L'infirmière Magazine n° 389 du 01/01/2018

 

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C’est une chambre d’hôpital. Une chambre comme il y en a des centaines dans cet hôpital flambant neuf. Une chambre avec du mobilier neuf et des murs fraîchement peints. Dans cette chambre, il y a un homme. Cet homme va mourir. Il est venu ici, dans cet hôpital, parce qu’à la maison, c’était devenu trop compliqué, malgré la présence de sa famille et les passages de l’HAD. C’est donc ici qu’il va vivre ses dernières semaines. Il a la télé, un petit poste pour écouter de la musique, un téléphone pour appeler sa famille, un ordinateur portable pour regarder des DVD, des revues, des livres… Il a aussi une famille et des amis qui se relaient à son chevet. L’après-midi, la chambre est emplie des rires de ses petits-enfants. Mais le soir, quand les visites sont terminées, quand il est trop fatigué pour lire ou écouter de la musique, son regard se pose sur les murs neufs et vides qui le narguent. Un mur d’hôpital, même neuf, même propre, même peint avec de belles couleurs, reste un mur d’hôpital.

Alors, la famille amène des photos. Des photos des enfants et des petits-enfants, des paysages qu’il aime, de la vie qui continue dehors. Et, pour que ses yeux puissent se poser sur autre chose que les murs neufs et vides de sa chambre, ils accrochent les photos face au lit, avec de la pâte adhésive. En principe, on n’a pas le droit. Hôpital neuf, peinture neuve, tout ça… D’ailleurs, l’équipe soignante tique un peu. La pâte adhésive, sur les murs neufs, ça risque de laisser des traces. Et puis si tout le monde fait la même chose… C’est un hôpital ici, un lieu de soins. Mais un lieu de soins, quand on va mourir, c’est aussi un lieu de fin de vie. Et dans « fin de vie », il y a… vie. Or, quoi de plus vivant que les visages souriants des enfants ? Que la photo du village qui a vu grandir l’homme qui va mourir ? Que cette reproduction d’échographie sur laquelle on devine l’enfant qui va bientôt naître ? Quoi de plus vivant que la vie qui continue ? Alors, l’équipe soignante ne dit rien. Et, avec sa complicité, les murs vides s’emplissent de vie. Quelques semaines plus tard, l’homme s’éteindra, entouré de ses enfants et de son petit-fils qui vient de naître. Pour remercier l’équipe qui a accepté de transgresser le règlement, le fils offrira une photo faite par son père. Des années plus tard, quand la fille a profité d’un stage pour aller saluer l’équipe, la photo trônait encore dans la salle de pause. La fille, c’était moi. L’homme, c’était mon père.

Merci au service MFAD du CHCB de Noyal-Pontivy (Morbihan).