L'infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018

 

CARRIÈRE

GUIDE

Carole Tymen  

Un arrêté du 19 décembre 2017 précise les modalités de déclaration d’un événement indésirable grave associé aux soins (EIGS) et de transmission à la Haute Autorité de santé (HAS). Voici la démarche à suivre.

L’arrêté du 19 décembre 2017 paru au Journal officiel constitue un pas de plus dans la gestion des risques et la reconnaissance aux soignants de leur capacité d’analyse de tels événements.

Définitions et acteurs

• Qu’est-ce qu’un événement indésirable grave associé aux soins (EIGS) ? Il fait partie des événements sanitaires indésirables pour lesquels le signalement ou la déclaration doivent être faits. Selon l’article R. 1413-67 du code de santé publique du 25 novembre 2016 : « Un événement indésirable grave associé à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements, d’actes médicaux à visée esthétique ou d’actions de prévention est un événement inattendu au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent y compris une anomalie ou une malformation congénitale. » Exemples : une erreur sur l’identité du patient (doublon, faute d’orthographe, date de naissance erronée ), une erreur médicamenteuse, un défaut de surveillance ou de soins, une erreur de côté en chirurgie, une infection associée aux soins, etc.

• Qui peut déclarer ? « Tout professionnel de santé, quels que soient son lieu et son mode d’exercice, ou tout représentant légal d’établissement de santé, d’établissement de service médico-social ou d’installation autonome de chirurgie esthétique, ou la personne qu’il a désignée à cet effet, qui constate un événement indésirable grave associé à des soins, le déclare au directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) au moyen du formulaire prévu. » (art. R. 1 413-68 du code de santé publique)

Limitée d’abord aux organismes sanitaires, l’obligation de signaler un EIGS a été étendue aux établissements et services médico-sociaux (ESMS). Le dispositif de déclaration pour ces derniers est entré en vigueur le 1er janvier 2017, par décret. Il intervient dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé de 2016 et par articulation des dispositions de l’article 30 de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement.

• Pourquoi déclarer ? « Tous les événements indésirables méritent d’être analysés par les professionnels de santé », souligne la Haute Autorité de santé (HAS). L’objectif étant de comprendre les raisons de leur survenue et de trouver comment éviter qu’ils ne se reproduisent. Les événements graves sont, en plus, déclarés « afin de développer un partage d’expérience au niveau régional et national ». Il s’agit là de la gestion des risques a posteriori. Le décret du 25 novembre 2016 reconnaît aux soignants leur capacité d’analyse des événements.

Procédure

• La déclaration se fait par voie électronique via le portail de signalement des événements sanitaires indésirables, ouvert en mars 2017. L’arrêté du 19 décembre 2017 livre en annexe le formulaire à utiliser (voir document). En cas d’impossibilité, la déclaration peut se faire par tout autre moyen auprès de l’ARS. Un soignant qui informe par écrit le représentant légal de l’établissement ou du service médico-social dans lequel il exerce est réputé avoir satisfait à son obligation de déclaration.

• Des variantes sont possibles : les établissements, dans le cadre de leur politique de gestion des risques et de sécurité du patient, peuvent développer leurs propres outils. C’est alors le représentant légal de l’établissement qui déclare à l’ARS. L’AP-HP, par exemple, a développé Osiris (Organisation du système d’information des risques), un système qui permet de signaler et gérer des EIGS depuis l’Intranet de l’AP-HP. La déclaration, une fois enregistrée, est envoyée automatiquement au chef de service, à l’encadrement du service et au gestionnaire d’événement de la catégorie.

Contenu

• La déclaration d’EIGS comporte deux parties. La première, qui doit être effectuée sans délai, comprend les premiers éléments relatifs à l’événement indésirable, au déclarant, au patient, aux circonstances de l’EIGS, aux mesures immédiates prises pour le patient et ses proches, ainsi que l’organisation à mettre en place pour réaliser l’analyse de l’événement. Ce premier volet est transmis à l’ARS dont dépend le déclarant. Celle-ci apprécie la nature et la gestion de l’événement et, éventuellement, met en place des moyens pour accompagner le déclarant.

• La seconde partie de la déclaration doit être remplie dans un délai de trois mois. Dans ce volet, il faut renseigner le lieu et le moment de survenue de l’EIGS, la prise en charge du patient, les facteurs favorisants, les éléments de sécurité ou barrières, le plan d’action envisagé et la réalisation de l’analyse de l’EIGS. Cette partie permet une analyse approfondie et collective des causes et la mise en place des actions correctives.

• L’anonymat du ou des patients et des professionnels concernés doit être garanti, lors de la déclaration, à l’exception du déclarant. Le formulaire ne comporte ni les noms et prénoms des patients, ni leur adresse, ni leur date de naissance, ni les noms et prénoms des professionnels ayant participé à leur prise en charge.

Et après ?

• Quels sont les risques encourus par le déclarant ? La déclaration fait partie des obligations des infirmières. L’AP-HP rappelle à ses salariés qu’il ne s’agit pas de les sanctionner, « ce principe de non-sanction trouvant sa limite en cas de manquement délibéré aux règles de sécurité », précise-t-on dans un dépliant. Depuis 2002, les soignants sont invités à déclarer les événements indésirables auprès des autorités. Le décret du 25 novembre 2016 et l’arrêté du 19 décembre 2017 ne font que mettre en musique les précédents textes.

