Les infirmières travaillant dans des centres de médecine des voyages gagnent en autonomie dans le cadre de protocoles de coopération. Entre prescriptions prophylactiques, conseils et vaccinations, l’activité est débordante.
Côté santé, préparer un voyage n’est pas toujours chose aisée et peut même parfois se révéler anxiogène, dans le cas de destinations méconnues. Les voyageurs doivent se renseigner sur les maladies rencontrées sur leur lieu de destination, pour prévoir la trousse de secours la plus adaptée. Ils doivent aussi, selon les obligations ou recommandations en vigueur, mettre à jour leurs vaccinations, voire en ajouter lorsqu’ils se rendent en zone endémique. Certaines de ces vaccinations (vaccination anti-amarile contre la fièvre jaune) ne peuvent se pratiquer que dans des centres de vaccinations internationales (CVI), habilités par le ministère des Solidarités et de la Santé. Ils sont plus de 200 en France et leur activité ne faiblit pas.
Depuis les années 1980, les secteurs des voyages internationaux et du tourisme connaissent un véritable essor, justifiant le développement de consultations spécifiques de conseil. Elles ont lieu dans des centres de conseils aux voyageurs, souvent eux-mêmes rattachés aux centres de vaccinations internationales. « C’est une branche de la médecine née de la nécessité d’informer les voyageurs sur les risques liés à leurs déplacements à l’étranger et sur les moyens de s’en protéger, résume le Dr Catherine Goujon, vice-présidente de la Société de médecine des voyages. Même s’ils ont évidemment la compétence pour assurer les consultations, les médecins généralistes font souvent appel à notre expertise. »
Dans ces centres, plusieurs schémas de prise en charge sont à l’œuvre au sein desquels le rôle infirmier peut varier du tout au tout selon qu’il existe ou non un protocole de coopération (lire encadré). Dans les cas les plus courants, le médecin exerce seul et assure la totalité de la consultation. Il existe parfois des infirmiers qui assurent un rôle d’éducation, de conseil, et vaccinent sur prescription médicale ou lorsqu’un protocole interne l’indique.
C’est le cas au centre de conseils aux voyageurs de l’Institut Pasteur, à Paris, où exerce Marie-Laure Loriquet, cadre de santé : « En préparation d’un voyage, nous avons mis en place un protocole interne qui autorise les infirmières à pratiquer des vaccinations sans prescription. » Mais ici, comme dans la plupart des centres d’ailleurs, il faut savoir que pour l’instant, les infirmières n’assurent pas elles-mêmes les consultations de préparation. « Dans le centre de vaccinations internationales, les personnes sont prises en charge sans rendez-vous, du lundi au samedi. L’équipe des infirmières reçoit les voyageurs en salle de vaccination : elles remplissent un questionnaire médical, proposent la mise à jour du calendrier vaccinal français, ainsi que des vaccins pour le voyage. Elles vaccinent et délivrent les conseils aux voyageurs. Les infirmières en réfèrent aux médecins du service pour toute contre-indication médicale à une vaccination ou une demande particulière », détaille Claire Fosse, infirmière depuis plus de vingt ans dans ce même service. Pendant la vaccination, l’infirmière répond aux questions des patients et l’informe au mieux. Si le patient ne vient pas pour une vaccination mais en vue d’une consultation médicale spécifique (recommandations, prescription de sérologies ou de traitements prophylactiques), c’est le médecin qui le recevra, au sein de l’unité dédiée aux conseils.
Les infirmiers, selon les centres, peuvent aussi être amenés à prodiguer d’autres soins techniques. « Ici, les infirmières collaborent avec le médecin, notamment pour la prise en charge d’une maladie au retour. L’infirmière du service des consultations effectue des missions courantes : pansements, constantes, perfusions… », précise Marie-Laure Loriquet.
Un rôle dans lequel les infirmières pourraient se sentir vite à l’étroit, notamment dans le cadre de la préparation au voyage, en l’absence de protocole… Mais de nouvelles perspectives s’offrent à elles depuis une période assez récente. De plus en plus d’établissements – à l’image du CHU d’Avicenne (93), du centre hospitalier (CH) de Perpignan (66) ou encore de l’IHU (Institut hospitalo-universitaire) Méditerranée infection, à Marseille (13) – adhérent à un protocole de coopération, validé par une agence régionale de santé (ARS), les autorisant à confier aux infirmières des missions médicales. Dans ce cadre, elles assurent des consultations en toute autonomie. « Si l’on s’arrête aux compétences infirmières basiques, le rôle des soignants y est limité, explique Alexandra Kotovtchikhine, cadre de santé à l’IHU de Marseille. Adhérer à un protocole de coopération est parti d’une demande des soignants. Cela augmente leurs connaissances de la médecine des voyages. » Une formation complémentaire est en effet requise (lire encadré p. 58). Sans ce type de protocole, les professionnels mais aussi les patients ne trouveraient pas toujours leur compte en médecine des voyages. « Avant, je faisais la première consultation, le recueil de données, les conseils spécifiques, puis le médecin venait prescrire les vaccins que j’avais conseillés. Idem pour les sérologies, les traitements… C’était compliqué et redondant. Le patient ne comprenait pas non plus pourquoi tout devait être validé comme cela. Cela l’inquiétait presque », ajoute de son côté Mélisande Roy, infirmière à l’origine du protocole de coopération en consultation des voyages du CH de Perpignan.
