L'infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018

 

RÉFORME DES GHT

DOSSIER

Adrien Renaud  

Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) demeurent largement méconnus des infirmières. Que doivent-elles en espérer ou en craindre ? Focus sur une réforme-iceberg, dont on ne voit que la partie émergée.

Deux ans se sont écoulés depuis l’adoption de la « loi de modernisation de notre système de santé », qui créait notamment les GHT (groupements hospitaliers de territoire). Et pourtant, cette réforme ne semble toujours pas avoir touché les infirmières sur le terrain. « GHT ? Ce sigle ne me dit rien », avoue Claudine(1), infirmière en réanimation à Toulouse. Même réaction chez Solène(1), en poste en hospitalisation à domicile (HAD) dans un hôpital francilien : « Les GH-quoi ? », s’enquiert-elle quand on lui demande son avis sur la question. Une méconnaissance qui touche également le niveau de l’encadrement. « Quand je demande à des cadres de quel GHT elles font partie, il arrive qu’elles n’en savent rien », remarque Dominique Combarnous, présidente de l’Association nationale des cadres infirmiers et médico-techniques (Ancim).

Ce désintérêt contraste fortement avec les ambitions affichées par le ministère de la Santé, qui entend bien rationaliser l’offre hospitalière en regroupant les établissements autour de la notion de territoire. « L’objectif des GHT est d’améliorer l’accessibilité aux soins de qualité pour un maximum de personnes, où qu’elles soient sur le territoire », indique-t-on du côté de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Agnès Buzyn a d’ailleurs complètement endossé cette réforme initiée par Marisol Touraine. « Il faut poursuivre car cela va nous permettre de mieux organiser les filières de soins, en faisant en sorte que les établissements ne soient pas en concurrence mais complémentaires les uns des autres », estimait-elle en décembre dernier dans une interview à Libération.

Ça avance… sur le papier

Alors, comment se fait-il que cette réforme si importante pour l’hôpital public n’ait pas encore pris sa juste place dans la vie des soignants ? La réponse est assez simple : pour l’instant, les GHT n’ont que très peu modifié le quotidien des infirmières. « Il y a 135 GHT, et donc 135 situations différentes », remarque Alexandre Mokede, responsable du pôle « organisation sanitaire » et du dossier des GHT à la Fédération hospitalière de France (FHF), l’organisme qui représente les hôpitaux publics. « Cela explique que, pour l’instant, peu de changements ayant un impact de manière globale sur le quotidien de l’infirmière puissent être identifiés. » Et pour cause : la principale activité entreprise dans le cadre des GHT a pour l’instant consisté à… élaborer des plans pour leur mise en œuvre. Au 1er juillet 2017, notamment, les groupements devaient déposer leur projet médical et leur projet soignant partagé auprès de leur Agence régionale de santé (ARS) (lire p. 24). Au 1er janvier 2018, ils devaient avoir élaboré une stratégie pour faire converger leur système d’information (lire p. 25). D’autres sujets semblent plus avancés, mais ils sont plus éloignés de la vie quotidienne des infirmières : mutualisation de la fonction « achat » – au lieu de passer une commande de matériel par établissement, le GHT n’en passera qu’une, ce qui doit permettre de faire des économies – ou création d’un Département de l’information médicale (DIM) de territoire – ce qui doit permettre de mutualiser des compétences rares comme le codage des actes.

Entre craintes…

Mais ce n’est pas parce que les GHT n’ont presque rien changé aujourd’hui qu’ils ne vont rien changer demain. Si l’on en croit Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC), il faut avant tout craindre des suppressions de postes. « La logique des GHT est une logique économique, pas une logique médicale, avertit-il. Il s’agit avant tout de réduire la voilure en mutualisant les moyens et en sabrant dans les effectifs. » Et le responsable syndical de prendre l’exemple de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) où il travaille, et où les regroupements effectués ces dernières années ont, d’après lui, conduit à des suppressions de lits systématiques. Une logique que l’on rejette à la FHF. « L’objectif n’est absolument pas de fermer des services, assure Alexandre Mokede. Il s’agit de mieux organiser les soins sur l’ensemble du territoire. Il peut y avoir des surcapacités dans certains établissements, mais cela n’a rien à voir avec les GHT et fait l’objet d’une réflexion antérieure à la réforme. »

Autre inquiétude souvent exprimée : les GHT faciliteraient une flexibilité extrême du personnel. Du côté des directions, on se veut rassurant. « Il y a effectivement eu au début la crainte des “mobilités sauvages” : une infirmière des urgences de l’hôpital X serait appelée la veille pour travailler le lendemain dans l’hôpital Y, concède Stéphane Michaud, directeur de l’Association française des directeurs de soins (AFDS). Mais je pense que faire de la gestion des effectifs et de l’absentéisme en temps réel n’a jamais été l’intention du législateur avec cette réforme : s’il y a mobilité, elle sera là pour valoriser des compétences particulières. »

