place une petite équipe ambulatoire, composée d’infirmiers et de travailleurs sociaux. Ainsi, depuis trois mois, nous œuvrons, en nous appuyant sur le réseau de professionnels et de proches, au maintien à domicile de M. et Mme R. Depuis trois mois, je suis chaque changement de traitement antihypertenseur ou anticoagulant de madame. Depuis trois mois… je ne lui ai jamais pris une seule constante ni même préparé ses médicaments, M. R. s’en chargeant pour moi.
Dans les faits, plusieurs accompagnements que nous proposons sont basés sur les capacités des patients et de leurs proches à gérer la maladie et les actes de soin associés. La majeure partie de mon exercice est ainsi composée d’entretiens motivationnels, de support téléphonique et autres outils d’éducation thérapeutique. Le téléphone et la discussion autour d’un café sont devenus les pivots de ma fonction. L’énergie que nous mettons dans ce projet, mes collègues et moi, vise à obtenir des personnes suivies une capacité d’autogestion suffisante pour leur permettre de prendre les rênes de la prise en charge de leur maladie et il faut avouer que certains d’entre eux sont devenus bien meilleurs que nous.
Cette redistribution de rôles, vers les proches et le malade, nécessite une certaine confiance de notre part. Comment les mesures sont-elles prises ? Tel médicament est-il pris correctement ? Toute cadrée qu’elle soit, nous observons que cette confiance aux proches ou au malade a un réel intérêt : sa réciprocité. De plus, développer les capacités d’autogestion amène, dans certaines situations, un risque d’erreur moindre et une meilleure observance. De manière plus institutionnelle, cet accompagnement diminue le temps de prise en charge de ces patients et… nous permet d’en suivre plus. Bref, l’équation semble plutôt positive.
Aux Pays-Bas, une organisation de soins à domicile, Buurtzorg, a fondé tout son exercice sur l’autogestion. Le patient s’autogère grâce au support d’infirmières, elles-mêmes organisées en unités autonomes et autogérées. Résultat : pour un coût environ 40 % moindre, les infirmières de Buurtzorg ont pu développer un temps de présence plus important auprès de leurs patients et augmenter leur sentiment de satisfaction et de qualité(1). Ainsi, pour travailler mieux, laissons les malades eux-mêmes en faire plus.
1- Lire « KPMG International Buurtzorg empowered nurses focus on patient », sur bit.ly/2nSLcIK.