L'infirmière Magazine n° 389 du 01/01/2018

 

TARIFICATION DES EHPAD

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Carole Tymen  

La réforme de la tarification des Ehpad, en vigueur depuis le 1er janvier 2017, inquiète les professionnels de santé. La Fédération hospitalière de France y voit une uniformisation entre établissements publics et privés, ainsi qu’une surcharge de travail pour les équipes.

Halte à la baisse de moyens financiers des maisons de retraite publiques. » C’est le message lancé par la Fédération hospitalière de France (FHF), fin novembre, sur les réseaux sociaux. Outre une campagne de communication présentant des résidents de 90 à 97 ans (sous le hashtag #Marie-Louise), la FHF a lancé une pétition sur Change.org, recueillant plus de 18 300 signatures en trois semaines.

Ce qui mobilise la FHF ? La réforme de la tarification des Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), en vigueur depuis le 1er janvier 2017 après la parution des deux décrets du 21 décembre 2016. Inquiète, la Fédération en demande le retrait. Lancée en 2015 par la loi du 28 décembre relative à l’adaptation de la société au vieillissement, la réforme suit deux axes : le calcul du niveau départemental « moyen » de dépendance des résidents, qui sert de base à la dotation de la prise en charge par les conseils départementaux (décret n° 2016-1814), et la fin des conventions tripartites entre ARS, départements et établissements, au profit d’un Contrat pluri-annuel d’objectifs et de moyens (CPOM) (décret n° 2016-1815)(1). Ce qui représenterait une économie de 65 millions d’euros au niveau national selon la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS).

La FHF parle, elle, d’une perte de financement de 200 millions d’euros quand, de l’avis de plusieurs organismes professionnels, cette nouvelle donne engendrerait un lissage départemental du déploiement de l’aide sociale, au profit des établissements privés.

Pas de différenciation entre le public et privé

Mesure phare de la réforme, le décret n° 2016-1814 développe le nouveau calcul du « forfait global relatif à la dépendance », versé par le département d’implantation de l’établissement. À cette fin, de savantes équations ont été formalisées (lire encadré), basées sur le degré de dépendance des résidents (Gir) et le nombre d’établissements du département. «  Cette nouvelle tarification ne tient compte ni de l’inflation ni de la structure des coûts réels résultant du statut des établissements », rapporte la députée Monique Iborra, dans le cadre de la mission « flash » sur les Ehpad(2) qui lui a été confiée, en août.

Pour la FHF, la différence majeure entre secteurs public et privé relève de la proportion de places habilitées à l’aide sociale. Elle regrette une «  uniformisation niant les différences objectives ». «  Dans le public(3), l’habilitation à l’aide sociale atteint historiquement le taux de 100 % dans tous les établissements. De sorte que les Ehpad publics sont à même d’accueillir des personnes aux revenus modestes, sans limite ni quota. »

La Fédération pointe également les contraintes réglementaires et financières propres au secteur public, «  qui brouillent ses performances réelles ». Elle regrette que « le secteur public n’accède pas aux avantages fiscaux récemment mis en place, comme le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le Crédit d’impôt de taxe sur les salaires, etc. Les évolutions récentes proposées par le PLFSS 2018 en son article 8 viendront encore alléger les charges des établissements privés sans pour autant bénéficier au secteur public. […] Les établissements publics proposent bien un tarif modéré afin de garantir à tous de bénéficier du meilleur soin et du meilleur accompagnement pour un coût raisonnable. » Pour la FHF, la réforme organise un nivellement des dotations dépendance et diminue les dotations d’établissement de ce fait considérés comme « sur-dotés ». Une analyse que partage la Fnadepa(4). Celle qui juge cette réforme «  positive mais en demi-teinte » réclame une révision de l’équation tarifaire : «  On enlève des moyens aux établissements dits « trop dotés » pour en donner à ceux qui sont sous la moyenne départementale. C’est bien, reconnaît sa vice-présidente. Mais “sur-dotés”, les établissements ne le sont pas. C’est l’équation tarifaire qui n’est pas bonne. […] La valeur du point Gir est très importante. Quand on le traduit, cela représente des postes en plus ou en moins. »

Des équipes réduites

En creux, cette refonte de la répartition de l’aide sociale départementale fait craindre un accroissement de la tension sur les effectifs de personnel soignant dans des établissements publics, où les personnels représentent la majeure partie des budgets. «  Faire aussi bien avec moins semble être une équation difficile à résoudre, d’autant que le taux d’encadrement actuel est de 50 % inférieur aux préconisations de l’État », chiffre la FHF. Elle cite le cas de la maison de retraite du centre hospitalier de Bourges (Cher), qui accueille 129 personnes âgées dépendantes. «  La réforme de la tarification entraîne une perte de huit emplois à temps complet sur les quatorze emplois aides-soignants budgétés, soit plus de la moitié des effectifs. » Quand la Fédération demande «  la reconduction des contrats aidés déjà en cours dans le secteur médico-social ».