… et espoirs

Stéphane Michaud aurait plutôt tendance à voir dans les GHT une opportunité pour les infirmières de développer leur métier et penser de nouvelles pratiques. « Imaginons que dans le projet médico-soignant, on constate sur un territoire une prévalence plus élevée qu’ailleurs d’insuffisance respiratoire chronique, explique-t-il. S’il y a un déficit de pneumologues, on peut en déduire que cette situation est liée à des retards dans l’accès aux soins et proposer des consultations infirmières dans le cadre des pratiques avancées. Cela permettrait à l’infirmière de se situer dans la prévention. » Pour illustrer son propos, le président de l’AFDS prend l’exemple du sien, dans les Deux-Sèvres. « Nous avons, dans l’un des établissements, une équipe qui est très avancée sur l’aromathérapie, explique-t-il. Dans les cinq ans à venir, nous comptons utiliser cette expertise, qui semble intéressante, et la diffuser dans le GHT. »

Les GHT doivent aussi permettre de s’ouvrir aux nouvelles méthodes de travail, comme la télémédecine. De nombreux groupements, qui opèrent dans des zones marquées par la désertification médicale et paramédicale, ont inscrit cette technologie dans leur projet médico-soignant partagé, à l’instar de celui de l’Indre. « Nous avons identifié la télémédecine comme un levier permettant d’améliorer l’accès aux soins de la population », explique Christine Girault, directrice des soins au centre hospitalier (CH) de Châteauroux (36). Elle cite notamment la transmission d’images, par exemple en dermatologie ou pour la prise en charge de l’AVC. « Les infirmières vont donc être formées à l’utilisation des chariots de télémédecine », indique la responsable.

L’ouverture vers le monde extérieur

Mais les GHT représentent aussi une opportunité de s’ouvrir sur le monde extérieur, en mettant en œuvre des partenariats avec des établissements médico-sociaux, des cliniques ou des professionnels libéraux. Stéphane Michaud se prend même à rêver de GHT permettant de développer le lien amont-aval, en construisant des « chemins cliniques » permettant de « travailler en phase avec la ville et d’éviter les ruptures de prises en charge que l’on observe trop souvent ». Son GHT a d’ailleurs mis en place, à cet effet, une instance supplémentaire, nommée « comité des partenaires », dans laquelle siègent l’ensemble des acteurs de santé non publics du territoire : ordres professionnels, etc. Mais, à sa connaissance, le GHT de l’Indre est pour l’instant le seul à avoir mis en place un tel comité. Car, dans la majorité des cas, le premier enjeu pour les établissements publics consiste à apprendre à se parler ensemble. « Certes, des conventions de partenariat existent avec le privé dans certains GHT, mais ils ne constituent pas la majorité, remarque Alexandre Mokede. Le premier élément, c’est que les établissements publics apprennent à se parler et consolident les bases de leur projet médical. Ensuite, leur premier mouvement sera bien sûr de s’ouvrir vers le médico-social et le privé, notamment à but non lucratif. » De belles discussions en perspective.

1- Les prénoms ont été modifiés.

FORMATION

Et du côté des Ifsi ?

« La difficulté, avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT), c’est que leur découpage ne correspond pas forcément à celui des Ifsi. » Martine Sommelette, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) s’en arracherait presque les cheveux : la formation fait en effet partie des fonctions qui sont, dans le cadre de la réforme, mutualisées et coordonnées au niveau de l’établissement-support du GHT. Cela constitue d’après elle « une occasion d’enrichir la pédagogie et d’échanger sur les contenus ». Mais le chevauchement avec la réforme de 2009, qui avait organisé la coopération Ifsi-université, n’est pas évident. « Cette mutualisation est parfois difficile », commente-t-elle. Côté étudiant, la méfiance est aussi de mise. « Nous ne souhaitions pas voir arriver un nouvel acteur, regrette Ludivine Gauthier, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Nous avons déjà l’ARS, la Région, l’université, le CH… Avec le GHT, cela fait beaucoup. »

SUR LE TERRAIN

En pratique, ça coince encore

L’année dernière, avant même l’adoption par son établissement du plan médical mettant en œuvre la réforme des GHT, Aurélie Gay, IDE en chirurgie au CHU de Saint-Étienne (42), a eu un avant-goût de ce qu’elle pouvait signifier pour une infirmière. L’un des urologues de son équipe a en effet été détaché pour effectuer un mi-temps au CH d’Annonay, à une cinquantaine de kilomètres. « Il a apporté là-bas de nouvelles techniques et il a fallu former l’équipe infirmière », raconte l’IDE. Cette dernière s’est attelée à la tâche, développant un cours théorique et se rendant sur place une dizaine de fois pour l’enseignement pratique. « Ça ne m’a pas dérangée, c’était avec plaisir », commente Aurélie Gay. Mais elle reconnaît que ses absences ont entraîné quelques tensions dans le service. « C’était formateur mais les heures que j’ai faites en plus, c’était pour ma pomme », lâche-t-elle en riant.

Son chef de service, le Pr Nicolas Mottet, assure que la prochaine fois, les choses se passeront de manière différente. Les leçons ont, d’après lui, été tirées. En effet, des projets similaires sont à l’étude avec deux autres périphériques, et le PU-PH estime que « dans le cadre d’un GHT, le travail de formation sera naturellement intégré dans la charge de travail de l’équipe ».