Thierry Minette, infirmier au centre de vaccinations internationales et de médecine des voyages du Tonkin, à Villeurbanne (69), qui a déposé avec son équipe une demande d’adhésion au protocole auprès de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, confirme : « Si mon rôle se limitait à exécuter les vaccins, comme dans la plupart des centres, j’avoue que je serais parti depuis longtemps. » En attendant l’aval de l’ARS, il jouit déjà d’une large autonomie : « Les perspectives sont passionnantes. Une consultation dure environ vingt minutes. Dans ce cadre et selon la destination et les antécédents médicaux du patient, nous prescrivons des traitements préventifs contre le paludisme, la tourista ou même certaines antibiothérapies. Nous sommes aussi amenés à prescrire des anti-histaminiques, des collyres antiseptiques, des crèmes à base de cortisone ou encore des traitements contre les mycoses. Nous nous aidons d’un logiciel et nous suivons un protocole très cadré avec des indicateurs précis. Au moindre doute, nous pouvons évidemment faire appel à un médecin présent dans la structure », ajoute-t-il.
Outre la mission médicale déléguée, quand il y a protocole de coopération, les infirmières ont aussi une mission d’information et d’éducation, qui exige un travail de mise à jour des connaissances important dans un contexte de mobilité croissante des populations. « Nous nous référons aux recommandations nationales et internationales et nous maintenons nos compétences de façon quotidienne par des données scientifiques. Les recommandations peuvent changer. Je donnerais comme exemples la peste, qui est arrivée à Madagascar, le Zika en Amérique du Sud, ou la vaccination de la fièvre jaune qui, à présent, est valable à vie », explique Delphine Leclerc, infirmière au sein du centre de conseils aux voyageurs de l’hôpital Avicenne.
Dans les services, il y a également des périodes de l’année plus affluentes que d’autres. « La période du Hajj, qui correspond au pèlerinage à la Mecque, en est l’illustration type. Nous devons redoubler de vigilance car ce rassemblement international déclenche tout type d’épidémies », témoigne Thierry Minette. Le public aussi est varié. « En région parisienne, 80 % des patients sont des migrants qui retournent quelque temps au pays. Ils viennent surtout pour des vaccinations obligatoires. Ici, dans le Sud-Ouest de la France, je vois plutôt des retraités ou des saisonniers qui sont friands de conseils spécifiques ou de vaccinations recommandées comme la rage pour l’Asie ou l’encéphalite japonaise », explique Mélisande Roy. Des migrants africains en région parisienne aux retraités du Sud-Ouest, en passant par la communauté comorienne de Marseille, les soignants doivent trouver les mots justes et adaptés face à des demandes très hétérogènes. Ils doivent aussi faire preuve d’ouverture d’esprit et d’adaptation face à cette diversité.
Cette dernière s’explique également par l’aspect financier induit par les consultations en médecine des voyages. « Rien n’est remboursé. Du coup, pour les migrants qui rentrent dans leur famille et qui ne peuvent pas tout assumer, il faut voir les priorités », ajoute Mélisande Roy. « Parfois, quand une personne n’est pas à jour de ses vaccinations communes (diphtérie, tétanos, poliomyélite), nous préférons lui faire une ordonnance pour qu’elle effectue l’acte en ville plutôt que de la vacciner. Cela lui revient moins cher. En revanche, aucune autre prescription ne pourra faire l’objet d’un remboursement par la Sécurité sociale car le cadre du voyage l’interdit », confirme Thierry Minette.
D’autant que, de plus en plus, les voyageurs n’hésitent pas à partir, même s’ils sont malades. « Avant, les gens se posaient des questions. S’ils avaient une hépatite, le sida ou une maladie chronique, ils se privaient. Ce n’est plus le cas. D’où la complexité des prescriptions et des contre-indications », analyse Thierry Minette. Une complexité qui rend d’autant plus attractif l’exercice infirmier dans le cadre d’un protocole de coopération. « Ce qui est très intéressant, c’est que l’on va nous-mêmes au bout de la consultation. Cela nous permet de prendre en charge dans la globalité les voyageurs, sans avoir à recourir à une validation de nos actes par un médecin. C’est une belle aventure. Un compagnonnage », confirme Delphine Leclerc, à l’origine du premier protocole de ce type à avoir vu le jour en France. C’était au CH d’Avicenne, en 2012.
À l’Institut Pasteur, à Paris, un dossier pour adhérer à un tel protocole est également en cours. « L’idée est d’harmoniser les pratiques et les faire évoluer », indique Marie-Laure Loriquet. En France, pour l’instant, et même si seule une dizaine de centres s’est inscrite ou a demandé une inscription à ce protocole de coopération, la tendance vers un déploiement plus large semble se confirmer. « Cela permet aussi de libérer du temps au médecin pour des consultations médicales complexes », ajoute Marie-Laure Loriquet.
