L'infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

Cécile Humbert  

IDE Consultante Unité Mobile Plaies et Cicatrisation, Chu de Montpellier

L’apparition d’un hématome chez une personne âgée sous traitement anticoagulant exige une surveillance étroite. Elle suppose une évaluation constante et régulière, menée de façon pluriprofessionnelle, afin d’éviter tout risque d’hématome disséquant.

CAS CLINIQUE

→ M.M., 89 ans, est marié, autonome et marche avec une canne. Le 22 mai, lors d’une cure, il chute et se fait un traumatisme au tibia. Le médecin du centre diagnostique un hématome fermé ne nécessitant pas de prise en charge particulière. Après quelques jours, il ressent une gêne fonctionnelle liée à une douleur lancinante dans le mollet, exacerbée à l’effort. À l’auscultation, le médecin constate que l’hématome s’est étendu et a augmenté en volume.

→ Le 29 mai, M. et Mme M arrivent aux urgences. Le médecin note :

– Antécédent (ATCD) médical : HTA, AIT (accident ischémique transitoire) en janvier 2017, FA (fibrillation auriculaire), IRC modérée ;

– ATCD chirurgicaux : carotides, hématome en 2002 avec aponévrotomie, PTH (prothèse totale de han-che), PTG (prothèse totale du genoux) ;

– Traitement : Previscan, furosémide.

→ À l’interrogatoire, Mme M. explique que son mari a des troubles cognitifs et a oublié, avant la constitution de l’hématome, de prendre ses comprimés de Previscan. Il en a pris plusieurs en même temps.

→ Cliniquement, le mollet est chaud, inflammatoire et douloureux.

→ Le bilan radiologique ne montre pas de fracture.

→ Le surdosage aux AVK est confirmé avec un INR à 5,7 ; une CRP à 95 et des GB à 10 sont en faveur d’une infection. L’hémoglobine est normale.

→ L’interne d’orthopédie diagnostique un hématome disséquant (lire p. 42) de la face antéro-latérale de la jambe gauche dans un contexte de surdosage par AVK. Il décide de garder ce patient qui sera staffé le lendemain. Il passera la nuit en UHCD(1).

PRISE EN CHARGE

EN UHCD

Le bilan sera complété par un ECG, une prise de poids (65 kg). Un traitement par vitamine K est prescrit ainsi qu’une antibiothérapie prophylactique. Le matin du 30 mai, M.M. est fébrile à 38 °5. Le chirurgien en plaies et cicatrisation, sollicité par les orthopédistes, indiquera une mise à plat chirurgicale urgente, programmée dès le lendemain car l’hématome a évolué en nécrose infectée ( 1). Cette technique va permettre le drainage de l’hématome et l’ablation de tous les tissus dévitalisés pouvant gêner la cicatrisation et/ou présenter un risque infectieux.

En post-opératoire

M.M. est muté en court séjour gériatrique.

→ Sur le plan cutané : pour cet hématome disséquant, la mise à plat chirurgicale entraîne une perte de substance importante, qui nécessite une TPN(2).

• La TPN, appliquée du 1er juin au 23 juillet, permet la construction d’un tissu de granulation. Le 28 juin, la plaie évolue favorablement, elle est bourgeonnante. La TPN est continuée avec réfection des pansements deux fois par semaine ( 2).

• Le 24 juillet, M.M. bénéficie d’une greffe de peau mince de la jambe, avec immobilisation par attelle postérieure pour améliorer l’adhésion de la greffe.

Les soins infirmiers consisteront en la réfection des pansements (lire p. 46), la surveillance de l’intégrité de la peau et l’évaluation de la douleur.

• Le pansement du site donneur sera à faire tous les deux jours. Un pansement type alginate, pour ses propriétés hémostatiques et cicatrisantes, aura été posé au bloc opératoire sur la zone prélevée (cuisse gauche). Après l’ablation du pansement secondaire (compresses, bande), laisser l’alginate en place. Cette technique permet de prévenir la douleur, souvent fréquente sur ce type de plaie, d’éviter l’arrachage des bourgeons et le saignement. (lire aussi p. 46).