• Une fois la déclaration validée sur le portail, le directeur général de l’ARS accuse réception au déclarant de la déclaration reçue. À la clôture du traitement de la déclaration par l’ARS, celle-ci transmet par voie électronique à la HAS, les deux parties du formulaire. À partir de février 2018, la transmission va pouvoir se faire entre le système d’information « veille et sécurité sanitaire » des ARS vers le système d’information de la HAS. Elle va ainsi recevoir les déclarations anonymisées des ARS afin d’élaborer un bilan annuel des EIGS déclarés en France. L’HAS les exploite pour réaliser un retour d’expérience national en identifiant des préconisations pour améliorer la sécurité des patients.

• Des « structures régionales d’appui » ont été mises en place par le décret du 25 novembre 2016 pour venir en soutien à l’établissement et à l’ARS dans le processus d’analyse des EIGS, a posteriori. Ils aident à la compréhension et à l’évitement de futurs EIGS semblables. C’est le cas de la Staraq (Structure d’appui régionale à la qualité des soins et à la sécurité des patients), en Île-de-France. Il peut aussi s’agir d’anciennes associations, comme le Ccecqa (Comité de coordination de l’évaluation clinique et de la qualité en Aquitaine).

• Depuis l’ouverture du portail en mars 2017, 1 415 déclarations (volet 1) ont été déposées et 460 « volet 2 ». « Même si c’est bien en-deçà du nombre réel d’EIGS », rappelle Philippe Chevalier, conseiller technique pour la mission « sécurité du patient » auprès de la direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins de l’HAS. Avant de souligner : « Une augmentation des déclarations dans les années à venir ne voudra pas dire qu’il y aura plus d’EIGS mais témoignera plutôt d’une amélioration de la confiance dans le dispositif, associée à une élévation de la culture sécurité des professionnels de santé. » L’étude Eneis (enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins) menée en 2009, sur les seuls établissements de santé (hors ville et ESMS), chiffre entre 275 000 et 395 000 EIGS par an. Un tiers d’entre eux serait évitable.

Comment déclarer l’EIGS ?

Extrait du formulaire en ligne sur le portailde déclaration des événements indésirables (https://signalement.social-sante.gouv.fr)

SAVOIR PLUS

→ Décret n° 2016-1606 du 25 novembre 2016 relatif à la déclaration des événements indésirables graves associés à des soins (bit.ly/2DiBOSL)

 Arrêté du 19 décembre 2017 relatif à la déclaration des événements indésirables graves associés à des soins (bit.ly/2mnY1Yy)

 La HAS propose des outils à destination des professionnels pour promouvoir la déclaration et l’analyse des événements indésirables (bit.ly/2D1lQii)

INTERVIEW

GILLES DEVERS AVOCAT AU BARREAU DE LYON

Que signifie cette mise à jour de la déclaration des EIGS avec les ARS ?

• C’est la formalisation d’un processus engagé il y a quarante ans, à savoir un travail méthodique sur la qualité. Ce nouveau pas permet de quantifier le phénomène. Il est nécessaire de rendre compte des EIGS et de les analyser pour éviter leur répétition.

Le rôle des soignants s’en trouve-t-il modifié ?

• La déclaration d’EIGS fait partie de leurs missions depuis toujours. Méfions-nous de la culpabilisation : le but est un message positif, à savoir travailler de manière transparente sur la qualité des soins. Cette information du patient n’est pas une punition : c’est un devoir, lié à la reconnaissance des compétences des professionnels. L’alternative serait d’encourager la loi du silence et de taire les événements…

La responsabilité administrative ou pénale d’une infirmière peut-elle être engagée en cas d’EIGS ?

• D’abord, les infirmières du secteur public et les salariés supportent directement le poids de la responsabilité au pénal ou en disciplinaire. Pour tout le volet « indemnisation », c’est une charge pour l’établissement et son assureur. Ensuite, la responsabilité n’est engagée qu’en cas de faute, et l’EIGS ne signifie pas qu’une faute a été commise.

En cas de faute, les déclarations d’un EIGS peuvent-elles être utilisées à son encontre ?

• Clairement non. La déclaration d’un EIGS est une démarche spontanée, liée à la qualité des soins. Pour mettre en cause la responsabilité, le juge doit qualifier une faute, à partir des preuves et de l’expertise. Une déclaration n’est pas une preuve. Mais, si la déclaration n’est pas faite, cela aura un impact négatif. C’est une affaire de sincérité.

Un régime de « protection juridique » peut-il l’aider en cas de poursuites ?

• Le contrat de protection juridique offre une participation aux frais de défense, en cas de poursuites pénales et disciplinaires. Les agents publics bénéficient de la protection fonctionnelle selon l’article 11 du statut du 13 juillet 1983, qui permet le libre choix de l’avocat et la prise en charge des honoraires par l’administration en cas de mise en cause liée à l’exercice professionnel.

PROPOS RECUEILLIS PAR C.T.