Le rapport Iborra préconise, lui, de «  prévoir, dans la budgétisation des établissements, la présence d’un infirmier diplômé la nuit en astreinte ou en poste », à court terme. Car la réforme, qui met du temps à être appliquée dans les territoires, fait aussi craindre aux professionnels une qualité de la prise en charge «  mise en péril pour les 300 000 personnes âgées, met en garde la FHF. Pour les personnes âgées, c’est trente minutes d’échange, d’accompagnement, de toilette et d’aide pour le repas en moins. »

L’équité de la prise en charge menacée

D’où l’interrogation de certains sur la reconnaissance de la dépendance, d’un département à un autre, selon que celui-ci sera plus ou moins fourni en équipements qui se partagent l’enveloppe de l’aide sociale.

En Charente, où la réforme est déjà effective, le point Gir départemental (qui permet ensuite de calculer les enveloppes des établissements) a été fixé à 6,59 €. Il est de 7,35 € dans les Deux-Sèvres et de 6,73 € en Charente-Maritime, les départements voisins. Au niveau national, il varie entre 5 € et 8 €. «  D’un département à l’autre, la dépendance d’une personne âgée est plus ou moins bien financièrement reconnue […]. Il n’est pas acceptable que cela soit au détriment d’autres personnes âgées », martèle la FHF.

En juillet, la sénatrice et conseillère départementale de Charente, Nicole Bonnefoy, s’est fait l’écho de la Fnadepa auprès de la ministre de la Santé. Elle déplore les premiers retours des antennes départementales, qui «  font état d’une application disparate de la mesure, chaque conseil départemental l’interprétant à sa manière ». « L’objectif de cette réforme est bien de rétablir de l’équité dans la répartition de financements des Ehpad, au regard des seuls critères de l’état de dépendance et du besoin en soins des résidents », a répondu le ministère, en octobre.

La FHF demande un moratoire de la réforme, ainsi qu’une réflexion du modèle social et économique d’accompagnement du grand âge. « À la réfaction des moyens en matière de soins ces dernières années (convergence tarifaire), s’ajoute aujourd’hui la réfaction des moyens en matière d’accompagnement à l’autonomie, et ce sont demain les tarifs hébergement et par là même le reste à charge des résidents par leur famille qui est en jeu[…]. La réponse aux besoins de la démographie française ne sera ni tout établissement ni tout domicile. Il nous faut nous garder de toute simplification ou tentation de “méthode miracle ».

1- Le CPOM définit des objectifs en matière d’activité, de qualité de prise en charge et d’accompagnement, notamment en soins palliatifs.

2- Rapport sur les Ehpad : bit.ly/2xQGZcJ

3- 50 % des places en hébergement pour personnes âgées dépendantes sont dans des établissements publics, 28 % dans des établissements privés à but non lucratif et 22 % dans des établissements privés commerciaux. Source : Finess, janvier 2015.

4- Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées.

1- Voir l’instruction n°DGCS/SD5C/2017/123 du 7 avril 2017 : bit.ly/2ApAaML

CALCULS FORFAITAIRES

Une activité mesurée pour être réévaluée

Le décret(1) précise que « la part du forfait global relatif à la dépendance est modulée en fonction de l’activité réalisée, au regard de la capacité de places autorisées et financées ». Quand le taux d’occupation au titre de l’hébergement permanent est inférieur au seuil fixé par arrêté du ministre, « le président du conseil départemental module le montant du forfait global ». La convergence vers le forfait global se fait sur sept ans. L’activité réalisée est mesurée par le taux d’occupation, calculé en divisant le nombre de journées réalisées dans l’année par l’établissement par le nombre de journées théoriques correspondant à la capacité autorisée et financée de places d’hébergement permanent, multiplié par le nombre de journées d’ouverture. Les absences de moins de soixante-douze heures pour hospitalisation ou convenance personnelle sont comptées dans les journées réalisées. Quant au financement de la dépendance, il relève également d’un forfait prenant en compte le niveau de dépendance moyen des résidents.