• Le pansement de la greffe : le premier est fait à J 3. L’ablation du pansement (interface) est réalisée délicatement pour ne pas arracher la greffe. Procéder à un nettoyage au sérum physiologique, évaluer en pourcentage la prise de la greffe, l’état de la plaie (couleur, exsudats, odeur, taille) et de la peau périlésionnelle si nécessaire (inflammatoire). Il sera possible d’enlever une agrafe sur deux si la greffe a bien adhéré. Refermer avec une interface, compresse et bande. Le renouvellement des pansements se fera tous les deux jours, avec ablation des agrafes à J 5(3).

• Surveillance des téguments :

– Peau péri-lésionnelle : prévenir la sècheresse cutanée en hydratant avec un émollient type Dexeryl.

– Surveillance des points d’appui si attelle plâtrée. Risque d’escarre talon, malléole.

• Évaluation de la douleur.

→ Sur le plan infectiologique : le patient présentait une CRP élevée avant la chirurgie. Sous Augmentin, elle baissera. Cependant, des prélèvements per-opératoires ont été réalisés et sont revenus positifs. Une adaptation du traitement a été faite et le syndrome inflammatoire a diminué.

→ Sur le plan neurologique : le patient a présenté un épisode de confusion en post-opératoire avec agitation et troubles du comportement, qui se résolvent spontanément avec l’élimination des anesthésiques.

Vers la cicatrisation

Le 31 juillet, M.M. est muté en soins de suite et réadaptation pour rééducation et perte d’autonomie. L’équipe mobile infirmière est sollicitée pour le suivi des pansements : l’IDE s’attache à faire le point de façon globale sur la prise en charge de la plaie.

→ Sur le plan cutané :

• La greffe à J 10 est en bonne voie de cicatrisation, elle a pris à 90 % (il manque 10 % d’épiderme). Toutefois, une zone hyperbourgeonnante est repérée en milieu de plaie, qui bloque l’épidermisation ( 3).

• Le protocole proposé aura pour objectifs de favoriser l’épidermisation et d’abraser l’hyperbourgeon : nettoyage à l’eau et au savon de la jambe, ablation des croutes si nécessaire, pansement interface sur les zones désépidermisées, ablation de l’hyperbourgeon en appliquant un crayon de nitrate d’argent sur la zone, qui prendra une couleur grise, et hydratation de la peau péri-lésionnelle.

• Au retrait du pansement secondaire, l’alginate sur la prise de greffe est sec mais malodorant ( 4). C’est un signe éventuel d’infection, il faut le retirer pour évaluer l’état de la plaie, puis nettoyer au sérum physiologique et savon doux. La zone est finalement propre et épidermisée à 80 %, il sera mis une interface pour favoriser l’épidermisation de la plaie ( 5 après ablation). L’attelle plâtrée postérieure a provoqué une escarre talonnière de stade 3. Elle est fibrineuse à 100 % et sèche. Afin de favoriser un milieu humide pour la détersion, un hydrocolloïde épais est installé. L’attelle n’étant plus nécessaire, le talon est mis en décharge avec des accessoires de positionnement. Des transmissions écrites sont faites sur le dossier du patient ainsi qu’au chirurgien plasticien.

→ Sur le plan nutritionnel : avec une albumine à 28 g/l et une pré-albumine à 133 mg/l, la dénutrition est sévère (inférieure à 30). La diététicienne propose un enrichissement oral, des compléments nutritifs et le suivi par une fiche alimentaire. Le poids de sortie sera de 84 kg, avec un IMC à 28.2 kg/m2.

→ Sur le plan orthopédique : l’IDE plaie mobile annonce aux kinésithérapeute et ergothérapeute la présence d’une escarre talonnière. Elle indique aussi que l’attelle plâtrée n’est plus nécessaire.

Conclusion

L’apparition d’un hématome chez une personne âgée sous anticoagulants exige une surveillance étroite. À travers l’analyse de cas cliniques tels que celui-ci, les acteurs doivent prendre conscience des risques encourus et des solutions possibles.

1- Unité d’hospitalisation de courte durée.

2- Thérapie par pression négative.

3- Le protocole proposé ci-contre est une possibilité.Dans tous les cas, se référer au protocole du chirurgien.