Mais il y a un hic. « Ce qui pose problème, c’est notre reconnaissance au sein de l’institution », regrette Delphine Leclerc. À l’heure où la politique de santé tend à développer ce genre de protocoles de coopération lancés par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009 (dite « Loi Bachelot »), de nombreuses questions se posent en effet sur le statut des professionnels qui y adhérent. Ces derniers suivent des formations complémentaires assez longues. Ils prennent ensuite des responsabilités importantes qui dépassent leur champ de compétences habituel. Or, sauf exception, le salaire ne suit pas. « Nous aimerions recruter une nouvelle infirmière et la former mais c’est compliqué car les soignantes sont un peu frileuses. Il faut vraiment être motivée, voire passionnée, et ne pas prendre en compte l’aspect financier pour se lancer dans cette aventure, ajoute Delphine Leclerc. Comme au Canada, il faudrait mettre en place un statut à part entière d’infirmière consultante ou d’infirmière experte, avec la revalorisation et la grille indiciaire qui vont avec. »
Certes, dans quelque temps, la France se dotera d’infirmières de pratiques avancées (IPA). La loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 (loi Touraine) l’a formellement indiqué. Un décret d’application relatif, entre autres, à la formation et aux missions des IPA est en cours d’élaboration et devrait voir le jour en juin 2018. Les IPA seront reconnues bac + 5 et leur salaire correspondra à ce niveau. Mais, que deviendront alors les infirmières qui exercent dans le cadre de protocoles de coopération ? A priori, n’ayant pas le parcours universitaire requis pour accéder au statut d’IPA – un master 2 en sciences cliniques infirmières ou paramédicales semblerait être obligatoire – la perspective d’un changement de statut reste improbable pour elles. « Il paraît pourtant légitime de revaloriser les infirmières qui exercent dans le cadre d’un protocole de coopération. Nous espérons que des passerelles seront mises en place pour ces soignantes », indique le Pr Olivier Bouchaud, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Avicenne et responsable d’un diplôme universitaire en médecine des voyages. À suivre…
→ Société de médecine des voyages
→ Le ministère des Solidarités et de la Santé répertorie la liste des centres de vaccinations internationales en France www.solidarites-sante.gouv.fr
→ Le bulletin épidémiologique hebdomadaire donne des recommandations sanitaires pour les voyageurs invs.santepubliquefrance.fr
→ Une consultation infirmière en médecine du voyage, sous réserve d’une formation adéquate et d’un cadre de travail parfaitement défini, peut-elle répondre aux mêmes critères de qualité de prise en charge qu’une consultation médicale ?
C’est ce que cherche à démontrer Delphine Leclerc, infirmière à l’hôpital d’Avicenne AP-HP, à Bobigny (93), dans le cadre du PHRI (Programme hospitalier de recherche infirmière). « Depuis 2009, nous effectuons des recherches sur le sujet. Le PHRI a été validé par la HAS en 2010 mais il fallait attendre la mise en place du protocole de coopération en 2012 pour que ce travail puisse exister », explique Delphine Leclerc. L’infirmière et son équipe inclueront dans la recherche 600 voyageurs de plus de 18 ans qui se présenteront dans le centre de vaccinations internationales de l’hôpital Avicenne. Les volontaires qui participeront à l’étude randomisée seront envoyés – après un tirage au sort – en consultation, soit IDE soit médicale. À leur sortie, ils répondront à un questionnaire précis relatif à la compréhension des informations et des conseils donnés. Les résultats sont attendus pour 2019.
Les infirmières qui exercent dans des centres de consultations aux voyageurs ou dans des centres de vaccinations internationales (CVI) sont fortement encouragées à suivre des formations complémentaires.
Celles qui assurent des consultations en totale autonomie dans le cadre d’un protocole de coopération ont l’obligation de suivre au moins soixante heures d’enseignement théorique en médecine des voyages.
→ La Société de médecine des voyages (SMV) propose quatre modules indépendants, de deux à trois jours, qui se déroulent en région parisienne (Roissy) mais aussi en province (Strasbourg et Angers, en 2018). L’objectif est d’accompagner le personnel infirmier des CVI dans les évolutions de médecine des voyages ou, dans le cadre du dernier module spécifique, de travailler le protocole de coopération par la simulation.
À noter que la SMV promeut les actions de recherche en médecine des voyages et coordonne des études.
→ Un DIU en médecine des voyages et santé du voyageur est proposé par les universités Paris-VI et Paris-VII à la faculté de médecine de Bichat (75).
Il dure cent heures et inclut un stage de vingt heures. De nombreuses thématiques y sont abordées : vaccination du voyageur, chimio-prophylaxie antipalustre, voyages en terrain particulier, pathologies du voyageur…
D’autres DU similaires sont proposés à Toulouse, à Marseille ou encore à Besançon (liste non exhaustive).